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dimanche 2 avril 2017

« Derrière le tribunal, il y a l’État marocain. À la fin, c’est le roi qui décide. »

 "Vos souffrances sont nos souffrances, vos pleurs sont nos pleurs. Nos deux peuples souffrent. Ils ont érigé des murs entre nous."

Rosa Moussaoui,Lundi, 27 /3/ 2017,L'Humanité
Manifestation de soutien aux militants sahraouis de Gdeim Izik rejugés par la cour d’appel de Salé, le 13 mars dernier. Fadel Senna/AFP
Manifestation de soutien aux militants sahraouis de Gdeim Izik rejugés par la cour d’appel de Salé, le 13 mars dernier. Fadel Senna/AFP 
 
Sahara Occidental. La condamnation du Maroc par le Comité de l’ONU contre la torture est au cœur des débats, dans le procès de Gdeim Izik. Le prisonnier politique sahraoui Ennaâma demande que cette décision onusienne soit versée aux débats.
Le procès en appel des vingt-cinq militants sahraouis de Gdeim Izik se poursuit aujourd’hui à Salé, au Maroc, dans une atmosphère de tension et de pression policière. 

 Samedi, dans l’après-midi, les forces de l’ordre ont encerclé la maison louée, le temps du procès, par les familles des prisonniers, à quelques encablures du tribunal. Un acte d’intimidation visant le collectif d’activistes sahraouis qui relaient, sur Internet et les réseaux sociaux, les nouvelles du procès, mais aussi l’observatrice portugaise Isabel Lourenço, qui se trouvait avec eux. Le même jour, Hassana Abba, militant de la défense des droits humains, membre de l’ONG Front Line Defenders, était brièvement interpellé et fouillé, puis relâché sans avoir été conduit au commissariat.

L’empathie des détenus avec les familles des victimes
En fin de semaine dernière, la cour d’appel de Salé a procédé aux interrogatoires d’Ennaâma Asfari et de Cheikh Banga, présentés comme les « chefs » du soulèvement populaire de 2010, au Sahara occidental occupé. 

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Le violent démantèlement du camp de protestation de Gdeim Izik par les autorités marocaines, le 8 novembre 2010, avait donné lieu à des affrontements qui ont coûté la vie à onze membres des forces de sécurité. Ennaâma Asfari et Cheikh Banga ont tous les deux clamé leur innocence, affichant d’abord leur empathie avec les familles des victimes. « Vos souffrances sont nos souffrances, vos pleurs sont nos pleurs. Nos deux peuples souffrent. Ils ont érigé des murs entre nous. Nous ne sommes pas des criminels, nous menons un combat pacifique pour le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination ! » a lancé le jeune Cheikh Banga. Ces militants, tous deux condamnés en 2013 par la justice militaire à trente ans de prison, se sont montrés très offensifs, l’un sur le terrain juridique, l’autre sur un terrain plus politique, suscitant, souvent, l’ire du président. Juriste de formation, Ennaâma Asfari a démonté point par point, neuf heures durant, la fiction du « procès équitable » mis en scène par le pouvoir marocain après l’annulation des lourdes sentences du tribunal militaire par la Cour de cassation. Il est longuement revenu sur la torture, sur les traitements inhumains et dégradants endurés après son enlèvement par la police, la veille du démantèlement du camp. De graves violations des droits humains qui ont valu au Maroc, le 12 décembre 2016, une condamnation par le Comité de l’ONU contre la torture (CAT), après le dépôt d’une plainte soutenue par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat). En réponse à la demande d’Ennaâma Asfari, le parquet n’exclut pas de verser la décision du CAT au dossier, sous réserve de sa traduction en arabe. Cela marquerait un tournant dans ce procès où le mot « torture » était jusqu’ici tabou.
De son côté, Cheikh Banga a justifié son engagement pour l’indépendance du Sahara occidental en citant saint Augustin : « À une loi injuste, nul n’est tenu d’obéir. » Au président lui reprochant sa ligne de défense, il a rappelé que tous les interrogatoires subis depuis son arrestation en 2010 portaient, pour l’essentiel, sur ses activités politiques. « Les accusés sont tous interrogés sur des PV contestés, consignant des aveux extorqués sous la torture. Par ailleurs, les faits incriminés restent imprécis, on ne sait pas qui est accusé d’avoir tué qui, ni dans quelles circonstances exactes les victimes ont trouvé la mort », déplore Me Olfa Ouled, l’une des avocates françaises des prisonniers sahraouis. De quoi semer le doute jusque dans l’esprit de certains avocats des parties civiles, bien obligés d’admettre, en off, que le dossier ne contient pas l’ombre d’une preuve. En fait, les questions adressées aux accusés ne visent qu’à brosser les contours d’une conspiration politique planifiée depuis l’Algérie. Les causes sociales du soulèvement de Gdeim Izik, pourtant, ne sont pas à rechercher à l’étranger. Elles restent incandescentes. Jeudi, à Laâyoune, des jeunes chômeurs ont occupé un car de l’Office chérifien des phosphates (OCP), menaçant de s’immoler par le feu à l’intérieur du véhicule. Les protestataires ont été évacués sans ménagement, l’opération faisant une douzaine de blessés. À Salé, Ennaâma Asfari, lui, sait bien que son sort se joue hors de la salle d’audience. « Derrière le tribunal, il y a l’État marocain, résume-t-il. À la fin, c’est le roi qui décide. »

L’Union africaine tance le Maroc
Dans une décision datée du 20 mars, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA) appelle le Maroc et la République arabe sahraouie démocratique (RASD) à engager « immédiatement des pourparlers directs et sérieux, sans conditions préalables » pour « surmonter l’impasse actuelle dans le processus de paix au Sahara occidental ».
Journaliste à la rubrique Monde

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