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Gilbert Collard, lepéniste devenu zemmourien, n'en rate pas une !


 

mardi 24 juin 2025

“Ça peut arriver à n’importe qui” : la peur des immigrés de Torrejón après le meurtre dAbderrahim par un policier

Guillermo Martínez, elDiario.es, 21/6/2025
 Traduit par Tafsut Aït Baâmrane
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La communauté africaine immigrée de Torrejón a exprimé sa crainte que ce qui s’est passé mardi dernier, lorsqu’un policier municipal de Madrid a étranglé un homme d’origine maghrébine, puisse se reproduire. Aujourd’hui, ils se sont rassemblés pour condamner ce crime

Rassemblement après la mort d’Abderrahim, étranglé par un policier mardi dernier

Les immigrés de Torrejón de Ardoz ont peur. « S’ils ont fait ça à Abderrahim, ils peuvent le faire à n’importe lequel d’entre nous à tout moment », a critiqué une femme marocaine ce matin lors du rassemblement pour dénoncer le « meurtre », comme l’ont qualifié les organisateurs [et comment auraient-ils du le qualifier ?,NdlT], de cet immigré de 35 ans par un policier mardi dernier. Elle n’était pas la seule à exprimer sa crainte que les forces de l’ordre agissent de cette manière. « S’il avait volé ou fait quoi que ce soit, la loi est là pour ça. Personne ne peut ôter la vie à quelqu’un de cette manière », a déclaré un autre jeune homme.

Il fait référence à l’étranglement qu’un policier municipal de Madrid a infligé à sa victime à l’aide d’un mataleón [étranglement arrière, rear naked choke], une technique d’immobilisation très dangereuse qui a finalement causé sa mort. C’est pourquoi la plateforme Corredor en Lucha [Corridor en lutte], formée par divers collectifs de la région et des centres sociaux de Torrejón, a organisé ce rassemblement auquel ont participé 250 personnes selon les organisateurs et la délégation du gouvernement.

« Aucune personne n’est illégale », « indigène ou étranger, même classe ouvrière » et « assez de racisme policier » sont quelques-uns des slogans qui ont été scandés pendant la manifestation, malgré une chaleur qui n’a pas empêché les proches d’Abderrahim de se rendre sur place. Quelques minutes après midi, ils sont arrivés avec des photos de son visage et se sont montrés très affectés par cette perte. Mimoun Akkouh, le père de la victime, a déclaré à elDiario.es qu’« il est impossible de vivre » après ce qui s’est passé : « Comment tu vas manger ? Comment tu vas dormir ? Ils ont tué mon fils. Ma famille vit à Torrejón depuis 32 ans et nous n’avons jamais eu de problèmes ».

Ils ne demandent que justice

Auparavant, Akkouh avait pris le micro pour partager sa douleur et sa tristesse avec les personnes présentes, mais aussi sa colère et son indignation. « S’il est vrai qu’il a volé le téléphone portable, qu’on l’arrête, qu’il paie une amende ou qu’il aille en prison, mais toujours dans le respect de la loi. C’est tout ce que nous demandons, la justice », a-t-il lancé devant les cris de la foule rassemblée.

Le policier municipal est en liberté sous contrôle judiciaire et fait l’objet d’une enquête pour homicide involontaire, ce que certaines personnes présentes à la manifestation voient d’un mauvais œil. « Si vous passez 15 minutes à étouffer une personne, vous vous rendez compte qu’elle perd peu à peu son souffle. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’imprudence », a soutenu Mouhciwe.

 

Le père de la victime pendant le rassemblement


 Originaire du Maroc, il vit depuis quatre ans à Torrejón et considère que ce qui s’est passé est « inadmissible », « d’autant plus venant d’un policier, qui est censé protéger les gens », a-t-il souligné. Il a également qualifié d’« inacceptable » le fait que certaines personnes défendent l’action du policier au motif qu’Abderrahim avait tenté de lui voler son téléphone portable auparavant. « On ne peut pas se faire justice soi-même et tuer comme ça. La peine de mort n’existe même pas dans ce pays », a-t-il ajouté.

Alors que des dizaines de personnes autour de lui scandaient des slogans tels que « vous, les racistes, vous êtes les terroristes », Mouhciwe a déclaré avoir peur. « Nous avons tous vécu des situations de racisme. Si Abderrahim avait été blanc, je suis sûr qu’ils ne l’auraient pas tué », a-t-il déclaré.

La peur face à la montée du racisme

À quelques mètres de lui, deux femmes se réfugiaient à l’ombre. Elles ont préféré ne pas donner leurs noms, mais ont affirmé qu’elles ne s’attendaient pas à ce qu’un événement de cette ampleur se produise à Torrejón. « S’il s’agit d’un délinquant, que la justice fasse son travail, mais pas qu’un policier le tue. On ne tue même pas les chiens de cette manière », a critiqué l’une d’elles.

Ces deux femmes ont affirmé qu’elles ressentaient une certaine crainte face au racisme qui ne cesse de croître, pour reprendre leurs propres termes. « On vous insulte dans la rue et certaines personnes pensent que tout ce qui va mal est la faute des moros [terme péjoratif pour désigner les Maghrébins]. Peu leur importe que vos enfants soient nés ici, rien que parce qu’ils ont la peau plus foncée, ils les agressent et leur disent de retourner dans leur pays. J’ai aussi peur pour eux », a commenté l’autre. Toutes deux vivent à Torrejón depuis deux décennies et connaissent la famille d’Abderrahim. « Si ça arrive avec un policier, cela signifie qu’on ne peut plus faire confiance à personne. Allons-nous les appeler quand nous aurons un problème ? Espérons que justice sera faite », ont-elles souligné.


