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lundi 27 mars 2017

Le Maroc provoque une crise diplomatique à Dakar

Ce que certains experts redoutaient est arrivé : moins de deux mois après son retour au sein de l’Union africaine, le Maroc provoque une crise diplomatique en demandant l’exclusion de la République arabe sahraouie d’une réunion ministérielle.
Le roi Mohammed VI veut montrer que le Maroc ne cèdera pas sur la question du Sahara Occidental (AFP)
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Malek Bachir, 25/3/ 2017

« Cette crise constitue un précédent énorme. Le Maroc a dynamité la réunion », constate avec désolation un diplomate contacté par Middle East Eye. Ni les négociations en coulisse, ni la menace de voir plusieurs délégations partir, ni la venue exceptionnelle du secrétaire général de la Commission économique pour l’Afrique (CEA, un organe des Nations unies) n’ont réussi à faire plier le Maroc.
Vendredi à Dakar, alors que devaient débuter une réunion conjointe entre la CEA et l’Union africaine, censée préparer la venue des ministres africains de l’économie les 27 et 28 mars, le Royaume a réclamé l’exclusion de la République arabe sahraouie démocratique, dont il refuse de reconnaître l’indépendance, de la réunion au prétexte qu’elle n’est pas membre de l’ONU. 


Si bien que le bureau conjoint de la CEA et de l'UA ont annoncé ce samedi le report de la réunion ministérielle, « les conditions pour qu'elle se tienne n'étant pas réunies. » Les représentants des 54 pays africains ainsi que les pays partenaires et les organisations présents n’avaient même pas commencé à étudier les dossiers.

Vide juridique
« On se retrouve dans une situation de blocage complet car si la RASD avait été exclue des travaux, de nombreuses délégations comme celles du Nigéria, de l’Afrique du Sud, ou de l’Algérie, par ailleurs des poids lourds de l’Union africaine (UA) auraient boycotté la réunion et seraient parties », analyse notre source.
Ce n’est pas la première fois que le Maroc demande à ce que la RASD soit exclue des travaux : Rabat l’exige déjà depuis deux ans. Jusqu’à maintenant, cela n’avait pas d’effet car le Maroc ne faisait pas partie de l’UA. Aujourd’hui, c’est différent puisqu’elle a intégré l’organisation au mois de janvier.
« Cette crise est insoluble car la RASD, si elle est membre de l’UA, n’est pas membre de la CEA. Donc cette dernière n’a pas de mandat pour les exclure. On se retrouve en face d'un vide juridique », poursuit notre interlocuteur.
« C’est une façon de dire : ‘’On n’est pas revenus dans l’UA pour se laisser faire’’. En janvier, les Marocains sont arrivés tout sourire. Là, ils commencent à montrer les dents. »
Un juriste algérien proche du dossier sahraoui, contacté par MEE précise : « La seule chose que la CEA peut faire pour se retirer est de se prévaloir du désaccord au sein de l’UA. Pour le reste, l’argument avancé par le Maroc n’est pas convaincant. En effet, siéger au sein d’une réunion multilatérale avec la RASD n’engage en rien la reconnaissance de celle-ci par la CEA ou l’ONU. L’Algérie siège bien à côté d’Israël lors de réunions onusiennes alors qu’elle ne le reconnaîtra jamais. »
Selon lui, la commission de l’Union africaine, dépositaire de l’acte constitutif de l’organisation, serait toutefois en mesure de « dénoncer le Maroc en disant qu’il viole ses engagements internationaux, puisque Rabat a ratifié l’acte constitutif de l’UA sans émettre de réserves. Or l’acte constitutif de l’UA dispose de l’obligation pour les États de respecter et défendre l’indépendance des autres États membres. Et d’une certaine manière, s’opposer à ce qu’un État membre tel que la RASD participe à des travaux multilatéraux est une limite à son indépendance. »

Un premier signal à Addis-Abeba
Selon un diplomate africain sur place, le Maroc « sait très bien ce qu’il fait ». « Il ne pouvait pas trouver meilleur endroit que Dakar car il savait que le Sénégal le soutiendrait. L’objectif n’était pas d’obtenir l’exclusion de la RASD aujourd’hui, mais de marquer le coup. C’est une façon de dire : ‘’On n’est pas revenus dans l’UA pour se laisser faire’’. En janvier, ils sont arrivés tout sourire. Là, ils commencent à montrer les dents. »
Un signal avait déjà été envoyé le 20 mars à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne où se trouve le siège de l’Union africaine. Rabat avait boycotté la réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’UA sur la situation au Sahara Occidental. Alors que le chef de la diplomatie sahraouie avait parlé de premier test « raté », une source diplomatique marocaine citée par le site d’informations Le Desk avait jugé cette réunion « improductive et à sens unique ».
Au moment où l’UA a réintégré le Maroc, l’éditorialiste algérien Abed Charef avait prévenu dans MEE que deux options étaient alors possibles : « Chacun se prépare pour les prochaines joutes. Pour le Maroc, il s’agira soit de mener une guerre diplomatique pour reconquérir le terrain perdu, ce qui risque d’entrainer l’Union africaine dans de nouvelles et interminables batailles ; soit de s'engager sur un terrain qui permettrait des ouvertures, en utilisant les résolutions de l’Union africaine comme point de départ pour une nouvelle politique. »
La réunion de Dakar a montré que Rabat avait choisi la première voie.

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