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samedi 3 février 2018

La liberté de la presse étouffée au Maroc à cause de la révolte du Rif

par Youssef Ouled يوسف أولاد
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: Cerco a la libertad de prensa en Marruecos por las protestas sociales del Rif


Le régime alaouite a emprisonné sept journalistes et communicants critiques qui ont couvert les manifestations, tout en expulsant les correspondants étrangers qui tentaient de faire des reportages sur le mouvement Hirak.
Entre 1981 et 1984, des « émeutes de la faim » eurent lieu au Maroc : un soulèvement populaire qui finit par être écrasé par la répression violente du gouvernement, en particulier dans la région du nord, le  Rif. Les médias nationaux gardèrent  le silence, tandis que les dizaines de journalistes étrangers tentant  de couvrir ces événements furent interdits d'entrée.
La semaine dernière a marqué le 35ème anniversaire de ces événements dans un contexte similaire, où la répression des protestations sociales et l'obstruction au travail des journalistes a été une constante lors des manifestations dans le Rif. Ce mouvement dure depuis plus de 14 mois et a provoqué des dizaines de procès et de condamnations, non seulement de militants, mais aussi de journalistes et de communicants qui l'ont raconté..
Les autorités marocaines utilisent les lois sur la presse pour faire taire les médias indépendants, les tribunaux ont suspendu des sites ouèbes d'information et leurs rédacteurs en chef ont été condamnés à des amendes pour « fausses nouvelles » et « diffamation ». Ces mesures ont conduit Human Rights Watch à dénoncer la régression en termes de droits et libertés publics après une année 2017 marquée par les manifestations. Ces manifestations ont été durement réprimées et leurs acteurs emprisonnés, « battus et maltraités », impliqués dans des « procès inéquitables », disent les critiques. Pour sa part, Freedom House souligne le manque de liberté d'expression et de droit de réunion pacifique, vu la répression et les incarcérations indiscriminées. Dans son index annuel des libertés l’organisation US classe le Maroc dans la catégorie des pays « partiellement libres », en abaissant sa notation du fait de la «  réponse sévère de l'État à de grandes manifestations dans plusieurs régions du pays ».
Mohamed El Asrihi
 L'œil du Rif en prison
Mohamed El Asrihi est l'un des sept journalistes emprisonnés pour avoir couvert les manifestations du Mouvement populaire rifain (Hirak). « Il a toujours été l'œil du Rif, cela fait des années qu’il documente ce qui se passe », explique sa sœur Awatif. Le nouveau Code de la presse et des publication approuvé l'année dernière par le Parlement marocain a éliminé certaines peines de prison pour délits d’opinion en maintenant ceux qui passent les « lignes rouges » : atteinte à la religion, à la monarchie ou à l'intégrité territoriale du royaume, entendez toute allusion au Sahara occidental. Même si ce code a constitué une amélioration significative par rapport à la loi de 2002 sur la presse, il punit les infractions non-violentes ou permet de suspendre des publications ou des sites ouèbes par ordre judiciaire.

