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lundi 14 août 2017

«Procès politique» au Sahara occidental

Vendredi 11 août 2017
Le camp sahraoui de Tindouf.DR
En juillet, de nombreux militants pacifiques de la cause sahraouie ont été condamnés par la justice marocaine à de lourdes peines de prison. Les défenseurs du peuple sahraoui en Europe dénoncent une parodie de justice.
A l’aube du 8 novembre 2010, les forces de sécurité marocaine font irruption dans le camp de protestation de Gdeim Izik au Sahara occidental pour l’évacuer. Des affrontements entre des manifestants et la police font des morts des deux côtés, dont onze gendarmes marocains. Près de sept ans après les faits, le 19 juillet dernier, la justice marocaine condamne vingt-trois Sahraouis à de lourdes peines pour l’assassinat des pandores. Huit prévenus écopent de la prison à perpétuité, onze à des peines de 20 à 30 ans d’enfermement, et deux à des périodes de détention de six ans et demi et quatre ans et demi. Ce sont sensiblement les mêmes sanctions qui avaient été décidées par un tribunal militaire en 2013, dont le jugement avait été invalidé par la Cour de cassation marocaine.
Aujourd’hui des ONG telles qu’Amnesty International mettent en évidence les irrégularités du procès et les défenseurs des Sahraouis dénoncent un «simulacre» de justice. Le point avec Christiane Perregaux, membre du Comité suisse de soutien au peuple sahraoui, qui défend depuis plus de quarante ans le droit à l’autodétermination face aux prétentions marocaines de souveraineté sur cette région.
Le procès de Gdeim Izik a été selon vous entaché de graves irrégularités. Quelles sont-elles?
Christiane Perregaux: Les condamnations reposent exclusivement sur des aveux arrachés sous la torture. Tous les accusés ont fait état de ces mauvais traitements et le Comité des Nations Unies contre la torture a condamné le Maroc le 12 décembre dernier, estimant qu’un des accusés, Enaama Asfari, militant connu de la cause sahraouie, avait été torturé. Or, le Maroc a refusé d’appliquer les recommandations de l’ONU. Il s’est contenté de mandater trois médecins pour examiner les prisonniers. Six ans après les faits! Les docteurs ont estimé que les cicatrices ne correspondaient pas aux méthodes de torture alléguées. On peut douter de leur indépendance.
Selon Amnesty International, le fait que les autorités n’aient pas enquêté sur les allégations de torture durant plus de six ans entache le verdict. Quant aux soi-disant témoins qui ont été présentés – là encore six ans après – alors qu’aucun d’entre eux n’était apparu dans le procès précédent, tout démontre qu’ils n’ont pas de crédibilité. Ils étaient dans l’incapacité de décrire les accusés.
L’enquête judiciaire a-t-elle établi les faits de ce qui s’est passé le jour où les policiers marocains ont été tués?
Il n’y a pas eu d’investigation. Le dossier est vide. On ne connaît même pas l’identité des membres des forces de l’ordre tués. Aucune autopsie n’a été fournie. Pas d’information sur les circonstances exactes de leur mort. Qui Enaama Asfari, par exemple, aurait-il tué, où, quand et comment ? Rien dans le dossier ne le précise. Comment peut-on alors le condamner pour meurtre? Il s’agit en réalité d’un simulacre de procès, comme il y en a beaucoup dans ce pays. Le Maroc a toutefois voulu sauver les apparences. La défense a pu s’exprimer lors du procès civil et démonter l’acte d’accusation, malgré les interruptions du président du tribunal, du procureur et de la partie civile. Mais les juges n’ont pris en compte aucun des éléments apportés par la défense.
Enfin, comment expliquer que le verdict et les condamnations soient presque identiques à celles prononcées par le tribunal militaire, alors que la cour de cassation avait cassé le premier jugement? Cela laisse penser à un procès politique. Je m’indigne qu’il n’y ait pas davantage de réactions de la communauté internationale.
Quel était l’objectif de ce camp de protestation?
Son but était de réclamer pacifiquement la fin de la discrimination sociale et économique dont sont victimes les Sahraouis au Sahara occidental occupé et le droit à l’autodétermination. Le camp a compté jusqu’à près de 20 000 personnes. Cela a constitué un mode de résistance inédit qui a préfiguré et devancé les révoltes du Printemps arabe. C’est aussi le point culminant de la résistance pacifique qui se déploie depuis le cessez-le-feu de 1991 entre le Maroc et le Front Polisario.
Le 8 novembre 2010, alors que personne ne s’y attendait, le gouvernement marocain a choisi la répression et attaqué le camp par la force et le feu avec le résultat désastreux que l’on connaît, déclenchant des émeutes dans la ville voisine d’El Ayoun. Des centaines de militants ont été arrêtés et torturés.
Quelle est la situation des droits humains au Sahara occidental?
La population sahraouie est peu à peu devenue une minorité au Sahara occidental occupé puisque la politique du Maroc a été de peupler cette région avec des habitants venus du nord. Les Sahraouis souffrent de discriminations, notamment en matière d’emploi et d’accès au logement. Les libertés d’association et de la presse n’existent pas. Les manifestations sont fortement réprimées. Quant aux militants emprisonnés (on dénombre 59 prisonniers politiques), ils sont envoyés parfois à plus de 1000 kilomètres de chez eux.




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