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Yunnes Abzouz
Bernard-Henri Lévy et Arte : le parquet de Paris ouvre une enquête pour prise illégale d’intérêts

Selon nos informations, le philosophe médiatique est mis en cause pour avoir bénéficié du soutien financier d’Arte France afin de financer ses documentaires, pour un montant cumulé de 750 000 euros, alors même qu’il est le président de son conseil de surveillance. 

dimanche 16 février 2025

Voyage au cœur du cabinet royal de Mohammed VI

 Fadwa Islah, Jeune Afrique, 2/2/2025

Véritable centre du pouvoir marocain ou gouvernement bis ? Le « diwane » fait l’objet de nombreuses questions et nourrit quelques fantasmes. Enquête sur une institution centrale du royaume chérifien.

Mohammed VI au centre, et de gauche à droite : André Azoulay, Abdellatif Menouni, Taieb Fassi Fihri, Fouad Ali El Himma, Omar Kabbaj, Omar Azziman, Yassir Zenagui © Montage JA; AFP; MAP; MAX PPP; Abaca; Getty Images

Mohammed VI au centre, et de gauche à droite : André Azoulay, Abdellatif Menouni, Taieb Fassi Fihri, Fouad Ali El Himma, Omar Kabbaj, Omar Azziman, Yassir Zenagui © Montage JA; AFP; MAP; MAX PPP; Abaca; Getty Images

Derrière les hauts murs crénelés du palais royal de Rabat se trouve l’un des lieux de pouvoir les plus fantasmés du Maroc : le cabinet royal, dont l’entrée jouxte celle de la chefferie du gouvernement. Tout un symbole puisqu’à elles deux, ces institutions nichées dans les célèbres bâtiments à tuiles vertes du Méchouar forment les deux faces de ce qui fait la spécificité du régime marocain. Une monarchie exécutive où le gouvernement, loin de faire de la figuration, a des prérogatives élargies depuis la Constitution de 2011. Celle-ci le rend responsable de la bonne marche de l’administration, de l’exécution des lois votées au Parlement et de la réalisation des grands chantiers structurants du pays. Pourtant, le roi, dont l’action et les décisions sont très encadrées par la Constitution, reste à la fois l’initiateur de la majorité des stratégies du pays et l’ultime arbitre, avec une implication directe dans des domaines souverains comme la sécurité, la défense ou la diplomatie.

L’entrée du Palais royal à Rabat. © Heiko SPECHT/LAIF-REA

L’entrée du Palais royal à Rabat. © Heiko SPECHT/LAIF-REA

Un pouvoir fort qu’il exerce en s’appuyant sur un cabinet composé de conseillers, de chargés de missions, de cadres et experts en tout genre, de secrétaires et de personnel administratif. En tout, ce sont plus d’une centaine de personnes qui s’affairent au sein du cabinet royal (connu également sous le nom de « diwane » ou encore « CR » pour les proches du sérail) dans le dévouement et la discrétion les plus absolus.

Ces hommes et ces femmes sont pour la plupart inconnus du grand public, à l’exception des conseillers de Mohammed VI. Souvent passés par de hautes fonctions publiques, ces derniers sont au nombre de sept : Fouad Ali El Himma, André Azoulay, Omar Azziman, Taïeb Fassi-Fihri, Omar Kabbaj, Abdellatif Menouni et Yassir Zenagui. Nommés par dahir, les membres de ce cercle très prisé et strictement masculin – la seule femme de l’histoire du Maroc à avoir été conseillère royale fut Zoulikha Nasri – se distinguent par la diversité et la complémentarité de leurs personnalités, de leurs réseaux, mais aussi de leurs compétences.

« À la différence de l’époque de Hassan II, où le choix des conseillers reflétait avant tout ses amitiés, comme avec Ahmed Reda Guedira, et son tropisme pour la politique et le droit, avec des profils tels qu’Abdelhadi Boutaleb, Allal Sinaceur, Ahmed Snoussi ou encore Ahmed Bensouda, le CV des conseillers de Mohammed VI traduit à la fois son goût pour l’action et sa grande ouverture d’esprit », estime un historien marocain, professeur à l’université Mohammed-V.

Les têtes de pont

Par ailleurs, si tous les conseillers ont le même statut et qu’il n’existe pas de hiérarchie entre eux – le seul directeur de cabinet du roi aura été Mohamed Rochdi Chraïbi, qui occupa ce poste de 2000 à 2001 –, ils n’ont pas tous le même poids. Ainsi, le plus connu – et sans doute le plus influent, comme le soulignent plusieurs sources à Rabat – est Fouad Ali El Himma. Ancien camarade d’école et d’université de Mohammed VI, passé par le ministère de l’Intérieur avant de fonder le Parti Authenticité et Modernité (PAM, parti créé pour contrer les islamistes et offrir aux Marocains une nouvelle alternative politique), il était très médiatisé… Jusqu’à ce que, dans le sillage du Printemps arabe, en 2011, et de son pendant marocain, le Mouvement du 20-Février, plusieurs forces politiques lui reprochent à tort ou à raison de vouloir faire une OPA sur le champ politique en usant de sa proximité avec le roi et de son influence sur l’administration. Il quitte alors la direction du parti du Tracteur et est nommé dans la foulée conseiller royal. Un signe de confiance envoyé par le Palais envers l’un de ses serviteurs les plus fidèles. Et si aujourd’hui, le « Monsieur Politique intérieure » de Mohammed VI est moins visible, il continue de chapeauter les sujets les plus sensibles.

À ses côtés, le « doyen » des conseillers : André Azoulay. Ancien journaliste et banquier, il est entré au cabinet royal en 1991, quand Hassan II l’a recruté pour être le porte-parole des ambitions économiques et culturelles du Maroc dans le monde. Et s’il a moins de responsabilités aujourd’hui, il continue à véhiculer, à travers ses sorties médiatiques et sa participation à de nombreux festivals, rencontres et événements dans le royaume comme à l’international, l’image d’un Maroc pluriel, fier de ses racines hébraïques, de son islam modéré et de son ouverture sur le monde.

Autre cador du diwane, Taïeb Fassi-Fihri, ancien ministre des Affaires étrangères qui se démarque par sa maîtrise de l’appareil diplomatique de l’État et des relations internationales, est lui aussi une figure bien connue du grand public.

D’autres membres du cabinet royal sont plus discrets comme l’éminent juriste Abdellatif Menouni, qui a supervisé, entre autres, la très sensible réforme constitutionnelle de 2011 ; Omar Azziman, spécialiste des questions de justice, de droits de l’homme et d’éducation ; Omar Kabbaj, ancien patron de la Banque africaine de développement et fin connaisseur du continent et de ses enjeux économiques ; ou encore Yassir Zenagui, ancien banquier de la City de Londres, passé par le ministère du Tourisme avant d’intégrer le cercle restreint des conseillers royaux. Malgré les rumeurs récurrentes de disgrâce sur ce dernier, il continue d’être présent lors des événements officiels comme aux Conseils des ministres.