Famille et connaissances d’Abderrahim à Torrejón

La mobilisation a rassemblé de nombreux jeunes. L’un d’entre eux, qui n’a pas souhaité révéler son nom, a souligné qu’ils étaient « dévastés ». Comme il l’a expliqué, « tout le monde peut se tromper, et cet homme souffrait d’une maladie mentale, car j’ai vu les rapports médicaux que possède la famille ». Il a 26 ans et est arrivé à Torrejón avant d’avoir atteint l’âge d’un an. « Maintenant, nous avons peur que quelque chose comme ça puisse nous arriver, car cela aurait déjà pu nous arriver. Cela peut arriver à n’importe qui. N’importe lequel d’entre nous aurait pu être Abderrahim cette nuit-là », a-t-il souligné.

Contre la violence policière

Le rassemblement a eu lieu sur la place d’Espagne à Torrejón, qui était à midi complètement encerclée par des fourgons de police postés à chacune de ses entrées. Carlos Buendía, porte-parole de Corredor en Lucha, a critiqué devant les personnes présentes, selon ses propres termes, le mépris de certaines personnes envers la classe ouvrière migrante qui ne peut pas se rendre en Espagne en avion. Il a également dénoncé les « brigades racistes » de policiers qui opèrent régulièrement dans la gare RENFE de la ville, la manifestation ayant eu lieu à quelques mètres de la gare. Les militants ont alors crié « Stop à la violence policière ».


L’affiche du rassemblement

L’ancien député de l’Assemblée de Madrid et membre de Podemos, Serigne Mbayé, était également présent : « Nous remplirons les rues, nous remplirons les places, et ni la chaleur, ni le froid, ni le vent ne nous empêcheront de dénoncer le racisme institutionnel », a-t-il déclaré. La mobilisation a également bénéficié du soutien de diverses organisations politiques et sociales de gauche.

Environ une heure après le début du rassemblement, Buendía a lu aux personnes présentes un communiqué signé par Corredor en Lucha : « Mardi dernier, un nouveau cas de racisme institutionnel s’est produit à quelques rues d’ici. Deux policiers hors service ont étouffé à mort un jeune homme de 35 ans devant de nombreux témoins qui exigeaient qu’ils cessent d’agresser le jeune homme d’origine maghrébine, Abderrahim », a-t-il déclaré.

Le porte-parole a ensuite énuméré d’autres cas de racisme, tels que « les centaines de personnes qui meurent en Méditerranée, notre camarade Mbaye assassiné en 2018 à Lavapiés, le meurtre de Lucrecia, le massacre du Tarajal, les milliers de morts du génocide palestinien aux mains du sionisme ».

La plateforme a donc exigé « que des responsabilités soient assumées pour le meurtre brutal d’Abderrahim » et a appelé « toute la classe ouvrière du Corredor del Henares* à s’organiser pour mettre fin à l’offensive raciste du régime ». « Parce qu’aucune vie ne vaut moins qu’une autre, parce que l’offensive du capital doit cesser, parce qu’il faut en finir avec la résignation, parce qu’il est temps de se battre », a-t-il conclu alors que la place scandait en chœur : « Vous n’êtes pas seuls, nous sommes avec vous ».

NdlT
Le Corredor del Henares (Corridor du Henares) est un axe résidentiel, industriel et commercial développé dans la plaine du fleuve Henares, autour de l'autoroute Nord-Est et de la ligne ferroviaire Madrid-Barcelone, entre les villes espagnoles de Madrid et Guadalajara.

Il englobe des villes hautement industrialisées telles que Coslada, San Fernando de Henares, Torrejón de Ardoz, Alcalá de Henares, Azuqueca de Henares et Guadalajara, qui forment une agglomération urbaine de plus de 600 000 habitants, et un continuum urbain industriel avec des zones industrielles et commerciales qui se développent autour des principaux axes de communication.

 

dimanche 22 juin 2025

Le plan de bataille initial pour une nouvelle guerre contre l’Iran
Ce que des “sources fiables” à Washington ont murmuré à l’oreille de Seymour Hersh

Cet article, publié par  son auteur le 19 juin, a vu ses prévisions confirmées - FG, Tlaxcala

Seymour Hersh, 19/6/2025

Le guide suprême iranien Ali Khamenei assiste à une cérémonie marquant le trente-sixième anniversaire de la mort de Ruhollah Khomeini au mausolée Khomeini à Téhéran, le 4 juin. Photo Bureau de presse du guide iranien

Voici un rapport sur ce qui va très probablement se passer en Iran, dès ce week-end, selon des initiés israéliens et des responsables usaméricains qui ont été des sources fiables depuis des décennies. Cela impliquera de lourds bombardements usaméricains. J’ai vérifié ce rapport auprès d’un fonctionnaire usaméricain de longue date à Washington, qui m’a dit que tout serait « sous contrôle » si le guide suprême iranien Ali Khamenei « disparaissait ». On ne sait pas exactement comment cela pourrait se produire, à moins qu’il ne soit assassiné. On a beaucoup parlé de la puissance de feu usaméricaine et des cibles en Iran, mais, pour autant que je sache, peu de réflexions pratiques ont été menées sur la manière de se débarrasser d’un chef religieux vénéré qui compte d’énormes partisans.

Je couvre à distance la politique nucléaire et étrangère d’Israël depuis des décennies. Mon livre publié en 1991, The Samson Option, raconte l’histoire de la fabrication de la bombe nucléaire israélienne et la volonté des USA de garder ce projet secret. La question la plus importante qui reste sans réponse concernant la situation actuelle est la réaction du monde, y compris celle de Vladimir Poutine, le président russe qui est un allié des dirigeants iraniens.

Les USA restent le plus important allié d’Israël, même si beaucoup de personnes ici aux USA et dans le monde entier abhorrent la guerre meurtrière que mène Israël à Gaza. L’administration Trump soutient pleinement le plan actuel d’Israël visant à éliminer toute trace de programme d’armement nucléaire en Iran, tout en espérant que le gouvernement dirigé par les ayatollahs à Téhéran sera renversé.

