mercredi 3 décembre 2025

À Alger, un “grand procès” du colonialisme pour demander justice et réparations

Une conférence panafricaine était organisée ces 30 novembre et 1er décembre à Alger. Son ambition : créer un cadre juridique africain et pérenne qui porterait, de façon unifiée, les revendications de reconnaissance et de réparations liées à la période coloniale.

Un mémorial commémore le génocide des Herero et des Nama (1904-1907) perpétré par les troupes coloniales allemandes au cœur de Windhoek, la capitale namibienne. Photo Jürgen Batz/DPA
La Conférence internationale sur les crimes coloniaux en Afrique, la première du genre sur le continent, entendait encadrer les réparations liées à la colonisation européenne. Les 30 novembre et 1er décembre à Alger, des délégations rassemblant officiels, historiens, juristes africains ont ainsi débattu des héritages culturels, économiques, environnementaux et juridiques du colonialisme.
Il s’agit là, affirme Tout sur l’Algérie (TSA), du “grand procès” du colonialisme en Afrique qui, avec la participation d’une quarantaine de pays, entend créer “une plateforme de dialogue”, “consolider la reconnaissance internationale des crimes coloniaux et […] promouvoir des mécanismes concrets de réparation”.
Signe que la colonisation européenne n’est pas considérée comme appartenant à une époque révolue, la conférence a souhaité également “criminaliser le colonialisme, l’esclavage, la ségrégation raciale et l’apartheid”, et les classer comme crimes contre l’humanité.
Cette conférence a débouché sur la “déclaration d’Alger”, laquelle sera soumise en février 2026 au sommet de l’Union africaine (UA), sous l’égide de laquelle elle était placée, indique TSA dans un autre article.
La Déclaration d'Alger a appelé à la proclamation de la journée du 30 novembre “Journée africaine d’hommage aux martyrs et victimes de la traite transatlantique, de la colonisation et de l’apartheid”, sur la base d'une proposition faite par le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune.

Créer un mécanisme africain permanent

Selon le quotidien francophone algérien L’Expression, proche des autorités, plusieurs dossiers ont été examinés. À commencer par “les spoliations économiques massives qui ont structuré – et structurent encore – les relations entre l’Afrique et l’Occident”. Un lien entre passé et présent constamment perceptible dans les sujets abordés à Alger.
Dans un contexte de course mondiale aux matières premières, est notamment visée l’extraction des matières premières africaines “à des prix dérisoires jusqu’aux accords commerciaux asymétriques de l’ère postcoloniale, en passant par le pillage systématique des ressources naturelles (or, diamants, cuivre, uranium, pétrole, bois précieux)”.
Autre point abordé, les crimes environnementaux, notamment avec les essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien (1960-1966) et, au-delà de l’Afrique, en Polynésie. Mais aussi les essais britanniques en Australie et dans le Pacifique, ainsi que la pollution causée par l’exploitation minière et pétrolière.
Enfin, la conférence s’est attachée à créer un mécanisme africain permanent “chargé de coordonner les demandes de réparations, de gérer les processus de restitution du patrimoine et de préserver la mémoire collective”. Ce mécanisme devrait servir de plate-forme unifiée pour porter les revendications africaines dans les instances internationales, précise le titre algérien.
Pour résumer, indique TSA, la conférence entend obtenir des ex-puissances coloniales comme la France, l’Allemagne, la Belgique et l’Italie la reconnaissance officielle des crimes coloniaux, la criminalisation internationale du colonialisme, les réparations et la restitution des biens pillés.

Une mémoire coloniale persistante

Cette conférence a donné lieu à des commentaires de la presse africaine et internationale. Le site marocain Yabiladi estime ainsi qu’elle a surtout servi de tribune aux autorités algériennes dans leur défense des positions du Polisario et du Sahara occidental.
En effet, indique le quotidien britannique The Guardian, cette conférence a également été l’occasion pour Alger de présenter le cas de ce territoire, considéré comme non autonome par l’Organisation des Nations unies (ONU), comme l’exemple d’une décolonisation inachevée. L’Algérie reprend ainsi la position officielle de l’Union africaine, alors même qu’un nombre croissant d’États africains et occidentaux se sont ralliés à celle du Maroc.
De son côté, la presse kényane, à l’instar de Kenyan Foreign Policy, rappelle la dimension panafricaine de l’initiative, cette conférence tenue à Alger étant organisée dans la continuité de la décision de l’Assemblée de l’UA, adoptée en février dernier à Addis-Abeba. Cette dernière avait alors approuvé la création d’une plateforme dévolue à la “justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine par le biais de réparations”.
Quoi qu’il en soit, la conférence s’inscrit dans un mouvement plus large de retour mémoriel sur les conséquences actuelles du colonialisme pour les pays décolonisés. Ainsi, souligne le Guardian, cette même réflexion est menée par des pays des Caraïbes qui, début novembre, ont porté des demandes de réparations et de reconnaissance des crimes coloniaux devant les autorités britanniques.