En matière de répartition des missions, il n’y a ni hiérarchie entre les conseillers ni véritable division du cabinet royal en pôles, comme on a pu l’entendre souvent, où chacun serait en charge de domaines précis et délimités : tout le monde peut travailler sur tout, selon les agendas et le contexte. « L’octroi d’un dossier se fait au gré de plusieurs facteurs, dont la disponibilité, mais aussi selon le souhait du monarque de le confier à un conseiller plutôt qu’à un autre », souffle un proche du sérail. Pour des raisons évidentes d’efficacité, il va de soi qu’un sujet sera plus spontanément attribué à un conseiller en fonction de la compétence pour laquelle il s’est fait connaître et pour laquelle il a été recruté : la diplomatie à Taïeb Fassi-Fihri, l’économie à Omar Kabbaj, le droit à Menouni, etc. Néanmoins, avec la mort, ces dernières années, de plusieurs conseillers – Abbas Jirari, Mohamed Moâtassim, Zoulikha Nasri… –, l’heure est à la polyvalence, en attendant l’arrivée de nouvelles recrues (la dernière vague de nominations de conseillers au cabinet royal remonte à 2011-2012, au lendemain du Printemps arabe)…

Dans des conditions modestes

Mais alors, comment devient-on conseiller royal ? « Il n’y a pas de règle. Longtemps, sous le règne de Hassan II par exemple, le cabinet était une zone de transit entre deux ministères ou deux postes. Mais, depuis la fin des années 1990, en dehors de la fonction de chargé de mission, où persiste encore un turnover, une nomination au poste de conseiller royal est plutôt l’aboutissement d’une carrière ministérielle, une sorte de cooptation des élites technocratiques expérimentées par le Palais. »

Cela étant précisé, tout expérimentés qu’ils soient et aussi brillant que soit leur parcours, les conseillers travaillent dans des conditions relativement modestes, du moins au regard du prestige de la fonction qu’ils occupent. Leurs rémunérations sont alignées sur celles de la plupart des hauts fonctionnaires de l’État marocain et restent bien inférieures à celles qu’ils auraient pu obtenir en travaillant dans le secteur privé.  Ils occupent des bureaux plutôt exigus – le plus spacieux étant, selon nos sources, celui d’André Azoulay, qui aurait « hérité », du fait de son ancienneté, de celui de l’ancien homme fort de Hassan II, Ahmed Reda Guedira – où s’entremêlent zelliges et moucharabieh, dans une décoration faite de fauteuils et de secrétaires de style Louis XV en marqueterie de bois de rose ornementés de satyres et de feuillages en bronze doré ciselé.

Cette atmosphère « makhzénienne » au possible est renforcée par le défilé incessant de ceux que l’on surnomme « mwaline atay » (littéralement, « les maîtres du thé ») : des serviteurs en livrée rouge et bonnet pointu aux armoiries du palais, qui servent à longueur de journée des verres de thé dans un cérémonial qui n’a presque pas changé depuis la création, dans les années 1950, de ce qui s’appelait initialement le « cabinet impérial ».

Gouvernement de l’ombre ?

Sous l’autorité directe du souverain, le cabinet royal fait office de support au chef de l’État dans ses missions régaliennes, mais sans qu’aucune règle juridique, à l’exception du dahir royal du 7 décembre 1955, n’encadre sa composition et son organisation, laissées ainsi à la discrétion du roi. Autrefois qualifié de « shadow cabinet » par le politologue américain John Waterbury, cet organe clé du pouvoir se veut, sous le règne de Mohammed VI (et de surcroît depuis le Printemps arabe et la Nouvelle Constitution), le plus transparent possible.

Au quotidien, ses membres s’acquittent de tâches très variées, qui vont de la préparation de notes stratégiques au suivi de la bonne exécution des grands chantiers du royaume, en passant par la rédaction de lettres, de discours, la gestion des courriers adressés au souverain, la coordination d’événements placés sous le haut patronage royal, ou encore les relations diplomatiques avec les chefs d’État. Ce qui fait du CR, comme le précise notre source, une institution particulièrement polyvalente entre le think tank, le cabinet d’audit stratégique et de suivi de projets, la chancellerie et le bureau des doléances.

L’une des fonctions les plus emblématiques du cabinet est sa production de nombreuses réflexions stratégiques sur l’avenir du Maroc, qu’il s’agisse de politiques liées à la gestion de l’eau, aux énergies renouvelables, à la protection sociale ou encore aux infrastructures économiques. Pour chacun de ces domaines stratégiques suivis par le roi, des dossiers sont préparés par des experts et des chargés de mission (une vingtaine en tout), sous la houlette des conseillers royaux. Mais la mission du CR sur ce volet des stratégies publiques ne s’arrête pas là, puisqu’il a également la charge de superviser la bonne exécution des politiques publiques et des grands projets lancés et décidés par le roi. Un travail qu’il effectue, selon nos sources, en collaboration avec le chef du gouvernement ou directement avec les ministres chargés de ces politiques et projets.

Dans la bonne entente ? Une question à laquelle personne ne se hasarde à répondre… Un des rares anciens hauts commis de l’État ayant abordé en notre présence ce sujet délicat de la répartition des prérogatives entre cabinet royal et ministère, qui peuvent donner l’impression parfois de se marcher sur les pieds, rappelle qu’« il ne s’agit pas de s’entendre, mais d’exécuter de manière efficace les orientations fixées par le souverain ». Et de préciser que, « parfois, c’est le chef de gouvernement ou les ministres eux-mêmes qui prennent l’initiative de faire appel aux conseillers royaux pour débloquer des situations, effectuer des arbitrages entre administrations et établissements publics, etc ».

Protocole strict

« Jusque-là, à part quelques sorties peu sérieuses sur ce sujet de l’ancien chef de gouvernement Abdelilah Benkirane, qui veillait néanmoins à ne pas faire allusion directement au CR, aucun ministre ou chef de gouvernement qui lui a succédé ne s’est plaint du partage des rôles entre les deux institutions. Et s’il peut y avoir des couacs, comme dans toute interaction humaine dans le domaine professionnel et surtout politique, gouvernement et cabinet royal s’arrangent toujours pour trouver un terrain d’entente », insiste cette même source.

Le roi Mohammed VI salue les parlementaires à son arrivée à la session d’ouverture du Parlement marocain, sous les applaudissements du prince héritier Moulay Hassan, à Rabat, le 14 octobre 2022. © Moroccan Royal Palace via AP/SIPA

Le roi Mohammed VI salue les parlementaires à son arrivée à la session d’ouverture du Parlement marocain, sous les applaudissements du prince héritier Moulay Hassan, à Rabat, le 14 octobre 2022. © Moroccan Royal Palace via AP/SIPA

Une chose est néanmoins sûre : l’interaction entre cabinet royal et gouvernement ne se fait pas de manière aléatoire, mais répond, comme toute chose ayant trait à la monarchie marocaine, à un protocole bien précis. Suivant une règle de primauté, si les conseillers du cabinet royal peuvent se rendre à la chefferie du gouvernement, dont les bureaux sont voisins, ils ne se déplacent jamais chez les ministres. Ce sont les ministres qui viennent à eux pour rendre compte des avancées d’une politique publique ou d’un projet. Sauf dans de rares cas, quand le roi veut transmettre via un de ses conseillers un message à un des ministres. Une hiérarchie stricte, qui illustre le rôle central et la suprématie du Palais dans l’organisation des affaires publiques. C’est d’ailleurs le cabinet royal qui donne le feu vert aux déplacements officiels des ministres à l’étranger, après l’aval du chef de gouvernement…

Autre règle de protocole : lorsque le roi se déplace à travers le pays, le diwane l’accompagne dans une logistique impressionnante et bien huilée. Des imprimantes aux ordinateurs, en passant par les parapheurs et le personnel, tout est transporté, par précaution, mais aussi pour garantir une continuité parfaite dans la prise de décisions et l’exécution quotidienne des tâches. Une itinérance du pouvoir et de la cour héritée de la tradition alaouite, qui veut que le trône des sultans du Maroc se trouve sur la selle de leurs chevaux, comme ne cessait de le répéter feu Hassan II, et qui symbolise la volonté de maintien d’un lien direct et constant entre le roi et son peuple, explique une de nos sources.

En plus du suivi des projets stratégiques, de la préparation des nominations royales et autres missions exécutives, le cabinet royal doit être constamment sur le pied de guerre pour l’exécution de tâches quotidiennes de correspondance et d’interaction diplomatique avec des chefs d’État étrangers. Ou pour l’étude des nombreuses demandes d’organisateurs d’événements et autres festivals désireux d’obtenir le précieux label « haut patronage royal », en s’assurant que ces initiatives sont en cohérence avec l’image et les priorités du royaume. Ou encore pour rédiger des lettres de condoléances à des artistes, des politiques, des sportifs et autres figures connues aussi bien au Maroc qu’à l’international.