On m’a dit que la Maison Blanche avait donné son feu vert à une campagne de bombardements intensifs sur l’Iran, mais les cibles ultimes, les centrifugeuses enfouies à au moins quatre-vingts mètres sous terre à Fordow, ne seront pas frappées avant le week-end, à l’heure où j’écris ces lignes. Ce report est dû à l’insistance de Trump, car le président souhaite que le choc du bombardement soit atténué autant que possible à l’ouverture de la Bourse de Wall Street lundi. (Trump a contesté ce matin sur les réseaux sociaux un article du Wall Street Journal affirmant qu’il avait décidé d’attaquer l’Iran, écrivant qu’il n’avait pas encore pris de décision quant à la marche à suivre).

Fordow abrite la majorité des centrifugeuses les plus avancées d’Iran qui, selon les derniers rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique, dont l’Iran est signataire, ont produit 900 livres [=408 kg.] d’uranium enrichi à 60 %, soit un peu moins que le niveau requis pour la fabrication d’armes nucléaires.

Les dernières frappes aériennes israéliennes sur l’Iran n’ont pas cherché à détruire les centrifugeuses de Fordow, qui sont stockées à au moins 80 mètres sous terre. Il a été convenu, mercredi, que des bombardiers usaméricains équipés de bombes capables de pénétrer à cette profondeur commenceront à attaquer les installations de Fordow ce week-end.

Ce délai permettra aux forces militaires usaméricaines présentes au Moyen-Orient et en Méditerranée orientale (il y a plus d’une vingtaine de bases aériennes et navales usaméricaines dans la région) de se préparer à d’éventuelles représailles iraniennes. On suppose que l’Iran dispose encore de certaines capacités en matière de missiles et d’aviation qui figureront sur les listes de bombardement usaméricaines. « C’est l’occasion de se débarrasser une fois pour toutes de ce régime », m’a déclaré aujourd’hui un responsable bien informé, « alors autant voir les choses en grand ». Il a toutefois précisé qu’il ne s’agirait pas d’un bombardement intensif.

Les bombardements prévus ce week-end auront également de nouvelles cibles : les bases des Gardiens de la révolution, qui ont contré ceux qui faisaient campagne contre les dirigeants révolutionnaires depuis le renversement violent du shah d’Iran au début de 1979.

Les dirigeants israéliens, sous la houlette du Premier ministre Benjamin Netanyaohu, espèrent que les bombardements fourniront « les moyens de créer un soulèvement » contre le régime iranien actuel, qui a montré peu de tolérance envers ceux qui défient les dirigeants religieux et leurs édits. Les commissariats de police iraniens seront frappés. Les bureaux gouvernementaux qui abritent les dossiers des dissidents présumés en Iran seront également attaqués.

Les Israéliens espèrent apparemment aussi, si j’ai bien compris, que Khamenei fuira le pays et ne tiendra pas bon jusqu’au bout. On m’a dit que son avion personnel avait quitté l’aéroport de Téhéran tôt mercredi matin à destination d’Oman, accompagné de deux avions de chasse, mais on ne sait pas s’il était à bord.

Seuls deux tiers des 90 millions d’Iraniens sont persans. Les plus grands groupes minoritaires comprennent les Azéris, dont beaucoup ont depuis longtemps des liens secrets avec la CIA, les Kurdes, les Arabes et les Baloutches. Les Juifs constituent également une petite minorité dans ce pays. (L’Azerbaïdjan abrite une grande base secrète de la CIA pour ses opérations en Iran).

Le retour du fils du shah, qui vit actuellement en exil près de Washington, n’a jamais été envisagé par les stratèges usaméricains et israéliens, m’a-t-on dit. Mais il a été question, au sein du groupe de planification de la Maison Blanche dont fait partie le vice-président J.D. Vance, d’installer un leader religieux modéré à la tête du pays si Khamenei était destitué. Les Israéliens se sont vivement opposés à cette idée. « Ils se fichent complètement de la question religieuse, mais exigent une marionnette politique à contrôler », a déclaré ce fonctionnaire usaméricain de longue date. « Nous sommes en désaccord avec les Izzies [Israéliens en argot washingtonien] sur ce point. Il en résulterait une hostilité permanente et des conflits futurs à perpétuité, Bibi essayant désespérément d’attirer les USA comme allié contre tout ce qui est musulman, en utilisant le sort des citoyens comme appât propagandiste. »

On m’a dit que les services de renseignement usaméricains et israéliens espèrent que des éléments de la communauté azérie se joindront à une révolte populaire contre le régime au pouvoir, si celle-ci venait à se développer pendant les bombardements israéliens. On pense également que certains membres des Gardiens de la révolution se joindraient à ce qui pourrait être, selon mes informations, « un soulèvement démocratique contre les ayatollahs », une aspiration de longue date du gouvernement usaméricain. Le renversement soudain et réussi de Bachar al-Assad en Syrie a été cité comme un modèle potentiel, bien que la chute d’Assad soit survenue après une longue guerre civile.

Il est possible que les bombardements massifs israéliens et usaméricains plongent l’Iran dans un état d’échec permanent, comme cela s’est produit après l’intervention occidentale en Libye en 2011. Cette révolte a abouti au meurtre brutal de Mouammar Kadhafi, qui maintenait sous contrôle les tribus disparates du pays. L’avenir de la Syrie, de l’Irak et du Liban, tous victimes d’attaques extérieures répétées, est loin d’être réglé.

Donald Trump souhaite clairement remporter une victoire internationale qu’il pourra exploiter. Pour y parvenir, lui et Netanyahou mènent les USA vers des horizons inédits.

samedi 21 juin 2025

Hammouchi (DGSN/DGST) contre Mansouri (DGED) : la guerre des barbouzes bat son plein et fait des victimes collatérales

Ignacio Cembrero, El Confidencial, 19/6/2025

Traduit par Tafsut Aït Baâmrane

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Listen to our podcast The Power Struggle Within Moroccan Intelligence: A Deep Dive into Hammouchi and Mansouri

Des dizaines de personnes proches de Mehdi Hijaouy, ancien « numéro 2 » de l’agence de renseignement extérieur marocaine, dont deux commissaires, ont été arrêtées et emprisonnées. La répression touche des membres des  familles, ce qui n’était pas le cas pour les opposants.


