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jeudi 29 juin 2017

Manifestations à Lyon, Paris et Madrid pour la libération des détenus politiques rifains


Maroc. Dans le Rif, « Sa Majesté le peuple  » défie le Palais

Rosa Moussaoui
Jeudi, 22 Juin, 2017
L'Humanité
L’incarcération de dizaines de militants du Hirak, le mouvement populaire qui secoue depuis huit mois cette région frondeuse, ne décourage pas les protestataires. La stratégie de répression et d’isolement du Palais est un échec.
Dans la ville d’Al Hoceïma quadrillée par la police, toute tentative de rassemblement est désormais violemment dispersée et ses instigateurs embarqués. Lundi, c’est une adolescente de 14 ans, Houda Jelloul, qui a été arrêtée et conduite au commissariat central avant d’être relâchée. Elle entendait manifester pour la libération des porte-voix du Hirak, le mouvement social qui embrase la région du Rif depuis huit mois. Parmi ces détenus politiques, son père, Mohamed Jelloul, un syndicaliste incarcéré à la prison d’Oukacha, à Casablanca. Comme ses 47 compagnons, il est accusé de « complot » et d’« atteinte à la sûreté de l’État ». Pour tenter de décapiter le mouvement de protestation, le pouvoir a fait procéder ces dernières semaines à des centaines d’arrestations. Sans réussir à éteindre la révolte allumée le 19 octobre 2016 par la mort de Mouhcine Fikri, ce jeune poissonnier broyé par une benne à ordures alors qu’il tentait de récupérer sa marchandise confisquée par les autorités.
Suite de la page une
La place Mohammed-VI, qu’ils ont rebaptisée place des Martyrs, leur est interdite. Ils ont été chassés des faubourgs par la police. Alors les jeunes d’Al Hoceïma ont trouvé refuge dans les collines, où leurs lanternes s’allument, à la tombée du jour, comme des lucioles. De là-haut, ils chantent, scandent des slogans qui se répondent, comme un écho, d’une butte à l’autre, invectivent, dans l’obscurité, les policiers restés en bas. En jetant en prison les principales figures de la contestation, le pouvoir pensait en finir avec ce mouvement populaire qui défie le Palais. Peine perdue. L’acharnement répressif décuple la colère des Rifains. Au risque de donner aux événements un tour violent. Ces derniers jours, à Al Hoceïma, à Imzouren, lors des affrontements avec la police, de jeunes protestataires répondaient aux tirs de grenades lacrymogènes par ce cri : « Silmya, c’est fini ! » (« Le pacifisme, c’est fini ! »)

Des journalistes croupissent derrière les barreaux

Tout a basculé le 29 mai dernier, avec l’arrestation de Nasser Zefzafi, icône du Hirak. Quelques jours plus tôt, il avait fait irruption, avec d’autres militants, dans la mosquée Mohammed-V d’Al Hoceïma, pour interrompre le prêche d’un imam lié au pouvoir, hostile aux manifestations. Un coup d’éclat inacceptable pour le makhzen, l’appareil monarchique, qui fait du religieux un pilier de légitimité politique. La capture de Zefzafi, après plusieurs jours de cavale, a donné le signal d’une vague d’arrestations qui se poursuit encore. Chaque jour, des activistes sont kidnappés. Des journalistes, coupables d’avoir couvert les manifestations, croupissent derrière les barreaux. Et devant la justice, les premières sentences sont tombées. Elles vont jusqu’à dix-huit mois de prison ferme. Les leaders du mouvement, eux, attendent à la prison d’Oukacha, à Casablanca, que se décide leur sort. Leurs avocats font état d’allégations de torture et de mauvais traitements. De lourdes charges pèsent sur eux.
Zefzafi est accusé, entre autres, de « participation au crime d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État en commettant des violences ayant pour but d’entraîner la dévastation, le massacre et le pillage ». Présenté par le pouvoir comme un « séparatiste » pour avoir revendiqué la reconnaissance effective de la culture et de la langue amazighes (berbères), il est aussi poursuivi pour « réception de dons (…) destinés (…) à mener et à rémunérer au Maroc une activité et une propagande de nature à porter atteinte à l’intégrité, à la souveraineté, ou à l’indépendance du Royaume ». Ce n’est pas la première fois que l’accusation de complot ourdi et financé depuis l’étranger est invoquée pour justifier la répression dans cette région septentrionale enclavée, abandonnée par l’État. En 1984, Hassan II avait utilisé la même vulgate en écrasant les émeutes du pain d’Al Hoceïma. Le même, avant son couronnement, avait supervisé en 1958 la brutale répression d’un soulèvement populaire dans cette région.