Sismographe de la société

La rédaction des discours royaux est également l’une des fonctions importantes du CR. Ces discours illustrent parfaitement l’exigence de précision et de cohérence attendue par le roi. « Les thématiques sont décidées directement par le souverain, mais les textes sont le fruit d’un travail collaboratif impliquant de très nombreux allers-retours pour garantir un message clair, inspirant et aligné sur la vision royale », confie une de nos sources. Le diwane gère aussi la « com » royale, à grands coups de communiqués, derrière lesquels se trouvent le plus souvent deux figures connues du paysage médiatique : le journaliste et ancien chef du bureau de la MAP, l’agence de presse officielle à Paris, Chakib Laâroussi, et l’ancien publicitaire, passé par l’agence Klem, Karim Bouzida.

Outre ces fonctions classiques, le cabinet royal traite tous les jours des centaines de lettres adressées au roi par des citoyens marocains, des personnalités étrangères ou des institutions internationales. « Le traitement de ces courriers, intégralement manuel, mobilise une équipe qui les classe d’abord par problématique, comme les demandes de grâce, les doléances économiques ou les problèmes sociaux. Ils font ensuite l’objet d’une vérification rigoureuse, avant d’être soumis à l’attention des conseillers, qui se réunissent régulièrement pour proposer de manière collégiale des pistes de réponse les plus justes et pertinentes possibles, que le souverain devra ensuite valider », détaille un proche du sérail. Une attention toute particulière, nous dit-il, est accordée aux lettres provenant des Marocains résidant à l’étranger, ce qui témoigne du souci royal de maintenir un lien étroit avec la diaspora.

« Au-delà de la dimension ‘diwane el madalim’ (bureau de doléances), le cabinet royal, qui met un point d’honneur à traiter tous les courriers qui lui parviennent, fait office de baromètre social ou de sismographe, fait remarquer un sociologue. Ce qui permet au roi, non seulement de continuer à incarner l’ultime recours contre d’éventuelles injustices, mais aussi de rester en phase avec les préoccupations des citoyens. »

samedi 15 février 2025

Nouvelles passes d’armes entre le Maroc et l’Algérie au sommet de l’UA

NDLR SOLIDMAR, 16/2/2025
C’est finalement l’Algérienne Selma Malika Haddadi qui a été élue vice-présidente de la commission de l’UA

 OLIVIER-CASLIN_2024 JEANNE-LE-BIHAN_2024
Olivier Caslin et Jeanne Le Bihan, Jeune Afrique, 14/2/2025

Après s’être opposés lors de l’élection des responsables siégeant à la Commission paix et sécurité, Rabat et Alger vont à nouveau se retrouver face à face, samedi 15 février, pour la désignation de la nouvelle vice-présidente, représentant l’Afrique du Nord à la Commission. Les deux capitales ont mis tout leur poids dans la balance.

Début de la 46e session ordinaire du Conseil exécutif de l’Union africaine, à Addis-Abeba, en Éthiopie, 12 février 2025. © Xinhua / abacapress.com

Début de la 46e session ordinaire du Conseil exécutif de l’Union africaine, à Addis-Abeba, en Éthiopie, 12 février 2025. © Xinhua / abacapress.com

Le différend qui oppose l’Algérie et le Maroc sur la question du Sahara occidental s’est une nouvelle fois invité avec force lors du 38e sommet de l’Union africaine (UA) qui se déroule en ce moment à Addis-Abeba. Surtout que les deux pays, qui ont rompu leurs relations diplomatiques depuis 2021, sont en concurrence directe pour un certain nombre des sièges remis en jeu pour l’occasion.

Les tensions entre les deux voisins ne se sont pas fait attendre très longtemps puisqu’elles ont éclaté dès l’ouverture du sommet, le 12 février. Dans le cadre de la 46e session ordinaire du Conseil exécutif de l’UA, les ministres des Affaires étrangères des pays membres devaient élire, le soir même, à bulletins secrets, les six nouveaux commissaires pour les quatre prochaines années. Selon le principe de rotation cher à l’UA, l’Algérie et le Maroc étaient en effet en lice pour l’un des deux sièges (sur quinze) réservés à l’Afrique du Nord au sein de la Commission paix et sécurité (CPS), au côté de l’Égypte. Arrivé au terme des trois ans de son mandat, le Maroc visait une réélection, face à la Libye et à l’Algérie qui, de son côté, cherchait à réintégrer cette instance exécutive de l’UA dans laquelle elle siégeait jusqu’en 2021.

Un match nul qui n’arrange personne

Après l’élimination de la Libye au troisième tour, l’Algérie remportait ensuite assez largement les scrutins suivants, provoquant même la sortie du Maroc au sixième tour, en recueillant 30 votes contre 17 pour son adversaire. Ne restait plus pour Alger qu’à obtenir, au round suivant, les deux tiers des suffrages des pays votants pour faire son retour à la CPS. Las, en captant seulement 32 voix sur les 33 nécessaires – suite notamment à l’abstention de 15 pays, tandis que deux autres préféraient ne pas participer à ce scrutin décisif – l’Algérie échouait dans sa quête. Le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, quittait alors l’hémicycle, furieux.

Si Rabat estime avoir réussi son coup en bloquant l’élection de son rival, Alger considère de son côté comme une victoire la non-reconduction du Maroc à la CPS. Un match nul qui finalement n’arrange personne, à commencer par l’UA qui, selon ses procédures, va devoir organiser de nouvelles élections. Si possible d’ici au 1er avril, date officielle de la fin du mandat des pays sortants.



Trois candidates au CV impeccable

Cette passe d’armes préfigure, pour beaucoup d’observateurs, ce qui pourrait à nouveau arriver, samedi 15 février, au moment d’élire la vice-présidente de la Commission de l’UA qui, là encore, pour des raisons de rotation géographique, reviendra à l’Afrique du Nord. Pour succéder à la Rwandaise Monique Nsanzabaganwa, trois femmes vont s’affronter, l’Algérienne Selma Malika Haddadi, la Marocaine Latifa Akharbach et l’Égyptienne Hanan Morsy. La première est bien connue à Addis-Abeba, puisqu’elle est ambassadrice de son pays en Éthiopie, tout en étant représentante permanente auprès de l’UA. La deuxième, également diplomate, a occupé le poste de vice-ministre des Affaires étrangères du Maroc, avant de présider la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA).

Les deux pays ont mené ces derniers mois une campagne intense, chacun avançant ses arguments : pour l’Algérie, les qualités intrinsèques de sa candidate, qui, de plus, connaît parfaitement les rouages de l’UA, où elle semble être très appréciée ; pour le Maroc, l’expérience de la sienne, ancienne ambassadrice et ex-secrétaire d’État, ainsi que le fait de n’avoir obtenu, depuis sa réintégration en 2017 dans l’organisation panafricaine, aucun poste de haute responsabilité. « Si ce n’est la fonction de directeur-général de la Commission de l’UA, occupé depuis 2021 par le Marocain Fathallah Sijilmassi », rappelle un diplomate.

Pour éviter tout nouveau blocage, les représentants des pays membres pourraient bien choisir de porter leur voix sur Hanan Morsy. Comme ses deux adversaires, l’Égyptienne présente un curriculum-vitae impeccable, elle qui a occupé de hautes responsabilités dans diverses organisations internationales, du FMI à la Banque mondiale, en passant par la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA).

Elle vient également de démontrer son sens de la diplomatie. Hanan Morsy semble avoir en effet été invitée par l’administration panafricaine à assister au petit déjeuner, organisé le 14 février par la présidence tournante du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (Maep), occupée depuis février 2024 par le chef de l’État algérien, Abdelmadjid Tebboune, venu tout exceptionnellement à Addis-Abeba pour supporter la candidature de sa compatriote. Plutôt que de risquer de provoquer un éventuel incident diplomatique, la prétendante égyptienne a donc rapidement fait savoir que son emploi du temps ne lui permettait pas d’assister à l’événement.

vendredi 14 février 2025

Quand le Maroc accueillait les Juifs européens persécutés

Farid Bahri, Jeune Afrique, 11/2/2025

Alors que le monde commémore les quatre-vingt ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la libération des camps de concentration nazis, certains regards se tournent vers le Maroc. Bien que protectorat français soumis aux lois antisémites de Vichy, le pays fut une terre d’accueil pour de nombreux réfugiés, sous l’impulsion du sultan (le futur roi Mohammed V), qui s’opposa à toutes les mesures discriminatoires.

