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vendredi 18 août 2017

« Le roi est bon, la classe politique est mauvaise », un mythe à bout de souffle ?



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« Le roi est bon, la classe politique est mauvaise », un mythe à bout de souffle ?

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Un texte de Mounia Bennani-Chraïbi, professeure de science politique à l’Université de Lausanne
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Avant-propos
Younes Benmoumen
À la 18ème année du règne de Mohammed VI, la cause est entendue : les partis politiques sont responsables de la crise politique que traverse le Maroc, parce qu’ils sont faibles. Ils ne sont plus en mesure d’assurer la fonction de corps intermédiaire entre la population et les institutions. Leur capacité à encadrer la participation politique des citoyens, puis à l’exprimer dans les institutions élues est en panne. Le Hirak en témoigne depuis presque un an, dans une région où le parti dominant les élections locales n’a jamais pu se constituer en interlocuteur légitime de la population locale. Ce constat est partagé par beaucoup, parce qu’il porte le sceau du sens commun.
Pourtant, ce constat n’est pas nouveau. La contribution de Mounia Bennani-Chraïbi a d’abord le mérite d’énoncer la genèse de « la crise des partis » et de rappeler sa trajectoire chez différents auteurs et disciplines, historiens, politistes et anthropologues. Cette réflexion préalable permet de lever le voile sur les dynamiques qui travaillent aujourd’hui la scène politique marocaine, et qui sont le plus souvent occultées par le discours dominant.
Que nous apprennent-ils sur la « crise des partis » ?  Tout d’abord que dans notre roman national, le parti politique défaillant est un personnage ancien. Il apparaît dès que le Palais s’est imposé en acteur dominant du jeu politique, au détriment des partis du Mouvement national. Pendant une trentaine d’années de plomb, répression, cooptation et fragmentation ont désamorcé le champ partisan en le terrassant. Comme elle le rappelle, les partis « administratifs » ont toujours été créés pour « combler le vide politique », « représenter la majorité silencieuse », attirer les « plus compétents » et mettre efficacement en œuvre « les Hautes orientations royales ».
Aujourd’hui, les élections sont devenues régulières, relativement transparentes et compétitives. Mais ces élections sont encadrées par une ingénierie qui interdit l’émergence d’une majorité parlementaire, et condamne les partis à des coalitions incohérentes. La Monarchie dispose de larges prérogatives, mais sans être soumise à la reddition des comptes. Le multipartisme est mis en avant, mais une partie de l’opposition n’a accès ni à la scène électorale ni aux médias officiels. Ce portrait est sommairement celui d’un autoritarisme électoral, forme de régime politique dont le Maroc est devenu un archétype depuis l’alternance de 1998.
Que nous apprend la littérature académique à ce sujet ? Qu’en substance, la fonction d’un parti politique dans un régime d’autoritarisme électoral est d’être « faible » et « défaillant ». Il sert moins à encadrer, mobiliser et gouverner, qu’à assurer un partage des ressources et des fonctions, « crédibiliser les politiques publiques, donner des signaux aux investisseurs et acteurs internationaux et, surtout, diffuser la responsabilité en cas d’échec ». De ce point de vue, les partis politiques marocains remplissent bien leur rôle. 5% des sièges à la Chambre suffisent à la présider, bloquer un gouvernement et finir par le rejoindre. L’ennui est que ce sont les électeurs qui renâclent.
La crise est donc moins dans les partis, que dans la nature des revendications dirigées vers le pouvoir. Dans le discours, la déflexion de la responsabilité vers les partis ne convainc plus. À El Hoceima, la crise n’a jamais été pour ou contre le PAM, elle a été sans lui. Trop faible, un parti devient inutile. Trop puissant, il rompt l’équilibre de cartel des partis et se montre menaçant pour le Palais. Se focaliser sur la faiblesse des partis revient à occulter la critique du système dont elle est le résultat logique.
Sans être exhaustive, cette analyse permet cependant de réaffirmer la nature institutionnelle du débat. Faut-il que les partis soient faibles pour que la Monarchie soit forte ? L’incapacité ou le refus de débattre de cet enjeu, celui d’un acteur dominant qui perpétue sa domination en la justifiant par la faiblesse du personnel politique, explique le brouillard où se perdent toutes les tentatives de réforme. Ce dilemme coûte cher au pays, puisqu’il ne permet ni la confiance dans les institutions publiques, ni des résultats socio-économiques probants.
En sortir nécessite effectivement l’application pleine et entière des principes constitutionnels, au premier rang desquels la corrélation entre responsabilité et reddition des comptes. Les travaux de Tafra sur les élections législatives marocaines démontrent que le mode de scrutin et les modalités du découpage électoral interdisent l’existence d’une majorité parlementaire cohérente. Or, c’est précisément l’une des conditions à l’exercice de la responsabilité. Ce principe simple est occulté par l’ingénierie électorale, qui fait du Parlement une institution désordonnée et condamnée à l’inefficacité, où les coalitions pléthoriques et hétérogènes sont le meilleur moyen de brouiller la responsabilité de chacun de ses membres.
Le discours royal du 29 juillet fait de la reddition des comptes la pierre angulaire de la mise en œuvre de la Constitution. Mais il nécessite une initiative que personne ne semble aujourd’hui prêt à assumer : rouvrir les débats constitutionnels de 2011, dont la fugacité hypothèque aujourd’hui la mise en œuvre des principes édictés. L’État dispose aujourd’hui d’un exécutif bicéphale. Son chef, drapé de sa légitimité religieuse, préside le Conseil des ministres et dispose de domaines réservés. Il définit les « orientations stratégiques », pourvoit par dahir aux plus hautes fonctions civiles et militaires, nomme et renvoie les ministres. Ce qui reste au Chef du gouvernement, ce « primus inter pares » des élus, justifie-t-il la reddition des comptes ou la rend-il au moins crédible ? Car pour rendre des comptes, encore faut-il en être pleinement responsable. Tel est le contre-récit qui se développe, des manifestations de 2011 à celles du Rif.


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