Une région placée depuis 1958 sous étroite surveillance militaire

Entre le Rif et le pouvoir central monarchique, la défiance remonte plus loin encore. En 1926, sous l’Arc de triomphe, le sultan n’a-t-il pas participé à la célébration de la défaite d’Abd El Krim El Khattabi, héros de la première guerre de décolonisation, en compagnie des colonisateurs espagnols et français (voir page 6) ? Cette mémoire traumatique n’a cessé d’affleurer dans le mouvement de contestation. Sur les manifestations flotte la bannière amazighe, mais aussi le drapeau de l’éphémère République d’Abd El Krim, un symbole jugé provocateur par le Palais. Zefzafi, lui, n’hésitait pas, avant son arrestation, à se mettre en scène, lors des interviews, aux côtés d’un portrait d’Abd El Krim, personnage effacé de l’historiographie officielle. Dans le Rif, ces contentieux mémoriels n’ont cessé d’attiser le sentiment de marginalisation, avec le soupçon d’une « punition collective » infligée à cette région fière et rebelle, placée depuis 1958 sous étroite surveillance militaire. Et de fait, malgré quelques investissements consentis par Mohammed VI depuis son accession au trône, notamment dans les infrastructures routières, le Rif reste bel et bien délaissé. Le taux de chômage des jeunes y est deux fois plus élevé que dans le reste du pays. Quatre personnes sur dix y sont analphabètes. La région, livrée aux trafics et à la culture du cannabis qui enrichit moins les paysans rifains que les gros barons de la drogue, manque cruellement de services publics de base.
Et le Hirak, parti de la revendication de vérité et de justice pour Mouhcine Fikri, est finalement devenu le symptôme de la crise sociale profonde et des inégalités scandaleuses qui minent tout le Maroc. « Ils sont en prison pour avoir réclamé une université, un hôpital, des routes et des infrastructures pour notre région », résume avec amertume le père de la jeune Silya Ziani, artiste et militante incarcérée à Casablanca, visée, entre autres, pour l’usage de ce slogan : « Sa Majesté le peuple ». Autant de revendications sociales dont l’écho parvient à d’autres régions déshéritées, à d’autres villes où se multiplient les rassemblements de solidarité avec le Rif. D’où la crainte, au Palais, d’un effet de contagion. « Après le Mouvement du 20 février 2011, le pouvoir avait multiplié les promesses d’ouverture, de démocratisation, de transition vers un État de droit, de reconnaissance de la culture amazighe. Mais la nouvelle Constitution, censée entériner de telles avancées, n’a pas été suivie d’effet. Au contraire, le régime s’est durci », résume Khadija Ryadi, de la Coordination maghrébine des organisations de défense des droits humains. De quoi alimenter les frustrations sociales et politiques, sur fond de corruption décomplexée.

Le pouvoir monarchique choisit toujours le verrouillage

À l’épreuve du soulèvement social du Rif, le makhzen hésite sur la marche à suivre. L’appareil sécuritaire se divise entre les partisans d’une ligne répressive dure et ceux qui craignent que cette stratégie du pire ne hâte un embrasement généralisé. Ces jours-ci, des voix autorisées plaident pour des gestes d’apaisement, implorent une grâce royale pour les militants incarcérés. Une Initiative civile pour le Rif réclame « la libération des détenus » et « le retrait des charges qui pèsent contre eux ». « Les revendications du mouvement populaire du Rif sont légitimes (…) Plusieurs chantiers sociaux lancés n’ont pas abouti. Al Hoceïma ressemble à une île isolée », admet son coordinateur, Mohammed Nachnach. Dans les faits, pourtant, le pouvoir monarchique choisit toujours le verrouillage. Sans parvenir à isoler le Rif, ni à décourager la contestation ailleurs. Mardi soir, à Casablanca, malgré l’interdiction du ministère de l’Intérieur, la marche à l’appel de la Confédération démocratique du travail pour commémorer la sanglante répression des émeutes du pain, en 1981, a rassemblé une foule nombreuse, à la lueur des bougies. Avec, omniprésente, l’expression de la solidarité avec le Rif.
Journaliste à la rubrique Monde