Le lieutenant-général américain George Patton reçu par le sultan Mohammed Ben Youssef du Maroc (futur roi Mohammed V) dans son palais de Rabat, en 1943, en présence de son fils aîné Moulay Hassan, futur Hassan II (à dr.). © Akg-Images

Le lieutenant-général américain George Patton reçu par le sultan Mohammed Ben Youssef du Maroc (futur roi Mohammed V) dans son palais de Rabat, en 1943, en présence de son fils aîné Moulay Hassan, futur Hassan II (à dr.). © Akg-Images

Ce début d’année 2025 est rythmé par les commémorations du 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et, en particulier, de la découverte, par les troupes alliées, des camps d’extermination nazis. Le 27 janvier, de nombreux chefs d’État se sont recueillis à Auschwitz, le plus emblématique de tous ces lieux de mort. Et les dates historiques s’égrènent : conférence de Yalta (4 au 11 février 1945), bombardement massif de Dresde (13 février), arrivée des troupes anglo-américaines sur le Rhin (14 mars), évacuation du camp de Ravensbrück (27 avril)…

Une histoire mondiale mais largement européenne, qui, pourtant, concerne aussi l’Afrique du Nord, et singulièrement le Maroc. Car si les camps nazis ont essentiellement été des lieux de détention et des mouroirs pour les prisonniers européens et pour des millions de Juifs, l’Afrique du Nord n’a pas été épargnée. « De 1937 à 1945, la propagande allemande joue un rôle considérable dans le monde arabe, rappelle Georges Bensoussan dans son livre Juifs en pays arabes. Le grand déracinement 1850-1975 (2012). Elle n’opère pas en terrain vierge, elle y a été précédée par la propagande italienne de Radio Bari […]. En une année, Berlin produit 89 500 émissions en langues étrangères, plus de trente mille heures de programmes dans lesquels l’Orient à la priorité. »

Congrès panislamiste de Jérusalem

Cette même année, les troupes allemandes déferlent sur la France, et les événements de la métropole trouvent un écho dans les colonies. « Au Maroc, les rapports officiels commencèrent à faire cas de la recrudescence de l’antisémitisme – parmi la population européenne et musulmane des grandes villes – à partir des premiers jours de mai 1940 […], tandis qu’à Salé le pacha décidait d’interdire aux Juifs l’utilisation de domestiques musulmans et qu’à Meknès les commerçants musulmans du Suq al-Attarin exigeaient l’expulsion des Juifs de ce marché, dans plusieurs autres villes du royaume chérifien des croix gammées furent dessinées sur les murs des médinas », raconte l’historien Michel Abitbol dans son essai Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy (2008). À Meknès, des pogroms coûtent même la vie à une douzaine de Juifs.

Au Maroc, 25 000 réfugiés juifs entre 1940 et 1942

Cette propagande exacerbe les tensions entre populations juive et musulmane. Un antisémitisme diffus s’empare de certains esprits, surtout au lendemain du Congrès panislamiste de Jérusalem (décembre 1931), à la suite duquel les propos haineux voire les appels au meurtre sont de plus en plus décomplexés du Machrek au Maghreb. Rappelons qu’en 1940 quelque 400 000 Juifs vivaient au Maghreb, dont 200 000 au Maroc.

Mais bien que ces manifestations d’hostilité se multiplient et que les autorités protectorales fassent pression sur le Makhzen, le futur roi Mohammed V tient bon. « Le sultan assura de sa sympathie les notables juifs qui étaient venus lui rendre visite, à plusieurs reprises, au cours des années 1941 et 1942, leur déclarant qu’il les considérait comme des Marocains à part entière et qu’il ne saurait toucher ni à leurs biens ni à leurs personnes, poursuit Michel Abitbol. Cette attitude, qui agaça au plus haut point les autorités françaises, fut d’autant plus remarquable que le souverain était entouré de conseillers dont les sentiments à l’égard des Juifs étaient des plus malveillants. »

Pour les populations juives d’Europe aux prises avec des persécutions de plus en plus brutales, le Maroc apparaît donc comme un havre possible. L’universitaire Yitzhak Gershon distingue toutefois deux types de « réfugiés » dans le protectorat : « Ceux qui y furent amenés de force par un élément non juif, à savoir les anciens volontaires de l’armée française déportés au Maroc après la défaite française ; et ceux qui y arrivèrent de leur plein gré, pour la plupart avec l’aide d’associations juives, à savoir les réfugiés de pays européens sous occupation allemande, qui cherchaient une voie d’émigration dans un endroit plus sûr, principalement vers le continent américain. »

Jeunes juifs marocains participant à la Marche pour la vie, hommage annuel aux victimes de la Shoah, dans le camp nazi d'Auschwitz-Birkenau, à Oswiecim (Pologne), le 24 avril 2117. © Artur Widak/NurPhoto via AFP

Jeunes juifs marocains participant à la Marche pour la vie, hommage annuel aux victimes de la Shoah, dans le camp nazi d'Auschwitz-Birkenau, à Oswiecim (Pologne), le 24 avril 2117. © Artur Widak/NurPhoto via AFP

Pour beaucoup, le Maroc est une destination de transit vers le Nouveau monde, voire une aliyah. Les arrivées depuis la France se font plus massives à partir de novembre 1940. Ils sont des centaines à atteindre le Maroc en passant par l’Espagne franquiste, demeurée neutre, ou par l’Algérie française. Environ 25 000 Juifs trouvent asile sur le territoire entre 1940 et 1942. Ils s’entassent généralement dans deux plus grands ports du pays : Tanger – zone internationale depuis 1923, qui échappe aux lois de Vichy – et Casablanca.

La situation n’est cependant pas idéale : le Maroc n’est pas un État souverain mais un protectorat français, où l’essentiel du pouvoir est de facto entre les mains du résident général. Celui-ci n’est autre que le général Noguès, qui, après quelques réticences initiales, va rapidement se « pétainiser » et appliquer les lois vichystes.

Bien décidé à protéger la communauté israélite, le sultan s’oppose au résident général. « Le sultan Mohammed V a été l’homme de deux refus : il a refusé les lois raciales de Vichy, puis il a refusé de s’opposer au débarquement anglo-américain et de quitter Rabat pour Fès comme le lui demandait le général Noguès », rappelle l’historien Yves Benot dans Massacres coloniaux, 1944-1950 : la IVe république et la mise au pas des colonies françaises (1984).

Le futur Mohammed V contre le résident général

Au sein même de la population la résistance s’organise. À Tanger, d’abord, où un comité d’aide aux réfugiés, le Comité pro-refugiados, a vu le jour dès le début de la guerre d’Espagne, en 1936. Dirigée par un Juif tangérois, Abraham Laredo, cette organisation accueille les Juifs qui fuient l’Europe centrale. Elle vise notamment à leur fournir un logement et un emploi. À partir de 1939, le flot des « apatrides » israélites prend de l’ampleur puisqu’aux Juifs allemands s’ajoutent les Juifs italiens et polonais. Et même lorsque les troupes franquistes venues de Tétouan occupent la ville du Détroit, le 14 juin 1940, l’aide aux réfugiés se poursuit.

La situation est à peu près semblable à Casablanca où, en juillet 1940, Hélène Cazès-Benatar, présidente de l’organisation féministe sioniste Wizo, commence à prendre en charge les exilés. Pour l’hébergement, elle bénéficie de l’aide de l’Alliance israélite universelle, installée au Maroc depuis les années 1880. C’est dans les locaux de ses établissements scolaires que les Juifs « apatrides » trouvent un toit où dormir. Un lieu de transit provisoire, là encore, première étape vers d’autres horizons, qu’ils soient marocains, américains, ou palestiniens.