Mohamed a été arrêté le 6 juin à 5h30 avec Jawad Al Sabiry, son collègue du portal d’information Rif 24, au début de la vague ’ arrestations de masse de membres du Hirak, en commençant par leur leader, Nasser Zefzafi. Mais son arrestation n'a été confirmée qu'une semaine plus tard. Le journaliste est enfermé à Oukacha (Casablanca), avec 50 autres personnes considérées comme le «noyau» du Hirak ». Il est poursuivi pour « diffusion de fausses nouvelles » et « usurpation de la profession de journaliste », n’ayant pas de carte de presse du ministère de la Communication, selon le code mentionné plus haut..
Nasser Zefzafi
Ce journaliste s’est fait connaîtreen 2011, lors des manifestations qui ont secoué les pays arabes cette année-là. Il a alors documenté les actions de la police dans le village de Boukidan (Al Hoceima). Dans les vidéos, on voit les policiers détruire des biens publics et privés et piller des magasins. Des actes similaires ont été documentées par plusieurs caméras de sécurité lors des manifestations en 2017. Pour cette raison, « ils ont essayé d'ouvrir un procès pour justifier sa détention  », a déclaré sa sœur..
En octobre 2011, après l'assassinat de Kamal Hassani, membre du Mouvement du 20 Février, Mohamed a été arrêté pour avoir filmé la répression des manifestations dans la ville de Beni Bouayach (Al Hoceima). "Il a été battu et emmené en patrouille. Il a été libéré plus tard, il est arrivé à l'hôpital avec plusieurs blessures ", se souvient Awatif. Ils ont également pris sa caméra, mais il avait déjà retiré la carte mémoire.
Mohamed a toujours voulu être journaliste, « il aimait le journalisme, mais il n'avait pas les moyens pour étudier, en plus,  à l'Université de Rabat, ils n'acceptent pas n’importe qui ». Au jour de son arrestation, il avait néanmoins une expérience de dix ans de journalisme. Avant Rif 24 il avait participé à un site similaire, Freerif. Il a même été invité à couvrir des événements officiels. En 2013, il a réalisé un court-métrage sur Abdelkrim El Khattabi, le dirigeant rifain qui a combattu le colonialisme espagnol et a établi la République du Rif entre 1921 et 1927. Pour cela, il a été invité aux Pays-Bas où il a reçu une caméra en  cadeau, celle qui a été saisie par les autorités et à cause de  laquelle il est accusé d'obtenir un financement de l’étranger.
Rabie al-Ablaq
Grève de la faim à risque en prison
 Mohamed a perdu plus de 7,5 kg après la dernière grève de la faim, allant jusqu’à vomir du sang au cours de la dernière audience du procès. « C’est sa troisième grève de la faim», dit sa sœur, qui s’organise avec des parents pour faire le voyage de plus de 500 kilomètres tous les mercredis et visiter son frère quelques heures.
Mohammed El Hilali
D’autres journalistes sont enfermés et en instance de jugement à Oukacha : Hussein al Idrissi (Rif Presse), Abdelali Haddou (Araghi TV), Fouad Assidi (Awar TV) et Rabie al-Ablaq (Badil.Info). Ce dernier a été hospitalisé début août après avoir mené une grève de la faim de 36 jours qui lui a presque coûté la vie. Pour sa part, Mohamed El Hilali, (Rif Presse) a été condamné à cinq mois de prison pour « outrage à fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions » et pratique de sa profession « sans autorisation ». Mais il sera libéré dans le cadre de la grâce royale accordée à certains militants le 30 juillet. Il avait été arrêté après être apparu dans un reportage de la TV espagnole où il critiquait le manque de liberté d'information et dénonçait la manipulation des médias au Maroc.
Journalistes accusés d’incitation à la délinquance
 Le dernier et le plus connu des journalistes emprisonnés est le directeur de Badil.info, Hamid El Mahdaoui, critique de l’entourage du roi Mohamed VI. Il a été arrêté alors qu'il couvrait les manifestations du 20 juillet dans la ville d'Al Hoceima. Condamné cinq jours plus tard à trois mois de prison pour « incitation à commettre des délits par des discours et des cris dans un lieu public », mais le 12 septembre, il a vu sa peine quadruplée. Le nouveau code de la presse ne prévoit pas ce type de peines de prison pour les journalistes, mais les condamnations étaient fondées sur des articles du code pénal comportant des peines plus sévères sur des questions que le gouvernement considère comme sensibles. C'est une personne connue pour sa défense du Hirak, avec de nombreuses vidéos de soutien au mouvement.