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Rosa Moussaoui
Jeudi, 22 Juin, 2017
L'Humanité
L’incarcération de dizaines de militants du Hirak, le mouvement populaire qui secoue depuis huit mois cette région frondeuse, ne décourage pas les protestataires. La stratégie de répression et d’isolement du Palais est un échec.
Dans la ville d’Al Hoceïma quadrillée par la police, toute tentative de rassemblement est désormais violemment dispersée et ses instigateurs embarqués. Lundi, c’est une adolescente de 14 ans, Houda Jelloul, qui a été arrêtée et conduite au commissariat central avant d’être relâchée. Elle entendait manifester pour la libération des porte-voix du Hirak, le mouvement social qui embrase la région du Rif depuis huit mois. Parmi ces détenus politiques, son père, Mohamed Jelloul, un syndicaliste incarcéré à la prison d’Oukacha, à Casablanca. Comme ses 47 compagnons, il est accusé de « complot » et d’« atteinte à la sûreté de l’État ». Pour tenter de décapiter le mouvement de protestation, le pouvoir a fait procéder ces dernières semaines à des centaines d’arrestations. Sans réussir à éteindre la révolte allumée le 19 octobre 2016 par la mort de Mouhcine Fikri, ce jeune poissonnier broyé par une benne à ordures alors qu’il tentait de récupérer sa marchandise confisquée par les autorités.
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La place Mohammed-VI, qu’ils ont rebaptisée place des Martyrs, leur est interdite. Ils ont été chassés des faubourgs par la police. Alors les jeunes d’Al Hoceïma ont trouvé refuge dans les collines, où leurs lanternes s’allument, à la tombée du jour, comme des lucioles. De là-haut, ils chantent, scandent des slogans qui se répondent, comme un écho, d’une butte à l’autre, invectivent, dans l’obscurité, les policiers restés en bas. En jetant en prison les principales figures de la contestation, le pouvoir pensait en finir avec ce mouvement populaire qui défie le Palais. Peine perdue. L’acharnement répressif décuple la colère des Rifains. Au risque de donner aux événements un tour violent. Ces derniers jours, à Al Hoceïma, à Imzouren, lors des affrontements avec la police, de jeunes protestataires répondaient aux tirs de grenades lacrymogènes par ce cri : « Silmya, c’est fini ! » (« Le pacifisme, c’est fini ! »)

Des journalistes croupissent derrière les barreaux

Tout a basculé le 29 mai dernier, avec l’arrestation de Nasser Zefzafi, icône du Hirak. Quelques jours plus tôt, il avait fait irruption, avec d’autres militants, dans la mosquée Mohammed-V d’Al Hoceïma, pour interrompre le prêche d’un imam lié au pouvoir, hostile aux manifestations. Un coup d’éclat inacceptable pour le makhzen, l’appareil monarchique, qui fait du religieux un pilier de légitimité politique. La capture de Zefzafi, après plusieurs jours de cavale, a donné le signal d’une vague d’arrestations qui se poursuit encore. Chaque jour, des activistes sont kidnappés. Des journalistes, coupables d’avoir couvert les manifestations, croupissent derrière les barreaux. Et devant la justice, les premières sentences sont tombées. Elles vont jusqu’à dix-huit mois de prison ferme. Les leaders du mouvement, eux, attendent à la prison d’Oukacha, à Casablanca, que se décide leur sort. Leurs avocats font état d’allégations de torture et de mauvais traitements. De lourdes charges pèsent sur eux.
Zefzafi est accusé, entre autres, de « participation au crime d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État en commettant des violences ayant pour but d’entraîner la dévastation, le massacre et le pillage ». Présenté par le pouvoir comme un « séparatiste » pour avoir revendiqué la reconnaissance effective de la culture et de la langue amazighes (berbères), il est aussi poursuivi pour « réception de dons (…) destinés (…) à mener et à rémunérer au Maroc une activité et une propagande de nature à porter atteinte à l’intégrité, à la souveraineté, ou à l’indépendance du Royaume ». Ce n’est pas la première fois que l’accusation de complot ourdi et financé depuis l’étranger est invoquée pour justifier la répression dans cette région septentrionale enclavée, abandonnée par l’État. En 1984, Hassan II avait utilisé la même vulgate en écrasant les émeutes du pain d’Al Hoceïma. Le même, avant son couronnement, avait supervisé en 1958 la brutale répression d’un soulèvement populaire dans cette région.