Camps d’internement vichystes

Ces initiatives ne doivent toutefois pas occulter la triste réalité des camps de travail et d’internement que la résidence générale a mis sur pied au Maroc. « Ce fut en partie sous la pression des Croix-de-Feu et d’autres fascistes que fut décidé le regroupement dans des “résidences imposées [et des] centres situés à bonne distance des villes” d’un nombre substantiel des quelque 7 700 réfugiés, israélites en majorité, recensés en zone française entre juin 1940 et février 1941 », explique l’historien Mohammed Kenbib dans Juifs et musulmans au Maroc (2016).

Camp Maréchal-Lyautey, à Ain Harrouda, au Maroc. © DR

Camp Maréchal-Lyautey, à Ain Harrouda, au Maroc. © DR

Le plus grand de ces lieux est probablement le camp Maréchal-Lyautey, non loin de Casablanca. Quatre mille personnes y transitèrent. Mais presque tous les camps se trouvaient dans l’Oriental, sur le tracé du Transsaharien (Jerada, Bou-Arfa…). Pour la plupart camps de travail ou disciplinaires ils seront fermés à la fin de 1943.

Au sortir de la guerre, de nombreux Juifs en exil se trouvent toujours dans différentes villes de l’empire chérifien. Les comités de Tanger et de Casablanca, les deux principaux du Maroc – sans négliger ceux de Fès, Meknès, Marrakech ou Essaouira – diversifient alors leurs activités. Avec la victoire alliée le flot des arrivées se tarit, et l’activité s’oriente vers la recherche de disparus, le regroupement familial et l’éducation des enfants.

Ce rôle du Maroc à l’égard des réfugiés juifs n’a pas été oublié. Chaque année, aujourd’hui encore, des milliers d’Israéliens viennent en pèlerinage dans le pays, à Meknès ou à Ouezzane pour la Hiloula. Quant au sultan Mohammed V, le grand-père de l’actuel souverain, une forêt qui porte son nom a été plantée, en 1985, sur les hauteurs de Jérusalem. Et, le 22 novembre 2021, Jack Lang, ex-ministre français de la Culture et président de l’Institut du monde arabe, adressait au mémorial de Yad Vashem un courrier appelant à le reconnaître comme « juste parmi les Nations ».

jeudi 13 février 2025

“Même avec trois rois, on ne pourra plus acheter de gaz” : une femme au foyer condamnée à 2 ans de prison pour une blague
On ne plaisante pas sur la monarchie marocaine

Rachida Jalali, mère de quatre enfants, purge une peine de deux ans de prison pour avoir écrit sur Facebook qu’avec un billet à l’effigie des trois derniers rois alaouites, on ne pourra plus acheter de bouteille de butane

 Ignacio Cembrero, El Confidencial, 10/2/2025

Quand elle a appris que le prix d’une bouteille de gaz de 12 kilogrammes allait dépasser les 50 dirhams (4,82 euros), Rachida Jalali, une femme au foyer marocaine, a fait une petite blague sur sa page Facebook. « Même avec trois rois, on ne pourra plus acheter de gaz », a-t-elle commenté. Elle a accompagné son message d’un billet de 50 dirhams illustré par l’effigie des trois rois que le Maroc a eus depuis son indépendance en 1956 : Mohamed V, Hassan II et l’actuel, Mohamed VI.

Son commentaire est devenu viral dans un pays où les manifestations contre la vie chère se multiplient et qui a connu mercredi 5 février son premier mouvement de grève générale en neuf ans, même s’il n’a pas été très suivi, sauf dans le secteur de l’éducation.


La popularité de la plaisanterie de Rachida Jalali a fini par éveiller, avant qu’elle ne la supprime, l’intérêt de la police qui s’est présentée à son domicile de Khouribga, dans le centre du pays, où vit désormais cette mère de quatre enfants. Elle a émigré en Italie il y a des années, mais avait décidé de revenir pour monter une entreprise dans sa ville natale. Les agents l’ont d’abord interrogée sur ses intentions en publiant ce message, pour savoir s’il s’agissait d’une critique des autorités. Ensuite, ils l’ont mise à la disposition de la justice.

La semaine dernière, Rachida Jalali a été condamnée par un tribunal de Khouribga à deux ans de prison pour « offense aux institutions de l’État », ce que le code pénal marocain punit, si elle est formulée en public, d’un à cinq ans de prison et d’une amende. Cela aurait été pire si les juges l’avaient condamnée, comme ils ont failli le faire, pour offense au roi.

« Ma cliente n’avait aucune intention malveillante », a expliqué l’avocat de Rachida Jalali aux quelques journalistes qui se sont intéressés au procès au Maroc. « Elle a fait une blague comme il s’en fait des centaines chaque jour sur les réseaux sociaux », a-t-il ajouté. « La condamner, c’est envoyer un message inquiétant à la société », a-t-il conclu.

Rachida Jalali a commencé à purger sa peine à la prison pour femmes d’Oukacha (Casablanca), d’où elle a réussi à faire passer un message audio le week-end, qui a également beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Elle y annonce qu’elle entame une grève de la faim pour protester contre une condamnation qu’elle juge injuste, mais finit par crier « Vive le roi » comme pour se faire pardonner.

La bouteille de gaz coûte désormais 50 dirhams au Maroc, mais après le ramadan, fin mars, elle passera à 60, selon les annonces de la presse, et à 70 l’année prochaine. Il s’agit d’« alléger les dépenses de la Caisse de compensation », selon le journal makhzénien Le 360, qui subventionne de nombreux produits de base. Aujourd’hui, près de la moitié du prix de la bouteille est à la charge de l’État.

Les tribunaux marocains continuent de prononcer des condamnations à caractère politique contre des militants, mais celle d’une femme au foyer est exceptionnelle. La plus légère des condamnations récentes a été infligée à Ismael Lghazaoui : un an de prison et une amende de 5 000 dirhams (482 euros) pour avoir manifesté devant le consulat des USA à Casablanca et contre un cargo MAERSK transportant des armes vers Israël et faisant escale à Tanger. La peine la plus sévère, cinq ans de prison, a été prononcée en avril contre Abderrahmane Zankad, coupable d’avoir dénoncé sur les réseaux sociaux les relations étroites entre le Maroc et Israël, dont il a imputé la responsabilité à Mohamed VI.

Les journalistes ne sont pas non plus épargnés, bien que trois d’entre eux aient été partiellement graciés par le roi en juillet et soient sortis de prison. Le dernier à avoir été condamné est Hamid El Mahdaoui, mais il pourrait peut-être échapper à la prison. Il a fait appel d’une décision qui l’a condamné en novembre à 18 mois de prison et à une lourde amende pour « diffusion de fausses allégations » et « diffamation », selon le Code pénal. Il aurait dû être jugé en vertu de la loi sur la presse et les publications, a souligné Reporters sans frontières dans un communiqué.

mercredi 12 février 2025

Le capitalisme de cour

 

Ihssane EL OMRI, Club de Mediapart, 11/2/2025
L’ auteure est défenseure des droits humains et membre de Transparency International Maroc.                   

Dans les républiques héréditaires ou les royautés, où le pouvoir s’étend bien au-delà des sphères politiques, l’économie devient souvent l’apanage d’une élite. Ce capitalisme de cour, fondé sur la prédation, le clientélisme et l’accaparement des ressources, façonne des marchés verrouillés et empêche l’émergence d’une concurrence libre et équitable.

La prédation économique ne se réduit pas à une simple inégalité des rapports d'échange. Elle incarne une dynamique où la contrainte supplante le consentement, où la domination s’exerce par l’imposition d’une transaction asymétrique. Comme le souligne Michel Volle [Prédation et prédateurs, 2008], cette relation repose sur un accord biaisé, privant la partie dominée d'une négociation véritablement équilibrée. Le prédateur économique use de sa position de force pour s’approprier des ressources, des avantages ou des richesses, sans que la réciprocité n’entre en ligne de compte.

