Un citoyen documentant une manifestation de rue avec un smartphone au Maroc.
© 2017 Mosa'ab Elshamy/AP Photo
 
 
 
(New York) – Les autorités marocaines se servent d’une loi visant à prévenir l’usurpation de fonction pour attaquer pénalement ceux qui tentent de dénoncer des violations des droits humains, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
 
Dans la dernière affaire en date, Nezha Khalidi, affiliée au groupe d’activistes Equipe Media à El-Ayoun, au Sahara occidental, sera jugée le 20 mai 2019, après avoir été accusée de ne pas remplir les conditions requises pour affirmer être journaliste. La police l’a arrêtée le 4 décembre 2018 alors qu’elle diffusait, en direct sur Facebook, une scène de rue au Sahara occidental tout en dénonçant la « répression » marocaine. Elle risque deux ans de prison.
 
« Ceux qui s’expriment pacifiquement ne devraient jamais craindre la prison pour avoir ‘‘prétendu’’ être des journalistes », a déclaré Eric Goldstein, Directeur adjoint Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités ne devraient pas utiliser une loi conçue pour empêcher quelqu’un de non qualifié de prétendre être un médecin, par exemple, pour punir ceux dont les positions leur déplaisent. »
 
L’article 381 du code pénal marocain interdit à « quiconque, sans remplir les conditions exigées pour le porter » de faire usage ou de se réclamer « d’un titre attaché à une profession légalement réglementée (…) ou d'une qualité dont les conditions d’attribution sont fixées par l’autorité publique » et punit les contrevenants d’une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans.
 
L’article 381, quand il est invoqué pour restreindre le journalisme, est incompatible avec l’obligation du Maroc de respecter le droit — garanti par le droit international relatif aux droits humains — de rechercher, recevoir et communiquer informations et idées, a rappelé Human Rights Watch.
 
Le Parlement marocain devrait amender l’article 381 pour exclure le journalisme de son champ d’application, afin de garantir le droit de communiquer librement informations et commentaires.
 
Le 4 décembre 2018, la police a libéré Nezha Khalidi après quatre heures de détention, mais lui a confisqué le smartphone sur lequel elle avait filmé et enregistré une scène de rue, qui s’est terminée par un policier la pourchassant. Le 15 mai, elle a déclaré à Human Rights Watch qu’elle n’avait jamais récupéré son smartphone. Le tribunal de première instance d’El-Ayoun jugera de son affaire.
 
Dans une autre affaire, en avril 2019, la Cour d’appel de Casablanca a confirmé la condamnation d’au moins deux journalistes pour usurpation du titre de journaliste (entre autres chefs d’accusation). La condamnation est intervenue après qu’ils aient diffusé des vidéos de manifestations dans la région du Rif, dans le nord du Maroc, a déclaré leur avocate Bouchra Rouissi à Human Rights Watch. Le tribunal a condamné Mohamed El Asrihi, le directeur du site web d’informations Rif 24, et Fouad Essaidi, l’administrateur de la page Facebook Awar TV, respectivement à cinq ans et trois ans de prison.
 
El Asrihi et Essaidi n'avaient pas d’accréditations officielles en tant que journalistes (ce qu’on appelle au Maroc des « cartes de presse ») et leurs plateformes n'étaient pas officiellement enregistrées. Selon un document judiciaire consulté par Human Rights Watch, El Asrihi était en train de demander une carte de presse et d'enregistrer son site Web lorsqu'il a été arrêté. Rouissi a déclaré que son arrestation était intervenue peu après avoir filmé une tentative d’arrestation de Nasser Zefzafi, leader du mouvement protestataire, en mai 2017.
 
L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Maroc, garantit le droit à la liberté d’expression. Le Comité des droits de l’homme, qui interprète ce traité, a clairement indiqué que « les systèmes généraux d’enregistrement et d’accréditation des journalistes par l’État » sont incompatibles avec la liberté d’expression. Au Maroc, les cartes de presse sont attribuées aux journalistes des médias nationaux par un organe principalement composé de journalistes et d’éditeurs, créé par une loi adoptée en 2016. L’enregistrement des journalistes imposé par la loi, quels que soient ceux qui président au processus d’octroi des cartes de presse, est considéré comme un enregistrement d’état, a déclaré Human Rights Watch.
 
Equipe Media est un collectif de militants qui adhèrent ouvertement à la cause de l’autodétermination du Sahara occidental, territoire dont la plus grande partie est de facto sous contrôle du Maroc depuis les années 1970. Rabat considère le territoire comme marocain et refuse tout référendum d’autodétermination qui offrirait l’indépendance pour option. La communauté internationale ne reconnaît pas l’annexion de facto du Sahara occidental par le Maroc.
 
Khalidi avait également été arrêtée en 2016, alors qu’elle couvrait une manifestation de femmes à El-Ayoun pour le compte d’Equipe Media. Les autorités l’avaient détenue toute la nuit et lui avaient confisqué son appareil photo et sa carte mémoire avant de la relâcher sans inculpation, a-t-elle déclaré à Human Rights Watch.
 
« Fournir des informations, des images et des commentaires sans accréditation officielle ne devrait pas être criminalisé comme devrait l’être l’exercice de la médecine sans diplôme ou la conduite d’un camion sans permis », a déclaré Eric Goldstein.
 https://www.hrw.org/.../16/maroc-une-loi-instrumentalisee-contre-la-liberte-de-la-presse