Une région placée depuis 1958 sous étroite surveillance militaire

Entre le Rif et le pouvoir central monarchique, la défiance remonte plus loin encore. En 1926, sous l’Arc de triomphe, le sultan n’a-t-il pas participé à la célébration de la défaite d’Abd El Krim El Khattabi, héros de la première guerre de décolonisation, en compagnie des colonisateurs espagnols et français (voir page 6) ? Cette mémoire traumatique n’a cessé d’affleurer dans le mouvement de contestation. Sur les manifestations flotte la bannière amazighe, mais aussi le drapeau de l’éphémère République d’Abd El Krim, un symbole jugé provocateur par le Palais. Zefzafi, lui, n’hésitait pas, avant son arrestation, à se mettre en scène, lors des interviews, aux côtés d’un portrait d’Abd El Krim, personnage effacé de l’historiographie officielle. Dans le Rif, ces contentieux mémoriels n’ont cessé d’attiser le sentiment de marginalisation, avec le soupçon d’une « punition collective » infligée à cette région fière et rebelle, placée depuis 1958 sous étroite surveillance militaire. Et de fait, malgré quelques investissements consentis par Mohammed VI depuis son accession au trône, notamment dans les infrastructures routières, le Rif reste bel et bien délaissé. Le taux de chômage des jeunes y est deux fois plus élevé que dans le reste du pays. Quatre personnes sur dix y sont analphabètes. La région, livrée aux trafics et à la culture du cannabis qui enrichit moins les paysans rifains que les gros barons de la drogue, manque cruellement de services publics de base.
Et le Hirak, parti de la revendication de vérité et de justice pour Mouhcine Fikri, est finalement devenu le symptôme de la crise sociale profonde et des inégalités scandaleuses qui minent tout le Maroc. « Ils sont en prison pour avoir réclamé une université, un hôpital, des routes et des infrastructures pour notre région », résume avec amertume le père de la jeune Silya Ziani, artiste et militante incarcérée à Casablanca, visée, entre autres, pour l’usage de ce slogan : « Sa Majesté le peuple ». Autant de revendications sociales dont l’écho parvient à d’autres régions déshéritées, à d’autres villes où se multiplient les rassemblements de solidarité avec le Rif. D’où la crainte, au Palais, d’un effet de contagion. « Après le Mouvement du 20 février 2011, le pouvoir avait multiplié les promesses d’ouverture, de démocratisation, de transition vers un État de droit, de reconnaissance de la culture amazighe. Mais la nouvelle Constitution, censée entériner de telles avancées, n’a pas été suivie d’effet. Au contraire, le régime s’est durci », résume Khadija Ryadi, de la Coordination maghrébine des organisations de défense des droits humains. De quoi alimenter les frustrations sociales et politiques, sur fond de corruption décomplexée.

Le pouvoir monarchique choisit toujours le verrouillage

À l’épreuve du soulèvement social du Rif, le makhzen hésite sur la marche à suivre. L’appareil sécuritaire se divise entre les partisans d’une ligne répressive dure et ceux qui craignent que cette stratégie du pire ne hâte un embrasement généralisé. Ces jours-ci, des voix autorisées plaident pour des gestes d’apaisement, implorent une grâce royale pour les militants incarcérés. Une Initiative civile pour le Rif réclame « la libération des détenus » et « le retrait des charges qui pèsent contre eux ». « Les revendications du mouvement populaire du Rif sont légitimes (…) Plusieurs chantiers sociaux lancés n’ont pas abouti. Al Hoceïma ressemble à une île isolée », admet son coordinateur, Mohammed Nachnach. Dans les faits, pourtant, le pouvoir monarchique choisit toujours le verrouillage. Sans parvenir à isoler le Rif, ni à décourager la contestation ailleurs. Mardi soir, à Casablanca, malgré l’interdiction du ministère de l’Intérieur, la marche à l’appel de la Confédération démocratique du travail pour commémorer la sanglante répression des émeutes du pain, en 1981, a rassemblé une foule nombreuse, à la lueur des bougies. Avec, omniprésente, l’expression de la solidarité avec le Rif.
Journaliste à la rubrique Monde