Les racines de cette dynamique remontent aux premiers temps de la sédentarisation humaine. Avec l’accumulation des premières richesses agricoles et animales, des hiérarchies ont été créées, créant avec elles des rapports de force inédits. 

Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, l’esclavage illustre cette tendance : il s’agit d’un système d’extraction de richesse où la force et la coercition dictent les termes de l’échange. L’accaparement des terres, le monopole des réserves alimentaires et le contrôle des routes commerciales renforcent ces logiques.

Si les modalités ont changé aujourd’hui, les logiques de prédation persistent sous de nouvelles formes. James K. Galbraith, dans The Predator State (2009) [fr. LÉtat prédateur, Seuil 2009], analyse comment l’intervention de l’État, présentée comme un mécanisme de stabilisation, sert souvent à consolider le pouvoir d'une élite économique. Dans cette perspective, l'État n’est plus un simple arbitre du marché, mais un acteur central de la redistribution des opportunités. Il façonne les règles du jeu, favorise certaines entités et orchestre les flux de capitaux. 

Dans des États où le pouvoir est fortement centralisé et où les institutions démocratiques sont fragilisées, le pouvoir politique exerce souvent une prédation économique en contrôlant directement les ressources naturelles et les secteurs stratégiques. Dans ces Etats, et particulièrement les “républiques héréditaires” et les régimes monarchiques, le système de « capitalisme de connivence » est fréquemment cité : l’État et une élite proche de pouvoir attribuent d’importants contrats publics et gèrent des secteurs clés de manière à extraire des rentes, souvent par le biais de mécanismes opaques et de favoritisme. Les réseaux d’influence verrouillent ainsi l’accès à certains secteurs stratégiques, transformant l’économie en un espace de cooptation plutôt qu’un champ de concurrence ouverte. Dans ces environnements, les nouveaux entrants peinent à émerger, non en raison d’une absence d’innovation ou de compétitivité, mais parce que les règles du jeu sont biaisées en faveur des acteurs déjà en place. Ces derniers bénéficient d’un maillage institutionnel et relationnel qui leur permet de conserver un avantage indéfectible, façonnant ainsi une économie où les opportunités sont distribuées selon des logiques d’appartenance et de fidélité plutôt que selon celles du marché.

Les monarchies dites patrimoniales, dans le sens de Weber, sont caractérisées par une absence de distinction claire entre les ressources de l'État et les biens privés du monarque. Dans ces systèmes, l'administration et l'économie deviennent des extensions du pouvoir personnel du souverain, ce qui favorise la captation des richesses nationales à des fins privatives. Cette configuration institutionnelle contraste avec les systèmes démocratiques modernes, où des mécanismes de reddition des comptes limitent les risques d'appropriation indue des ressources publiques. Dans un cadre monarchique autoritaire, l'accumulation du capital économique et politique par le monarque et ses proches s'opère sans contrôle effectif. La concentration du contrôle de ces ressources entre les mains du souverain et de son entourage empêche une redistribution équitable et limite la diversification économique.

Les théories de l'économie politique rentière suggèrent que la rente favorise l'émergence d'un État prédateur, où les ressources publiques sont redistribuées selon des logiques clientélistes plutôt que productives. Cette situation se traduit par une dépendance économique à la rente et par un empêchement du développement du secteur privé indépendant.

Ces nouvelles formes de prédation transforment le capitalisme en un système où l'accès aux ressources est conditionné non plus par le mérite, mais par l’alignement sur les structures de pouvoir. Loin de favoriser une dynamique d’innovation et de compétition saine, ce modèle perpétue une économie de rente où la réussite repose davantage sur la proximité avec les cercles influents que sur la création de valeur ajoutée réelle. Il en résulte une stagnation des forces productives et un ralentissement du renouvellement économique, tandis que les inégalités se creusent, les élites consolidant leurs positions au détriment du tissu entrepreneurial et de la mobilité sociale.

La prédation économique, loin d'être un archaïsme, s'est adaptée aux réalités contemporaines en se perfectionnant. Hier, elle s'incarnait dans la confiscation des surplus agricoles et l'esclavage ; aujourd'hui, elle opère à travers la capture des institutions, le monopole des flux financiers et la fabrication de la rareté.

mardi 11 février 2025

Zineb Mekouar, une écrivaine engagée

Khaoula Benhaddou & Mohammed Chafi, snrt.news, 9/2/2025

   

Zineb Mekouar est une écrivaine sensible à la fragile beauté du monde. Avec ses deux romans "La poule et son cumin" et "Souviens-toi des abeilles", elle avance à pas surs vers la cour des grands. Interview avec la finaliste du prix Goncourt

Avec son âme poétique et son amour manifeste pour la littérature, Zineb Mekouar utilise sa plume pour défendre délicatement les droits des personnes en situation de vulnérabilité.
En 2022, la jeune écrivaine dévoile son livre "La poule et son cumin", un roman empreint de sagesse et d’humanité.
Ce roman raconte l’histoire de Kenza et Fatiha, des jeunes femmes aux destins radicalement opposés. La première est issue d’une famille riche qui a poursuivi ses études à sciences Po-Paris et a décidé de rentrer chez elle au Maroc. La deuxième est la fille de sa nourrice et son amie d’enfance. À travers ces deux personnages, Zineb Mekouar jette la lumière sur la situation de la femme marocaine, son émancipation et sa lutte quotidienne pour briser les tabous.
Finaliste du Goncourt, ce livre a été sélectionné comme "coup de coeur de l’été 2022" de l’Académie Goncourt. Il a également remporté en juin dernier le prix du "meilleur roman des lecteurs et libraires 2024 de la maison d’édition française Points".
Après le succès de son premier opus, cette femme à la pensée libre va pianoter avec délicatesse sur un autre sujet plus délicat.
Après un voyage au village d’Inzekri, situé dans la province de Taroudant, la romancière découvre le plus ancien rucher collectif du monde: le rucher du Saint qui subit les conséquences du changement climatique.
A travers l’histoire d’Anir, un enfant de dix ans qui grandit au rythme des histoires racontées par son grand-père, Zineb jette la lumière sur la souffrance des habitants de la région à cause du manque d’eau et de la disparition progressive des abeilles.
Militante dans l’âme, la romancière agée de 34 ans a décidé d’aider les habitants à sauvegarder leur patrimoine ancestral et à porter leurs voix aux autorités qui ont promis de se mobiliser pour venir en aide à cette population.
"Souviens-toi des abeilles", cette fable écologique, a été présélectionnée pour le Prix Jean Giono 2024.
Militante dans l’âme, Zineb Mekouar continue de faire la promotion de son livre au Maroc et en France. Ses doigts agiles continuent de danser sur les touches de son clavier pour préparer un nouveau roman qui lui promet une carrière florissante.

lundi 10 février 2025

Je prends Gaza, tu gardes le Sahara occidental : grandes manœuvres entre Washington et Rabat, via Tel Aviv et Abou Dhabi

L’intérêt des USA pour le Maroc passe maintenant par Gaza, au cas où celui-ci pourrait contribuer d’une manière ou d’une autre à imposer la Pax Americana dans ce territoire, pour lequel le président usaméricain a déjà esquissé un plan.

Ignacio Cembrero, El Confidencial, 09/02/2025
Traduit par 
Tafsut Aït BaâmraneTlaxcala


Photo d’archives de Trump avec le président des Émirats arabes unis Mohammed bin Zayed al-Nahayan (Reuters/Jonathan Ernst).

Donald Trump est de retour à la Maison Blanche. Il a été le premier président d’une démocratie à reconnaître, en 2020, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Rabat réfléchit actuellement à la manière de tirer le meilleur parti du magnat new-yorkais pour ce qu’il appelle sa « cause nationale », à savoir l’ancienne colonie espagnole.