De la même façon, ces dernières années, les États africains ont intensifié leurs demandes de restitution des objets pillés qui sont encore conservés dans les musées européens.

 

 Déclaration d’Alger sur les crimes coloniaux : des propositions pour la justice et la mémoire

Ce texte ambitionne de devenir une référence continentale pour la codification des crimes coloniaux et pour l’élaboration d’une stratégie africaine de vérité, de justice et de réparations.

Dès ses premières lignes, la Déclaration d’Alger appelle les anciennes puissances coloniales à « assumer pleinement leurs responsabilités historiques à travers la reconnaissance publique et explicite des injustices commises ». Pour les participants, cette reconnaissance constitue une condition essentielle au dialogue et à la réparation des préjudices subis par les peuples africains.

Parmi les principales recommandations figure la création « d’archives numériques panafricaines », un projet destiné à préserver et rendre accessibles les documents relatifs à l’histoire coloniale.

Le texte préconise également «la redéfinition des curricula éducatifs » pour y intégrer de manière plus complète les périodes précoloniales, coloniales et postcoloniales, plaidant aussi pour «la mise en place de mémoriaux, musées et journées de commémoration », considérés comme des outils indispensables pour transmettre l’histoire et renforcer la conscience collective.

Les participants recommandent en outre «la mise en place de Commissions nationales de vérité et réparations » dans les Etats membres de l’Union africaine (UA). Ces instances seraient chargées de documenter les violations historiques, d’accompagner les démarches judiciaires et de garantir «la responsabilisation juridique et morale pour les crimes coloniaux et leurs conséquences durables ».

La Déclaration appelle par ailleurs à renforcer les mécanismes juridiques nationaux, régionaux et internationaux afin de promouvoir «la codification de la criminalisation de la colonisation dans le droit international » et d’assurer «la restitution intégrale des archives ». Un autre point-clé du document concerne la création « d’un Comité panafricain de la Mémoire et de la Vérité historique ».

Ce comité aurait pour mission « d’harmoniser les approches historiques, superviser la collecte des archives, coordonner les centres de recherche africains et produire des analyses et recommandations » destinées aux autorités et institutions du continent.

La Déclaration insiste aussi sur l’importance d’élargir les initiatives de commémoration. Les signataires appellent ainsi à « l’expansion des initiatives de commémoration continentales et nationales », incluant musées, monuments, lieux de mémoire, Journées commémoratives et réformes éducatives visant à mieux ancrer l’histoire coloniale dans l’espace public.

Un volet majeur est consacré à l’impact écologique du colonialisme. Les participants soulignent «la nécessité d’établir une évaluation continentale de l’impact écologique et climatique du colonialisme », ainsi que des besoins de réhabilitation des territoires affectés par les expérimentations nucléaires, chimiques et industrielles.

Ils soutiennent également « l’établissement d’une plateforme africaine de justice environnementale », chargée de recenser les zones touchées et de formuler des recommandations pour leur réhabilitation. Les anciennes puissances coloniales sont exhortées à « assumer leurs responsabilités morales et politiques » et à fournir un soutien financier, technologique et institutionnel aux efforts d’adaptation menés par les pays africains.

Sur le plan éducatif, la Déclaration affirme «la nécessité impérieuse de réformer les systèmes éducatifs africains » afin d’y intégrer pleinement l’histoire générale du continent.

Elle encourage les universités à créer des formations et diplômes consacrés à « la Mémoire, la vérité, la justice historique et le droit aux réparations », ainsi qu’une plateforme continentale dédiée aux chercheurs spécialistes du colonialisme. La restitution du patrimoine culturel constitue également un axe important.

Le texte réaffirme le droit des peuples africains à la « restitution inconditionnelle des ressources culturelles», comprenant artefacts, manuscrits, archives, objets sacrés et restes ancestraux emportés durant la période coloniale.

Enfin, la Déclaration d’Alger insiste sur « l’engagement d’un audit continental » évaluant l’impact économique du colonialisme. Cet audit doit mener à une stratégie de réparations incluant « des compensations pour les richesses pillées, l’annulation de la dette et un financement équitable du développement ».

Les signataires appellent aussi à une réforme profonde de l’architecture financière internationale afin de démanteler « l’héritage colonial » toujours présent dans les institutions économiques mondiales. Le document sera soumis au Sommet de l’Union africaine de février 2026 pour examen et adoption.

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