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samedi 12 août 2017

Les blessures ouvertes du Rif

Hisham Aidi, professeur à Columbia University (School of International and Public Affairs) revient sur l'histoire du Rif depuis les années 20, et de sa famille, pour éclairer les enjeux des affrontements actuels.
Des couvre-feux, des barrages routiers, des points de contrôle sur les autoroutes menant à Al Hoceima au nord-est du Maroc, des quartiers entourés de camions militaires, la police qui s’en prend physiquement aux manifestants, des arrestations massives, des militants enlevés dans les rues : depuis le 26 mai – le premier jour du Ramadan – la ville d'Al Hoceima a été le théâtre d’un chaos continu, qui a atteint son paroxysme lors d’une journée d'affrontements sanglants le 26 juin dernier, que l'on appelle désormais l'Eid noir de 2017. Les tensions sont vives dans le Rif avec d’intenses manifestations depuis octobre 2016 suite au décès aux mains de la police d’un jeune vendeur de poissons, écrasé dans un compacteur de déchets alors qu’il tentait de récupérer ses marchandises confisquées. 

Une sorte de trêve a depuis été négociée à la mi-mai lorsqu’une délégation ministérielle s’est rendue dans la ville d'Al Hoceima en promettant divers projets de développement.
Or le 26 mai, date à laquelle Abdelkrim Al Khattabi – fondateur de la République du Rif – s'était rendu aux Français en 1926, est tombé cette année un vendredi. En début de matinée, des milliers de jeunes se sont rassemblés dans les villes du nord-est du Maroc, brandissant des drapeaux de la république et des pancartes affichant le portrait d'Abdelkrim. Anticipant les problèmes à la veille du Ramadan, le gouvernement de Rabat avait transmis aux imams de la région du Rif le même sermon préventif et quiétiste du vendredi. Lorsque Nasser Zafzafi, impétueux et éloquent leader des manifestants, est entré dans la mosquée principale d'Al Hoceima, l'imam était déjà à la moitié de son sermon intitulé « La sécurité est une bénédiction », mettant en garde les jeunes marocains contre l’appel à la protestation diffusé sur le net et dénonçant les manifestants comme des fauteurs de troubles. Au moment où l'imam marqua une pause, Zafzafi prit la parole, l’accusant de charlatan parrainé par le régime. « Qu'est-ce que fitna peut bien signifier quand nos jeunes ont peu à manger? » « À qui appartiennent les mosquées? À Dieu ou au gouvernement? »
L'imam n'a jamais pu terminer son khutba. Zafzafi a fait son propre sermon face à une foule rassemblée à l'extérieur de la mosquée. Des affrontements de rue ont éclaté entre les manifestants et les forces de sécurité, alors que ces dernières tentaient d'arrêter Zafzafi et son entourage pour « entrave… à la liberté de culte ». Les protestations et les sit-in se sont rapidement répandus dans le nord et dans les principales villes du centre du Maroc. Des milliers de personnes ont traversé le pays en chantant: « Reste en paix, Abdelkrim, nous continuerons ta lutte ! » Le lundi matin suivant, le ministère de l'Intérieur a annoncé que Zafzafi et des dizaines de militants, artistes et journalistes avaient été arrêtés.
Il y a a peine une décennie, une pareille tournure d'événements - des milliers de manifestants à l'échelle nationale brandissant des drapeaux pan-berbères et clamant «Vive le Rif !» - aurait été difficile à imaginer. 



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