En décembre 2020, Trump s’était engagé à ouvrir un consulat usaméricain à Dakhla, la deuxième ville du Sahara, mais son successeur, Joe Biden, a retardé l’ouverture de ce consulat. Rabat espère désormais qu’il franchira le pas, mais il s’agit d’une initiative mineure par rapport aux rêves que la diplomatie marocaine nourrit pour les terres dont elle s’est emparée il y a un demi-siècle grâce à la Marche verte.

Selon une source diplomatique au fait des intentions marocaines, le plan diplomatique du Maroc est de tenir une conférence internationale aux Émirats arabes unis (EAU), son principal allié arabe, sous l’égide des USA et des puissances européennes, à commencer par la France, qui donnerait sa bénédiction à la « marocanité » du Sahara occidental.

« Le Maroc espère maintenant obtenir le feu vert international final » sur le Sahara « lors d’une conférence qui se tiendra aux EAU en avril écrit. Hugh Lovatt, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales, dans un article publié par le think-tank barcelonais CIDOB [voir version française ci-dessous].  Rabat tenterait ainsi de « forcer les États européens récalcitrants [Royaume-Uni, Italie, etc.] et l’ONU elle-même à se rallier », prédit Lovatt, dans un entretien avec El Confidencial. « Il y a déjà eu des contacts diplomatiques en ce sens », affirme-t-il, tout en doutant que la date initiale d’avril soit respectée.

Le gouvernement socialiste espagnol pourrait difficilement éviter de participer à une telle conférence s’il souhaite continuer à entretenir des relations harmonieuses avec son voisin marocain. La conférence s’inscrirait également dans la lignée de la lettre que le Président Pedro Sánchez a adressée le 14 mars 2022 au roi Mohammed VI, s’alignant sur la solution d’autonomie que ce dernier préconise pour résoudre le conflit du Sahara.

Les autorités marocaines refusent de donner plus de détails sur ce plan d’autonomie de trois pages, qu’elles ont présenté en 2007, comme l’a souligné en octobre devant le Conseil de sécurité Staffan de Mistura, l’envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental. Elles s’efforcent cependant de promouvoir des associations sahraouies qui, aux yeux de l’Occident, pourraient faire de l’ombre au Front Polisario, le mouvement qui représente la majorité.

Il y a d’abord eu le Mouvement sahraoui pour la paix, dirigé par Hach Ahmed Barical, qui a été discrédité après qu’un rapport du Centre national du renseignement espagnol, révélé par El País en 2022, l’a décrit comme le chef d’une  « organisation-écran » des services de renseignement extérieur marocains.. Les services marocains ont maintenant parrainé à El Ayoun Initiative sahraouie, dirigée par une femme, Gasmula Ebbi, ancienne députée à Rabat, qualifiée par la propagande de "Pasionaria du Sahara".

En échange de la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara en 2020, le roi Mohamed VI a dû offrir une contrepartie à Trump : établir des relations diplomatiques avec Israël. Il s’est ainsi rallié aux « accords d’Abraham » finolés par le gendre du président, Jared Kushner, auxquels d’autres pays musulmans (EAU, Bahreïn, Soudan) avaient déjà adhéré.

Aux yeux de l’administration Trump, le Maghreb n’a que peu d’importance. Pour le mobiliser en sa faveur, le Maroc doit lui offrir quelque chose en retour, comme il l’a fait en 2020 avec Israël. Que peut-il faire maintenant ? « Jouer un rôle quelconque dans la bande de Gaza post-conflit avec le consentement des parties », a répondu Hugh Lovatt dans son article. En mai dernier, l’administration Biden a déjà sondé le Maroc, l’Égypte et les Émirats arabes unis sur leur volonté d’intégrer une force de maintien de la paix à Gaza une fois la guerre terminée, comme l’a révélé le Financial Times.

Le Secrétaire d’État Marco Rubio a appelé son homologue marocain, Nasser Bourita, le 27 janvier. Il ressort clairement des informations fournies par le département d’État sur cette conversation, que Rubio n’a pas tant discuté des relations bilatérales que de la « mise en œuvre du cessez-le-feu à Gaza » et du rôle des accords d’Abraham qui incluent le Maroc.

Le plan de Trump pour Gaza n’est pas de déployer une force arabe de maintien de la paix, mais plutôt d’expulser les plus de deux millions de Palestiniens qui y vivent encore vers d’autres parties du monde afin que les USA puissent s’emparer du territoire et peut-être le transformer en une luxueuse « riviera » en Méditerranée orientale. C’est là que le Maroc intervient à nouveau, après que l’Égypte et la Jordanie ont clairement fait savoir qu’elles n’accepteraient pas de réfugiés palestiniens.

La reconnaissance en échange de l’accueil des Palestiniens

La chaîne de télévision israélienne N-12 a révélé que Washington envisageait trois autres destinations pour la population de Gaza : le Maroc, le Puntland et le Somaliland : l’idée a même été reprise par des diplomates israéliens lors d’interventions publiques. Ces trois pays ont besoin du soutien des USA pour diverses raisons. Le voisin marocain pour affirmer son autorité sur le Sahara et les deux autres, situés dans la Corne de l’Afrique, pour obtenir une forme de reconnaissance internationale qui leur fait défaut.

Contrairement à d’autres capitales arabes, Rabat reste silencieuse sur le plan de Trump pour Gaza. « Malgré cela, je doute qu’il puisse s’écarter du consensus arabe et approuver le vidage de Gaza comme Trump pourrait l’exiger », déclare Hugh Lovatt. Le Maroc a été le pays arabe, avec l l’Irak où ont eu lieu le plus de manifestations, parfois massives, contre l’invasion israélienne de Gaza et, par ricochet, contre les relations diplomatiques établies avec l’État hébreu il y a un peu plus de quatre ans.

Un autre risque pour la stabilité de la région est que le Maroc, enhardi par le soutien de l’administration Trump, décide d’envahir cette cinquième partie du territoire sahraoui, la bande orientale, qu’il ne contrôle pas et où la guérilla du Polisario opère quand les drones marocains ne perturbent pas ses mouvements. Une invasion à la portée de son armée.

Personne ne le propose à Rabat, bien qu’en 2022 le Maroc ait déjà menacé « de prendre le contrôle de la zone , évoquant même la possibilité queles troupes marocaines affrontent l’armée algérienne le long de la frontière du Sahara occidental » avec l’Algérie, rappelle Ricardo Fabiani dans un article publié dans Diplomacy Now. Malgré cette mise en garde de longue date, les ministères des affaires étrangères et les groupes de réflexion européens considèrent qu’il est très peu probable que les deux « poids lourds » du Maghreb en viennent aux mains.

Donald Trump est déjà de retour à la Maison Blanche. Il a été le premier président d’une démocratie à reconnaître, en 2020, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Rabat réfléchit maintenant à la manière de tirer le meilleur parti du magnat new-yorkais pour ce qu’il appelle sa « cause nationale », c’est-à-dire l’ancienne colonie espagnole.

Trump peut-il obtenir un accord sur le Sahara occidental ?

Hugh Lovatt, CIDOB, janvier 2025
Traduit par Ayman El Hakim

Comme lors de son premier mandat présidentiel, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait avoir un impact sur le conflit latent entre le Maroc et le Front Polisario indépendantiste du Sahara occidental, qui remonte à 1975. Depuis la fin du cessez-le-feu en 2020, les tensions se sont accrues dans la région, mais un accord négocié sous l’égide des Nations unies est toujours possible. Cependant, il faudrait que les USA et l’Union européenne exercent une pression efficace pour encourager le Maroc et le Polisario à trouver un compromis.