Maroc. Dans le Rif, « Sa Majesté le peuple  » défie le Palais

Rosa Moussaoui
Jeudi, 22 Juin, 2017
L'Humanité
L’incarcération de dizaines de militants du Hirak, le mouvement populaire qui secoue depuis huit mois cette région frondeuse, ne décourage pas les protestataires. La stratégie de répression et d’isolement du Palais est un échec.
Dans la ville d’Al Hoceïma quadrillée par la police, toute tentative de rassemblement est désormais violemment dispersée et ses instigateurs embarqués. Lundi, c’est une adolescente de 14 ans, Houda Jelloul, qui a été arrêtée et conduite au commissariat central avant d’être relâchée. Elle entendait manifester pour la libération des porte-voix du Hirak, le mouvement social qui embrase la région du Rif depuis huit mois. Parmi ces détenus politiques, son père, Mohamed Jelloul, un syndicaliste incarcéré à la prison d’Oukacha, à Casablanca. Comme ses 47 compagnons, il est accusé de « complot » et d’« atteinte à la sûreté de l’État ». Pour tenter de décapiter le mouvement de protestation, le pouvoir a fait procéder ces dernières semaines à des centaines d’arrestations. Sans réussir à éteindre la révolte allumée le 19 octobre 2016 par la mort de Mouhcine Fikri, ce jeune poissonnier broyé par une benne à ordures alors qu’il tentait de récupérer sa marchandise confisquée par les autorités.
Suite de la page une
La place Mohammed-VI, qu’ils ont rebaptisée place des Martyrs, leur est interdite. Ils ont été chassés des faubourgs par la police. Alors les jeunes d’Al Hoceïma ont trouvé refuge dans les collines, où leurs lanternes s’allument, à la tombée du jour, comme des lucioles. De là-haut, ils chantent, scandent des slogans qui se répondent, comme un écho, d’une butte à l’autre, invectivent, dans l’obscurité, les policiers restés en bas. En jetant en prison les principales figures de la contestation, le pouvoir pensait en finir avec ce mouvement populaire qui défie le Palais. Peine perdue. L’acharnement répressif décuple la colère des Rifains. Au risque de donner aux événements un tour violent. Ces derniers jours, à Al Hoceïma, à Imzouren, lors des affrontements avec la police, de jeunes protestataires répondaient aux tirs de grenades lacrymogènes par ce cri : « Silmya, c’est fini ! » (« Le pacifisme, c’est fini ! »)

Des journalistes croupissent derrière les barreaux

Tout a basculé le 29 mai dernier, avec l’arrestation de Nasser Zefzafi, icône du Hirak. Quelques jours plus tôt, il avait fait irruption, avec d’autres militants, dans la mosquée Mohammed-V d’Al Hoceïma, pour interrompre le prêche d’un imam lié au pouvoir, hostile aux manifestations. Un coup d’éclat inacceptable pour le makhzen, l’appareil monarchique, qui fait du religieux un pilier de légitimité politique. La capture de Zefzafi, après plusieurs jours de cavale, a donné le signal d’une vague d’arrestations qui se poursuit encore. Chaque jour, des activistes sont kidnappés. Des journalistes, coupables d’avoir couvert les manifestations, croupissent derrière les barreaux. Et devant la justice, les premières sentences sont tombées. Elles vont jusqu’à dix-huit mois de prison ferme. Les leaders du mouvement, eux, attendent à la prison d’Oukacha, à Casablanca, que se décide leur sort. Leurs avocats font état d’allégations de torture et de mauvais traitements. De lourdes charges pèsent sur eux.
Zefzafi est accusé, entre autres, de « participation au crime d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État en commettant des violences ayant pour but d’entraîner la dévastation, le massacre et le pillage ». Présenté par le pouvoir comme un « séparatiste » pour avoir revendiqué la reconnaissance effective de la culture et de la langue amazighes (berbères), il est aussi poursuivi pour « réception de dons (…) destinés (…) à mener et à rémunérer au Maroc une activité et une propagande de nature à porter atteinte à l’intégrité, à la souveraineté, ou à l’indépendance du Royaume ». Ce n’est pas la première fois que l’accusation de complot ourdi et financé depuis l’étranger est invoquée pour justifier la répression dans cette région septentrionale enclavée, abandonnée par l’État. En 1984, Hassan II avait utilisé la même vulgate en écrasant les émeutes du pain d’Al Hoceïma. Le même, avant son couronnement, avait supervisé en 1958 la brutale répression d’un soulèvement populaire dans cette région.