El Mahdaoui purge sa peine en attendant un nouveau procès pour d’autres charges, celle de ne pas avoir alerté les autorités sur les appels téléphoniques qu'il aurait reçu d'un homme disant qu’il planifiait l'achat d’armes et leur acheminement au Maroc pour commencer une « guerre ». Le journaliste s’est défendu devant la Cour en disant qu’il ne connaissait pas cet homme et n'avait pas cru ses affirmations. Mais El Mahdaoui a été condamné à de nombreuses reprises pour avoir dénoncé des abus commis par des fonctionnaires . En 2015, il a été condamné par la Direction générale de la sécurité nationale à quatre mois de prison et une amende après avoir signalé la mort de Karim Lachkar, un activiste d'Al Hoceima qui est mort dans des circonstances inconnues durant une garde à vue en mai 2014.
Expulsion de journalistes étrangers
 Après l’étouffement  de la presse nationale, le Makhzen s'est également durci vis-à-vis de la presse internationale, et les expulsions du pays ont été le moyen de faire taire les journalistes étrangers. Le 28 mai, Djamel Alilat, envoyé par le quotidien algérien El Watan pour couvrir les manifestations, a été arrêté à Nador et expulsé pour avoir travaillé « sans autorisation ». Les journalistes espagnols José Luis Navazo et Fernando Sanz Moreno ont été expulsés du pays le 25 juillet. Le 28 Septembre la police marocaine a expulsés moins de deux heures après son atterrissage Saeed Kamali Dehghan, journaliste du quotidien britannique The Guardian, ce qui l’a empêché de réaliser les interviews qu'il avait préparé avec divers militants du Hirak.
Depuis fin mai, quand les arrestations ont commencé, il est presque impossible d'entrer dans le Rif en tant que journaliste. La ville d'Al Hoceima, l'épicentre des manifestations, est aux mains des forces de sécurité, comme l’explique Omar Radi, un journaliste indépendant qui a couvert les manifestations de la région pour Aljazeera English, la BBC ou Middle East Eye, « Ce que les Rifains appelle la militarisation est une réalité, il y a des policiers partout  et tu ne peux pas sortir ton téléphone pour prendre des photos. Il y a aussi des check-points aux entrées des villes ».
Sans médias alternatifs
Pour Radi, les médias alternatifs ne sont pas possibles parce que "le nouveau code de presse condamne toute nouvelle expérience médiatique à ne pas obtenir d’autorisation". Pour créer un site d'informations, c’est nécessaire, "avant ce code ça n’était pas nécessaire", poursuit-il. Pour avoir tenté de couvrir les manifestations, il a été arrêté à la frontière entre Al Hoceima et Izemmouren et a été détenu pendant deux jours. « Ils savaient que j’étais allé faire un travail d’information ». Ils l'ont accusé d'avoir bu de l'alcool, ce qui est interdit. Journaliste depuis 2008, il a tenté sans succès de s’enregistrer depuis 2012, obtenant pour toute réponse un simple non. Ce qui l'amène à collaborer avec des médias étrangers, "aucun média marocain ne veut de mon journalisme", dit-il. Il explique que durant les dernières années du règne d’Hassan II, il y avait moins de censure et plus d'espaces de liberté. Interrogé sur ses craintes pour son intégrité physique, il répond: « Je suis conscient du fait que cet État peut être brutal ».
Dans d'autres espaces comme Facebook on poursuit les gens pour diffamation : Khalid Echejaai, militant du Parti socialiste unifié (PSU) à Temara, au sud de Rabat, a été récemment condamné à un mois de prison pour avoir écrit dans ce réseau social "À basle makhzen (régime)". Un photographe indépendant de 22 ans, actif dans les réseaux sociaux et proche du l'Hirak, s’est refugié en Espagne. Il ne veut pas rendre public son nom «pour des raisons de sécurité», mais il explique que lorsque les autorités ont commencé à arrêter les militants, ils l'ont également recherché. La police a fait irruption dans sa maison le 26 mai. "Ils ne m'ont pas trouvé", se souvient-il, "je m’étais caché dans une ville voisine." Une semaine plus tard, il a reçu un message d'alerte d'un ami: « La police a émis un mandat d'arrêt contre toi » Sa participation au Hirak a consisté en un suivi sur le site ouèbe de nouvelles locales Riflive. "L'objectif était de défendre le Rif, d'exposer la corruption, de donner la parole aux habitants et de créer un équilibre entre les politiciens et le peuple", dit-il. En décembre, après avoir subi trois tentatives d'arrestation, il a décidé de fuir pour éviter de se retrouver à la prison d’Oukacha : « l’étape la plus difficile a été la fuite par la mer, une décision entre la vie et la mort », dit-il.
 
 «  Nous sommes tous le Mouvement populaire » (Hirak El Cha'bbi)
 

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