Abdellatif Hammouchi, 59 ans, le super-flic du Maroc, fait la une des médias marocains tous les jours. Journaux et télévisions glorifient son succès lors des journées portes ouvertes organisées par la Sûreté Nationale en mai à El Jadida, avec 2,4 millions de visiteurs, ou son intervention à la 13e   rencontre internationale des hauts représentants chargés des questions de sécurité à Moscou, qui consolide « son rôle de figure centrale dans le domaine de la sécurité et du renseignement au niveau planétaire ».

Dans les coulisses, Hammouchi livre cependant une guerre sans merci contre la Direction Générale des Études et de la Documentation (DGED), le service secret extérieur dirigé par Yassine Mansouri. Cela a commencé par l’arrestation de dizaines de collaborateurs, amis et même  membres de la famille de Mehdi Hijaouy, 52 ans, qui fut en son temps le « numéro deux » de la DGED. Maintenant, c’est au tour de Yassine Mansouri, le directeur de la DGED. Le journal Barlamane, porte-parole fidèle de l’appareil de sécurité, a demandé samedi qu’une enquête soit ouverte sur l’acquisition de ses propriétés.


Mansouri avait déjà disparu de la salutation protocolaire au roi Mohammed VI à Tétouan à l’occasion de l’Aïd el-Adha, la plus grande fête de l’islam célébrée le samedi 7. Depuis, des rumeurs circulent sur sa disgrâce. Camarade de classe du roi Mohammed VI, Mansouri est en poste depuis 20 ans et était l’un des hommes les plus puissants du royaume.

Mehdi Hijaouy a fui le Maroc pour l’Espagne l’année dernière suite à de sérieux désaccords avec les autorités marocaines, qui ont demandé son extradition en septembre pour, entre autres motifs, avoir encouragé l’émigration illégale vers l’Espagne. Craignant d’être livré, il s’est rendu clandestinement en novembre dans un autre pays européen où il se cache.

La révélation de son séjour à Madrid a donné lieu à la publication d’une infinité d’articles injurieux dans la presse marocaine. « Mehdi Hijaouy : faux expert, vrai escroc », a titré, par exemple, Hespress, le journal numérique le plus lu, qui avait pourtant publié pendant des années des tribunes de l’ex-espion. Les journaux ont également mis en doute qu’il ait été le « numéro deux » de l’espionnage, le décrivant comme un simple pion. Claude Moniquet, un ancien agent de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure française, a cependant confirmé en mai sur les réseaux sociaux qu’il avait occupé ce poste. Il a loué au passage « son expérience et ses réflexions » consignées dans un livre. Hijaouy a même agi en tant que chef suprême de l’agence lorsque Mansouri, le directeur, était en congé maladie prolongé.

Les attaques de la presse contre Hijaouy n’ont été que la première salve. Ensuite, il y a eu de nombreuses autres offensives menées par la Brigade Nationale de la Police Judiciaire (BNPJ), un corps d’élite sous les ordres de Hammouchi. Celui-ci détient un grand pouvoir car il est non seulement à la tête de la Sûreté Nationale (police) mais aussi de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire (DGST), dédiée au contre-espionnage et à la lutte antiterroriste.

La BNPJ, qui mène habituellement de grandes enquêtes criminelles, se consacre désormais à élucider les prétendues irrégularités dans l’exploitation du centre de beauté Musky à Rabat, appartenant à l’épouse de Hijaouy, exilée à Madrid. Dans le cadre de ces enquêtes, la brigade policière a fini par convoquer la belle-sœur de Hijaouy, a fermé le centre, a également arrêté le chef de l’urbanisme et le directeur des services de la mairie de Rabat, qui avait accordé le permis d’ouverture, et a interrogé la mairesse de Rabat, Fatiha el Moudni.

Une vingtaine de victimes collatérales

Ces personnes n’ont pas été emprisonnées, mais dans le cercle d’amis de Hijaouy, plusieurs sont derrière les barreaux, purgeant, après un procès express, des peines de quelques années, mais pour des délits farfelus. Au Maroc, la justice n’est pas indépendante. Le cas le plus frappant est celui d’un commissaire de police, Khalid Bouatlaoui, 62 ans, qui a écopé de trois ans bien qu’il soitr le frère de Fouad Bouatlaoui, chef de la sécurité du prince héritier Moulay Hassan. Ce dernier a toujours montré son appréciation pour le travail du policier dédié à sa protection et a mis son veto à son transfert.

Au total, pour l’instant, une vingtaine de personnes ont été les victimes collatérales au Maroc de la fuite de Hijaouy du pays et de sa présence dans une cachette quelque part en Europe. La presse marocaine et les porte-parole officieux des autorités assurent, cependant, que Hijaouy comptait au moins deux collaborateurs connus à l’étranger. Les familles des deux hommes au Maroc sont également la cible de la redoutable brigade judiciaire. Le premier est Hicham Jerando, un youtubeur marocain basé à Montréal (Canada) d’où il lance des injures contre les autorités de Rabat, parfois émaillées d’informations sur de prétendus scandales de corruption étayées par des documents qu’il montre devant la caméra. L’une de ses sources serait Hijaouy lui-même qui se vengerait de cette manière.

Hicham Jerando a été condamné par contumace à 15 ans de prison par un tribunal de Rabat. Sept de ses proches ont été condamnés à des peines allant de deux mois à trois ans de prison pour complicité avec le prétendu diffamateur. Parmi eux figurent son neveu, qui passera trois ans en prison, et son beau-frère, condamné à deux ans. La police judiciaire a outrepassé ses droits et a même arrêté pendant quelques heures une nièce de Jerando, âgée de 14 ans, qui souffre d’une maladie rare. Comme elle ne pouvait pas la rendre à ses parents, les ayant arrêtés, elle a fini par l’interner dans un centre pour mineurs.