Une région placée depuis 1958 sous étroite surveillance militaire

Entre le Rif et le pouvoir central monarchique, la défiance remonte plus loin encore. En 1926, sous l’Arc de triomphe, le sultan n’a-t-il pas participé à la célébration de la défaite d’Abd El Krim El Khattabi, héros de la première guerre de décolonisation, en compagnie des colonisateurs espagnols et français (voir page 6) ? Cette mémoire traumatique n’a cessé d’affleurer dans le mouvement de contestation. Sur les manifestations flotte la bannière amazighe, mais aussi le drapeau de l’éphémère République d’Abd El Krim, un symbole jugé provocateur par le Palais. Zefzafi, lui, n’hésitait pas, avant son arrestation, à se mettre en scène, lors des interviews, aux côtés d’un portrait d’Abd El Krim, personnage effacé de l’historiographie officielle. Dans le Rif, ces contentieux mémoriels n’ont cessé d’attiser le sentiment de marginalisation, avec le soupçon d’une « punition collective » infligée à cette région fière et rebelle, placée depuis 1958 sous étroite surveillance militaire. Et de fait, malgré quelques investissements consentis par Mohammed VI depuis son accession au trône, notamment dans les infrastructures routières, le Rif reste bel et bien délaissé. Le taux de chômage des jeunes y est deux fois plus élevé que dans le reste du pays. Quatre personnes sur dix y sont analphabètes. La région, livrée aux trafics et à la culture du cannabis qui enrichit moins les paysans rifains que les gros barons de la drogue, manque cruellement de services publics de base.
Et le Hirak, parti de la revendication de vérité et de justice pour Mouhcine Fikri, est finalement devenu le symptôme de la crise sociale profonde et des inégalités scandaleuses qui minent tout le Maroc. « Ils sont en prison pour avoir réclamé une université, un hôpital, des routes et des infrastructures pour notre région », résume avec amertume le père de la jeune Silya Ziani, artiste et militante incarcérée à Casablanca, visée, entre autres, pour l’usage de ce slogan : « Sa Majesté le peuple ». Autant de revendications sociales dont l’écho parvient à d’autres régions déshéritées, à d’autres villes où se multiplient les rassemblements de solidarité avec le Rif. D’où la crainte, au Palais, d’un effet de contagion. « Après le Mouvement du 20 février 2011, le pouvoir avait multiplié les promesses d’ouverture, de démocratisation, de transition vers un État de droit, de reconnaissance de la culture amazighe. Mais la nouvelle Constitution, censée entériner de telles avancées, n’a pas été suivie d’effet. Au contraire, le régime s’est durci », résume Khadija Ryadi, de la Coordination maghrébine des organisations de défense des droits humains. De quoi alimenter les frustrations sociales et politiques, sur fond de corruption décomplexée.

Le pouvoir monarchique choisit toujours le verrouillage

À l’épreuve du soulèvement social du Rif, le makhzen hésite sur la marche à suivre. L’appareil sécuritaire se divise entre les partisans d’une ligne répressive dure et ceux qui craignent que cette stratégie du pire ne hâte un embrasement généralisé. Ces jours-ci, des voix autorisées plaident pour des gestes d’apaisement, implorent une grâce royale pour les militants incarcérés. Une Initiative civile pour le Rif réclame « la libération des détenus » et « le retrait des charges qui pèsent contre eux ». « Les revendications du mouvement populaire du Rif sont légitimes (…) Plusieurs chantiers sociaux lancés n’ont pas abouti. Al Hoceïma ressemble à une île isolée », admet son coordinateur, Mohammed Nachnach. Dans les faits, pourtant, le pouvoir monarchique choisit toujours le verrouillage. Sans parvenir à isoler le Rif, ni à décourager la contestation ailleurs. Mardi soir, à Casablanca, malgré l’interdiction du ministère de l’Intérieur, la marche à l’appel de la Confédération démocratique du travail pour commémorer la sanglante répression des émeutes du pain, en 1981, a rassemblé une foule nombreuse, à la lueur des bougies. Avec, omniprésente, l’expression de la solidarité avec le Rif.
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