À l’approche de son cinquantième anniversaire, le conflit du Sahara occidental se poursuit sans relâche. Le Maroc a réussi à obtenir un soutien international accru pour ses revendications sur ce territoire désertique. Pourtant, cela n’a pas permis de rapprocher le conflit d’une fin, le mouvement de libération nationale sahraoui, le Front Polisario, menaçant désormais d’étendre sa lutte armée pour l’indépendance Alors que le conflit continue d’alimenter une recrudescence de l’insécurité régionale et d’exacerber les tensions entre le Maroc et l’Algérie (parrain du Polisario), un accord de paix au Sahara occidental reste vital pour l’avenir de la région. Le retour du président Trump à la Maison Blanche pourrait contribuer à catalyser un accord. Pour réussir, l’engagement futur des USA devra toutefois tenir compte de l’autodétermination des Sahraouis conformément au droit international.

Trump a déjà donné une grande victoire au Maroc lors de son premier mandat présidentiel en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en décembre 2020. Cette décision a permis la normalisation ultérieure des relations entre le royaume nord-africain et Israël. Elle a également ouvert la voie à d’autres avancées diplomatiques marocaines, notamment de la part du président français Emmanuel Macron qui a déclaré que le « présent et l’avenir » du Sahara occidental relevaient de la souveraineté marocaine Le président français a également encouragé les investissements français sur le territoire, suivant l’exemple de l’Espagne qui a également stimulé les investissements dans le cadre de ses propres efforts pour améliorer les relations avec le Maroc.

Parallèlement, le Maroc bénéficie d’un soutien de plus en plus large pour sa proposition d’autonomie du Sahara occidental. Présentée en 2007, elle envisageait la création d’une administration régionale locale - la région autonome du Sahara (RAS) - sous souveraineté marocaine Si la RAS aurait le pouvoir de créer ses propres lois et de réglementer les questions nationales telles que les infrastructures et la politique sociale, Rabat conserverait le contrôle des ressources naturelles du Sahara occidental, des relations étrangères, de la monnaie, ainsi que de la sécurité extérieure et intérieure. Le gouvernement marocain continue d’insister sur le fait que son plan d’autonomie est la seule solution qu’il acceptera pour le Sahara occidental. Il espère maintenant obtenir le sceau d’approbation international final à ce sujet lors d’une conférence internationale qui se tiendra aux Émirats arabes unis en avril.

Mais le Polisario, qui administre une grande partie de la moitié orientale du Sahara occidental, continue de rejeter le plan d’autonomie du Maroc, tout comme de nombreux Sahraouis. Bien que le mouvement sahraoui ait publié sa propre proposition en 2007 pour une coopération économique et sécuritaire entre le Sahara occidental et le Maroc, il continue d’exiger la pleine indépendance comme seul moyen de réaliser l’autodétermination sahraouie. Après des années d’impasse dans le processus de paix mené par l’ONU, la frustration croissante a finalement conduit le Polisario à reprendre les attaques armées contre les forces marocaines au Sahara occidental en novembre 2020.

Alors que la diplomatie menée par l’ONU reste bloquée, un accord négocié est toujours possible. Mais il faudra une pression efficace des USA et de l’Europe pour encourager le Maroc et le Polisario à faire des compromis dans le but de les entraîner dans ce que les négociateurs appellent une zone d’accord.

À ce jour, le Maroc a rejeté les demandes visant à élargir sa proposition de 2007 avant la reprise des négociations. Mais comme l’a déclaré Staffan de Mistura, envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental, au Conseil de sécurité des Nations unies en octobre 2024, les pays ont le droit de comprendre ce que le plan d’autonomie qu’on leur demande de soutenir implique. Cela inclut par exemple des garanties pour assurer le respect des droits nationaux et de l’autonomie des Sahraouis.

Il y a également des raisons de se demander si Rabat est vraiment engagée dans son propre plan. À ce jour, elle n’a pris aucune mesure pour mettre en œuvre sa vision de l’autonomie du Sahara occidental. Cela peut s’expliquer en partie par la volonté de la monarchie marocaine de centraliser le pouvoir. Néanmoins, le Maroc devra faire preuve d’une plus grande flexibilité pour avancer.

Compte tenu de son passé pro-marocain, l’administration Trump peut influencer positivement les calculs marocains pour soutenir un accord avec le Polisario. Pour ce faire, la nouvelle administration usaméricaine devrait faire pression sur le Maroc pour qu’il s’engage sur les détails de sa proposition d’autonomie afin de fournir une forme crédible d’autodétermination au peuple du Sahara occidental.

Le Polisario devra lui aussi faire preuve d’un plus grand pragmatisme. Le groupe sahraoui a également rejeté les demandes internationales visant à développer sa proposition de 2007, misant plutôt sur la pression militaire pour forcer les concessions marocaines. Avec le Maroc qui gagne en puissance sur la scène régionale et internationale, cette stratégie militaire ne réussira pas. Une voie plus prometteuse a été tracée par les contestations judiciaires réussies du Polisario contre l’inclusion du Sahara occidental dans les relations du Maroc avec l’UE Mais malgré son grand potentiel, cette stratégie juridique a peu de chances de surmonter complètement les facteurs géopolitiques, économiques et idéologiques profondément enracinés qui sous-tendent le contrôle continu du Maroc.

Avec les questions croissantes sur l’avenir de la MINURSO, la mission de maintien de la paix des Nations unies au Sahara occidental, et la menace de démission de M. de Mistura s’il n’y a pas d’engagement diplomatique positif de la part des parties, la fenêtre diplomatique actuelle pour un accord pourrait bientôt se refermer. Cela jouera en faveur du Maroc, tout en laissant potentiellement aux Sahraouis une voie étroite vers l’indépendance. Comme l’a récemment reconnu un haut diplomate du Polisario : « le temps ne joue pas en notre faveur ».

Le Polisario n’a pas besoin d’abandonner son rêve d’autodétermination sahraouie Tout accord relatif à l’avenir du Sahara occidental devra en fin de compte être soumis au peuple sahraoui dans le cadre d’un référendum national. Mais il doit repenser la meilleure façon de parvenir à l’autodétermination compte tenu des réalités géopolitiques actuelles. Là aussi, les USA pourraient fournir des incitations économiques et politiques importantes pour encourager le Polisario à accepter un modèle négocié d’autonomie qui se situe entre l’indépendance pure et simple et l’intégration complète au Maroc. Cela pourrait prendre plusieurs formes. Dans son briefing au Conseil de sécurité, de Mistura a cité l’exemple du Groenland, qui est un territoire autonome du Danemark. Les Sahraouis pourraient également se tourner vers des îles du Pacifique telles que les îles Cook et Niue, qui sont des États autonomes en libre association avec la Nouvelle-Zélande.

Il pourrait également y avoir un accord potentiel entre les USA et l’Algérie qui réduirait les tensions avec le Maroc tout en générant une pression algérienne sur le Polisario pour qu’il accepte une solution de compromis. Lors de réunions, les responsables algériens ont exprimé le désir d’apaiser les tensions avec le Maroc et de faire progresser les normalisations régionales, mais soulignent que cela nécessitera une évolution positive de la voie politique menée par l’ONU vers la garantie de l’autodétermination sahraouie sous quelque forme que ce soit.

La résolution du conflit du Sahara occidental offrirait des avantages considérables à l’Union européenne, qui se trouve prise entre son désir politique d’approfondir son partenariat économique avec le Maroc, d’une part, et son obligation légale de traiter le Sahara occidental comme un pays distinct et de respecter le droit des Sahraouis à l’autodétermination, d’autre part. Il serait particulièrement important de conclure un accord de coopération économique qui permettrait au Sahara occidental de continuer à faire partie des relations commerciales de l’UE avec le Maroc , avec le consentement du Polisario.

En travaillant avec l’administration Trump et l’ONU pour établir une nouvelle relation commerciale avec le Sahara occidental conforme à l’arrêt de la CJUE, l’UE pourrait contribuer à créer une dynamique diplomatique importante en vue d’une solution négociée qui puisse répondre aux aspirations des Sahraouis et des Marocains. Mais cela exigera de Bruxelles qu’elle adopte une réflexion stratégique, ce qu’elle s’est montrée réticente à faire jusqu’à présent en ce qui concerne ce conflit.