Mustafa Aziz dans un duo burlesque avec un autre personnage de karakouz, Farhat Mehenni, qui n'est rien moins que le “Président du 
Gouvernement Kabyle en Exil”

Le deuxième ami de Hijaouy à l’étranger est Mustafa Aziz, un homme d’affaires marocain octogénaire basé à Paris qui a travaillé pendant des années en Afrique pour le compte de Yassine Mansouri, le chef du service secret extérieur. Sa tâche consistait à recueillir un soutien à la « marocanité » du Sahara Occidental. Avec Hijaouy, il a récemment fondé « Le Maroc de demain », une association d’immigrés en Europe.

Avant que son fils Hadi ne soit condamné à deux ans, Mustafa Aziz a mis en ligne quelques vidéos dans lesquelles il exprime son incompréhension et son indignation que Rabat ait porté un coup si bas à quelqu’un comme lui qui s’est démené pour défendre discrètement les intérêts de son pays. Aziz est « un fugitif condamné pour fraude », lui a répondu la presse officielle marocaine, rappelant une escroquerie qu’il a commise il y a des années via l’une de ses entreprises.

Cyberattaques et révélations

De nombreux opposants marocains ont été emprisonnés dans des prisons officielles ou clandestines depuis que le pays a accédé à l’indépendance en 1956. Leurs familles souffrent de ces incarcérations pour de multiples raisons comme la difficulté à rendre visite aux détenus, l’isolement auquel ils sont soumis ou le manque de soins médicaux. Le système policier ne s’était cependant jamais acharné sur elles, comme c’est le cas actuellement avec les proches de Mehdi Hijaouy qui se sont retrouvés derrière les barreaux.

L’objectif de Hammouchi est d’abord de forcer Hijaouy à se taire– il détient des informations sur l’utilisation de Pegasus par le Maroc – puis à revenir et à se rendre, selon une source de renseignement européenne. Au milieu de cette série de règlements de comptes, des documents sur les actifs immobiliers de Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, et, surtout, de Yassine Mansouri ont fait surface sur les réseaux.

Les révélations sont le produit d’un piratage par Jabaroot DZ, un prétendu groupe de hackers algériens, de la base de données de l’Agence Nationale de l’Enregistrement Foncier ou peut-être de Tawtik, une plateforme du Conseil National de l’Ordre des Notaires.

Mansouri a acquis au Maroc entre 2022 et 2023 des propriétés d’une valeur de 3,266 millions d’euros, selon ces documents, jamais démentis, qui circulent abondamment sur les réseaux sociaux. Le journaliste marocain Ali Lmrabet, exilé à Barcelone, a consacré une longue analyse sur sa chaîne YouTube pour tenter de démontrer que cet argent ne pouvait provenir de son salaire, équivalent à celui d’un ministre, et que son origine était autre.

De manière surprenante, le  journal Barlamane s’est rallié samedi aux soupçons du journaliste exilé. Il a même demandé l’ouverture d’une enquête sur l’acquisition par des fonctionnaires des propriétés figurant dans les documents piratés. Il ne donne pas de noms, mais il fait référence à Nasser Bourita et Yassine Mansouri. Dirigé par Mohamed Khabbachi, ancien porte-parole du ministère de l’Intérieur, Barlamane est le journal de Hammouchi.

Le piratage du registre notarial a été le deuxième, en moins de deux mois, à révéler des données troublantes. Le précédent, en avril, visait la Trésorerie Nationale de la Sécurité Sociale et a mis au jour des informations sur ses deux millions d’affiliés, parmi lesquels Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi. Pour gérer Siger, le holding royal, il perçoit l’équivalent d’environ 120 000 euros par mois.

La dernière cyberattaque réussie a eu lieu le 8 juin et sa cible était le ministère de la Justice, dont des données sur 5 000 juges et 35 000 autres fonctionnaires ont été volées. Ces deux dernières attaques massives ont également été menées par les Algériens de Jabaroot DZ qui sont devenus un défi pour tous les services de sécurité du Maroc. Ils sont si efficaces pour infiltrer les bases de données que certains à Rabat soupçonnent qu’ils sont liés aux services secrets algériens.

 

 

 

jeudi 19 juin 2025

Engagés, mais pas mariés

Anass Hajoui, lebrief.ma,  19/06/25 

Il arrive un moment, souvent entre deux tableaux Excel et un mail envoyé à 22h38, où certains patrons lèvent les yeux et s’interrogent : « Mais… pourquoi ils ne travaillent pas comme moi ? ».

La question n’est pas nouvelle. Mais elle revient régulièrement chez les dirigeants qui donnent tout, et parfois plus que tout, à leur boîte. Disponible à toute heure. Joignable même en vacances. Toujours en train de penser à demain, après-demain et aux dix années suivantes. Alors forcément, quand un employé quitte à 18h10, coupe ses notifs le week-end, ou refuse un « petit effort » à 22h, ça pique.

Mais il y a une différence fondamentale : le patron est lié, le salarié est engagé. L’un a mis sa vie dans le projet. L’autre y met son temps. Et ce n’est pas un manque d’implication, c’est simplement le contrat.

Le vrai problème, ce n’est pas qu’un salarié ne travaille pas « comme un fondateur ». C’est qu’on s’attende à ce qu’il le fasse, sans en avoir ni la reconnaissance, ni la liberté, ni les leviers de décision.

À force de vivre dans l’intensité, certains dirigeants finissent par croire que cette cadence est la norme. Qu’il est « naturel » de sacrifier ses soirées. Qu’il est « logique » de gérer trois rôles à la fois. Et que ceux qui ne font pas pareil manquent de motivation.

Mais travailler comme un fondateur, sans en être un, c’est comme saigner pour un projet dont on ne partage ni le pouvoir, ni la vision, ni les fruits. Et on s’étonne que ça lasse ?

Alors peut-être que la vraie question n’est pas :
« Pourquoi mes équipes ne travaillent pas autant que moi ? »
Mais plutôt :
« Est-ce que je veux vraiment qu’ils vivent ce que je vis, tous les jours ? »

mercredi 18 juin 2025

Justice au Maroc : dans l’affaire Khadija, les juges plient face à la colère populaire

Salma Semmar, actumaroc, 15/6/2025


Le vendredi 7 juin, la cour d’appel de Kénitra a rectifié un verdict jugé indécent. L’agresseur de Khadija, cette serveuse violemment attaquée au visage dans la région de Sidi Kacem, a vu sa peine alourdie à 2 ans et 6 mois de prison ferme, assortie d’une indemnité de 200 000 dirhams à verser à la victime. Une décision qui tranche avec celle rendue en première instance, le 27 mai à Mechra Bel Ksiri, où le tribunal n’avait condamné l’accusé qu’à 2 mois de prison et 3 000 dirhams d’amende, déclenchant une onde de choc sur les réseaux sociaux et dans la société civile.

La légèreté de ce premier jugement, face à une agression d’une extrême brutalité, a indigné l’opinion publique. Khadija, mère divorcée et sans défense, avait refusé les avances d’un jeune homme issu d’un milieu aisé et visiblement sous l’emprise de l’alcool. En représailles, il aurait brisé une bouteille pour la lui planter au visage, provoquant des blessures nécessitant 88 points de suture et un certificat médical attestant de 35 jours d’incapacité.

Ce crime, d’autant plus choquant qu’il semblait être balayé par une justice trop indulgente, a provoqué une mobilisation numérique massive. De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer un verdict indigne d’un État de droit. Face à cette pression, la cour d’appel a rétabli une peine jugée plus conforme à la gravité des faits.

Ce dossier illustre avec force comment l’indignation citoyenne peut secouer l’institution judiciaire et rappeler l’impératif d’une justice équitable et crédible, capable de protéger les victimes sans céder à l’influence sociale des agresseurs. Au-delà du cas Khadija, c’est toute une société qui réclame désormais que justice rime avec dignité.


mardi 17 juin 2025

Le miroir du tyran : ce que Netanyahou ne dira pas sur l’Iran et la démocratie

Rich Willed, 16/6/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


S’il y a une chose qui commence vraiment à m’agacer ces derniers temps, c’est la façon dont les Occidentaux privilégiés regardent avec mépris les Palestiniens ou les Iraniens « non civilisés », sans la moindre goutte d’introspection.

Nous parlons de ces personnes en termes binaires. Antisémites. Théocratie. Axe du mal.

 

Pas d’histoire. Pas de contexte. Aucune reconnaissance de notre propre rôle dans cette histoire.

 

En écoutant Netanyahou expliquer ces derniers jours les raisons qui le poussent à attaquer l’Iran, je ne peux m’empêcher de penser qu’il existe une forme particulière d’hypocrisie réservée aux puissants. Une hypocrisie qui ne se nourrit pas du silence, mais des discours.

 

Elle se dissimule derrière le langage de la démocratie, de la liberté et de la moralité, tout en commettant les crimes qu’elle prétend condamner. Peu de personnalités illustrent mieux cette inversion que Benjamin Netanyahou. Ces derniers temps, je me surprends à inverser le sens de ses propos en temps réel. Ce serait presque drôle s’il ne traînait pas le monde au bord de la guerre nucléaire.

 

Le titre d’aujourd’hui en est un parfait exemple : « L’Iran a tenté d’assassiner Trump – à deux reprises ». Aucune preuve. Aucun détail. Juste : « Faites-moi confiance ».

 

Comme s’il allait de soi que nous devions croire un homme qui a menti plus de fois qu’on ne peut compter. Un homme actuellement jugé pour corruption dans son propre pays. Un homme sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale.

 

Et pourtant, Netanyahou monte sans cesse sur la scène internationale pour dépeindre l’Iran comme un régime tyrannique. Une théocratie brutale qui menace la stabilité régionale, la paix mondiale et l’ordre moral des nations « civilisées ». Il parle de répression, d’autoritarisme religieux, d’ambitions nucléaires...

 

Et pourtant, pendant qu’il parle, des enfants palestiniens gisent sous les décombres israéliens. Dans son propre pays, les juges sont privés de leur indépendance. Les manifestants envahissent Tel-Aviv pour mettre en garde contre la descente d’Israël vers l’autocratie. Et pourtant, les médias et les politiciens occidentaux répètent ses paroles comme s’ils n’en voyaient pas la fausseté.

 

C’est l’astuce séculaire de l’empire : présenter la résistance comme un danger et la domination comme la paix. Traiter son ennemi de tyran tout en larguant des bombes, en construisant des murs et en réduisant au silence toute dissidence. Il s’agit d’un renversement psychologique si profondément ancré dans la psyché occidentale que nous ne le remarquons même plus.

 

Mais que se passerait-il si nous inversions les rôles ?

 

Et si la vraie question n’était pas de savoir ce qui ne va pas en Iran, mais ce qui s’est passé la dernière fois que l’Iran a tenté de se libérer ?

 

Car derrière chaque accusation portée contre l’Iran se cache une histoire que nous ne sommes pas censés nous rappeler. Une histoire qui n’est pas celle du fanatisme, mais celle de la démocratie. Non pas celle de l’extrémisme, mais celle de l’autodétermination nationale. Et c’est cette histoire, et non les missiles ou les milices, que des hommes comme Netanyahou redoutent le plus.

 

Il est révélateur que si peu de gens connaissent cette histoire. Mais je suppose que c’est le but recherché.

 

Car si le monde se souvenait de ce qui s’est passé en Iran en 1953, le discours de Netanyahou commencerait à s’effriter. Toute la supériorité morale de l’Occident commencerait à s’écrouler.



Il y a soixante-dix ans, l’Iran n’était pas une théocratie. C’était une démocratie. Et son Premier ministre, Mohammad Mossadegh, n’était pas un religieux extrémiste ou un fanatique anti-occidental. C’était un réformateur laïc et instruit, largement respecté dans tout l’Iran et même dans certaines régions d’Europe.

 

Il était également profondément attaché à une idée révolutionnaire : les ressources naturelles de l’Iran devaient profiter à son propre peuple.

 

À l’époque, les entreprises britanniques contrôlaient le pétrole iranien, notamment l’Anglo-Iranian Oil Company (BP). Les travailleurs iraniens vivaient dans la pauvreté tandis que les élites britanniques engrangeaient les profits. Mossadegh voyait cela pour ce que c’était : un vol colonial. C’est pourquoi, en 1951, il a fait ce que tout dirigeant qui se respecte aurait dû faire. Il a nationalisé le pétrole iranien.

 

Cet acte a scellé son destin.



Mossadegh porté en triomphe par la foule après la nationalisation de l'Anglo-Iranian

 

Les Britanniques étaient furieux. Mais leur empire déclinant, ils avaient besoin d’aide. Ils se sont donc tournés vers leur partenaire d’après-guerre dans le contrôle mondial : les USA. Ensemble, la CIA et le MI6 ont lancé l’opération Ajax, un coup d’État secret qui a renversé Mossadegh et rétabli le Shah, un monarque aligné sur l’Occident qui a dirigé l’Iran d’une main de fer pendant les 26 années qui ont suivi.

 

Oui, vous avez bien entendu. Et non, ce ne sont pas des rumeurs. Tout cela est accessible à quiconque souhaite s’informer.

 

Dans les années 1950, l’Iran était une démocratie qui fonctionnait. Son dirigeant était élu au suffrage universel. Ce dirigeant agissait dans l’intérêt de son peuple. Et pour cela, l’Occident l’a écrasé.

 

Pourquoi ? Pas à cause de la tyrannie. Mais à cause de la souveraineté.

 

Parce qu’un Iran libre qui contrôlait son propre pétrole était bien plus dangereux pour les intérêts occidentaux qu’un régime brutal qui se pliait aux règles de l’empire.

 

Avant de juger ces pays comme arriérés ou mauvais, nous devrions peut-être prendre le temps de réfléchir. Et faire un peu d’introspection.

 

Car l’Iran n’était pas le seul.

 

Le renversement de Mossadegh n’était pas une anomalie. C’était un modèle. Un coup de semonce à toute nation, en particulier celles riches en ressources, qui osait imaginer l’indépendance. Au cours des décennies qui ont suivi, le schéma est devenu indéniable : chaque fois qu’un pays du Sud tentait d’affirmer sa souveraineté, en particulier sur ses propres ressources, les puissances occidentales intervenaient. Non pas pour défendre la démocratie, mais pour la démanteler.

 

Au Chili, ce fut Salvador Allende. Élu démocratiquement en 1970, il entreprit de nationaliser l’industrie du cuivre, contrôlée en grande partie par des sociétés usaméricaines. Trois ans plus tard, avec le soutien de la CIA, l’armée chilienne organisa un coup d’État violent. Allende fut tué. À sa place, le dictateur Pinochet prit le pouvoir, torturant et faisant disparaître des milliers de personnes. Washington qualifia cela de victoire pour la stabilité.

 

Au Congo, c’était Patrice Lumumba. Jeune, charismatique et déterminé à se libérer de l’exploitation belge, il a été élu Premier ministre en 1960. En quelques mois, il a été renversé puis exécuté, son assassinat ayant été orchestré avec la complicité de la CIA. Le pays a été livré à Mobutu, un homme fort corrompu qui l’a saigné à blanc pendant des décennies.

 

En Irak, Saddam Hussein a été armé et soutenu par les USA jusqu’à ce qu’il se retourne contre les intérêts de l’empire. Lorsqu’il a osé vendre du pétrole en dehors du système pétrodollar et laissé entendre qu’il souhaitait exercer un leadership régional échappant au contrôle usaméricain, le mensonge des armes de destruction massive a vu le jour. La guerre a été présentée comme une libération. Elle s’est transformée en occupation, en chaos et en mort.

 

En Libye, Mouammar Kadhafi était peut-être un personnage complexe, mais une chose est sûre : sa proposition d’une monnaie panafricaine adossée à l’or constituait une menace directe pour la domination des systèmes financiers occidentaux. Quelques mois après avoir lancé cette idée, il a été pris pour cible, bombardé et brutalement exécuté. Son pays n’a plus connu la paix depuis.

 

Et ce ne sont là que quelques exemples parmi les plus connus.

 

Le scénario de l’empire se répète sans cesse. Les dirigeants qui servent les intérêts occidentaux, aussi brutaux soient-ils, sont tolérés, voire soutenus. Mais ceux qui remettent en cause l’ordre économique, qui revendiquent le contrôle de leur pétrole, de leur eau, de leurs terres ou de leur monnaie, sont qualifiés de fous, d’extrémistes ou de terroristes. Leurs démocraties sont déstabilisées. Leurs pays sont sanctionnés, envahis ou réduits en ruines.

 

Il ne s’agit pas de liberté. Cela n’a jamais été le cas.

 

Il s’agit d’obéissance.

 

Et nous revoilà dans le présent, où le scénario continue de se dérouler, presque mot pour mot. Même si, peut-être enfin, il commence à s’effriter.

 

L’Iran est une fois de plus présenté comme le grand méchant. Netanyahou, Trump, les politiciens occidentaux et les médias parlent d’une voix presque unanime. L’Iran est un État voyou, une force déstabilisatrice, le premier sponsor mondial du terrorisme. Israël a mené une « frappe préventive ». Il a le droit de se défendre. Le monde doit défendre Israël contre la théocratie vicieuse qui ne vit que pour le détruire. Le langage est clinique. Répété. Incontesté.

 

Mais arrêtons-nous un instant.

 

Qu’a fait exactement l’Iran ? A-t-il envahi un voisin ? Renversé des gouvernements ? Commis des assassinats ciblés sur le sol étranger ? Posé des bombes dans des hôpitaux et des écoles ?

 

Ou son véritable crime est-il tout autre, bien plus familier et bien moins pardonnable ?

 

L’Iran soutient la résistance palestinienne. Il était l’un des sept pays cités dans le désormais tristement célèbre plan du Pentagone visant à « éliminer » certains pays après le 11 septembre. Le seul qui soit encore debout...

 

L’Iran refuse de s’incliner devant Israël. Il ne se soumettra pas aux USA. Il détient d’immenses réserves de pétrole et de gaz et a insisté, à maintes reprises, pour tracer sa propre voie. Et pour cela, il est présenté comme un grand danger pour la paix mondiale.

 

Pendant ce temps, Israël, un régime d’apartheid doté de l’arme nucléaire et se livrant à un génocide sans vergogne, est en quelque sorte considéré comme l’acteur responsable.

 

Il s’agit là d’un renversement d’une ampleur presque incompréhensible.

 

C’est la tyrannie vendue comme démocratie. La résistance qualifiée de terrorisme.

 

Posez-vous la question suivante : si la guerre nucléaire était vraiment la préoccupation qui motive les actions d’Israël, pourquoi personne ne s’inquiète-t-il du pacte de défense conclu entre l’Iran et l’une des deux plus grandes puissances nucléaires de la planète, la Russie ?

 

Ou peut-être que les menaces nucléaires ne sont des menaces que lorsqu’elles proviennent de ceux qui ne suivent pas les ordres ?

 

Et pendant ce temps, Netanyahou, qui a passé des décennies à démanteler les institutions démocratiques d’Israël, à inciter à la haine raciale et à entraîner son peuple dans un état de guerre sans fin, se tient à la tribune et donne des leçons de liberté au monde entier.

 

Ce serait risible si ce n’était pas aussi mortel.

 

La vérité profonde est la suivante : l’Occident ne craint pas l’extrémisme religieux. Il ne craint pas l’autoritarisme. S’il le craignait, il aurait sanctionné Israël depuis longtemps. Ce qu’il craint, ce qu’il a toujours craint, c’est l’indépendance. Une nation qui pense par elle-même, défend sa dignité et refuse de vendre son âme à l’empire.

 

C’est là la véritable menace.

 

Et peut-être que la question la plus importante que nous devons nous poser est la suivante : qui a le droit d’être libre ?

 

Car c’est là le cœur du problème. Pas seulement en Iran, à Gaza ou en Libye, mais partout où le joug de l’empire a écrasé ceux qui ont osé rêver d’autre chose.

 

Qui a le droit de revendiquer sa souveraineté ? Qui a le droit de nationaliser son pétrole, son eau, ses terres ? Qui a le droit de répondre aux puissances qui dominent le monde ?

 

Est-ce que je vis vraiment dans un pays démocratique si le simple fait de poser ces questions me met en danger ? Est-ce cela que nous prétendons être la liberté ?

 

Car les preuves sont claires : l’Occident applaudira une dictature tant qu’elle respectera ses règles. Et il écrasera une démocratie dès qu’elle sortira du rang.

 

L’Iran n’est pas devenu une dictature parce qu’il était tyrannique. Il est devenu ce qu’il est parce qu’il a osé être libre. La théocratie est née des cendres d’un rêve qui n’a jamais pu se réaliser.

Il ne s’agit pas ici de romancer le régime actuel de l’Iran. Il est brutalement répressif. Les dissidents sont réduits au silence, les femmes sont asservies et la violence d’État est bien réelle. Mais si nous nous arrêtons là, si nous isolons cette vérité du contexte qui l’a fait naître, nous ne nous livrons pas à une réflexion honnête. Nous nous livrons à une morale sélective.

 

La République islamique n’est pas apparue dans le vide. Elle s’est élevée des décombres d’une démocratie écrasée par l’Occident, comme beaucoup de dictatures qui l’ont suivie. Et tant que nous ne serons pas prêts à nous demander comment nous en sommes arrivés là, nous continuerons à commettre la même erreur : réagir aux flammes tout en ignorant l’étincelle.

 

Il en va de même pour le 7 octobre. Cette journée a été horrible. Des vies innocentes ont été perdues. Mais l’isoler, le traiter comme une explosion inexplicable du mal, c’est participer à une amnésie narrative. Car l’horreur ne survient jamais de manière isolée. Elle éclate sous la pression. Et si nous parlons du sang versé ce jour-là sans parler du siège, de l’occupation, de la dépossession, des décennies de déshumanisation qui l’ont précédé, nous ne recherchons pas la vérité. Nous préservons le pouvoir.

 

Netanyahou peut parler de menaces autant qu’il veut. Il peut battre les tambours de guerre, se draper dans le langage de la liberté et appeler au feu au nom de la civilisation.

 

Mais il ne craint pas l’Iran parce que c’est une théocratie. Il le craint parce que c’est une mauvaise théocratie, une théocratie qui ne se plie pas à ses règles et ne se soumet pas à son agenda.

 

Et au final, tout semble toujours revenir à la Palestine.

 

En 2001, sept pays de la région soutenaient ouvertement la cause palestinienne. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’un, qui est désormais dans le collimateur d’Israël.

 

Il est difficile de ne pas se poser la question suivante : si le monde avait agi plus tôt, s’il avait combattu l’injustice au cœur du conflit israélo-palestinien au lieu de la laisser perdurer pendant des décennies, en serions-nous là aujourd’hui ? Cette guerre serait-elle également nécessaire ?

 

Car peut-être, juste peut-être, que résoudre la blessure la plus ancienne du Moyen-Orient pourrait commencer à en guérir d’autres.

 

L’histoire jugera ce moment avec beaucoup plus de clarté que nous ne pouvons le faire aujourd’hui.

 

Mais je ne peux m’empêcher de penser que nous avons peut-être le luxe du recul.

L’avenir de l’humanité exige peut-être que nous allions droit au cœur du problème, dès maintenant.

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