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samedi 12 juin 2021

Maroc-Espagne : ces violations sur lesquelles les eurodéputés ont fermé les yeux dans leur résolution

© REUTERS / Jon Nazca, le 11/6/2021
Afrique

Dans un entretien à Sputnik, Fouad Abdelmoumni, militant marocain des droits de l’homme, commente la résolution votée jeudi 10 juin par le Parlement européen, rejetant le comportement de Rabat lors de la crise migratoire à Ceuta. Il constate que le document «n’a pas appelé à des mesures concrètes contre l’État marocain».

Le Parlement européen a voté jeudi 10 juin une résolution rejetant le comportement du Maroc lors de la crise migratoire et diplomatique avec Madrid, résultat de la présence du Président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), Brahim Ghali, en Espagne pour des soins médicaux.

Le texte rejette «l’utilisation par le Maroc des contrôles aux frontières et de la migration, notamment des mineurs non accompagnés, comme moyen de pression politique sur un État membre de l’Union», en l’occurrence l’Espagne.

Par ailleurs, les eurodéputés ont réaffirmé «la position consolidée de l’Union sur le Sahara occidental, fondée sur le plein respect du droit international, des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et du processus politique conduit par les Nations unies pour parvenir à une solution négociée juste, durable, pacifique et acceptable par les deux parties».

Dans un entretien à Sputnik, Fouad Abdelmoumni, militant marocain des droits de l’homme et membre du conseil d’administration de l’ONG Transparency International Maroc, constate que «la résolution du Parlement de l’UE n’a pas posé la question des violations en général des droits de l’homme au Maroc». Pour lui, les eurodéputés qui ont condamné à juste titre l’exploitation d’enfants ont fermé les yeux «sur les cas, par exemple, des journalistes Omar Radi et Soulaimane Raissouni, dont le pronostic vital est en ce moment engagé des conséquences de sa grève de la faim qui dure depuis 65 jours déjà».

Le Parlement «n’a pas appelé à des mesures concrètes»

«Le Parlement européen a voté une résolution rejetant le comportement de l’État marocain dans l’affaire de la migration illégale, qu’il est accusé d’avoir encouragée et permise les 17 et 18 mai derniers [au moins 10.000 personnes majoritairement marocaines, dont environ 2.000 mineurs, ont passé la frontière vers l’enclave espagnole de Ceuta, ndlr]», affirme M.Abdelmoumni.

Et de souligner que «des responsables marocains de divers niveaux ont clairement imputé cette situation au fait que la position de l’Espagne n’était pas suffisamment favorable à la thèse de la marocanité du Sahara occidental».

Par ailleurs, Fouad Abdelmoumni note que «le Parlement européen a voté une résolution de consensus, mais il n’a pas appelé à des mesures concrètes contre l’État marocain. Il est clair qu’il y a eu une entente entre les divers courants et intérêts représentés au sein de cette institution pour dire que le Maroc ne respecte plus ses engagements, mais sans aller jusqu’à la rupture en comptant qu’un coup de semonce ou un avertissement clair suffirait peut-être à changer la donne».

À ce titre, M.Abdelmoumni explique qu’«il est clair que la résolution n’a pas retenu certaines des propositions formulées par des groupes parlementaires, dont celles qui tendaient à condamner l’absolutisme monarchique marocain et à dénoncer les violations graves des droits humains qui se déroulent actuellement dans le pays».

«Les États européens de la proximité sont très sensibles aux menaces»

Dans le même sens, expliquant les raisons qui auraient pu motiver ces omissions, l’interlocuteur de Sputnik juge que «dans ce genre d’institutions, il y a ce qu’on pense, ce qu’on déclare, ce qu’on négocie et ce qu’on dit d’une manière implicite». À ce propos, il rappelle que «depuis à peu près cinq ans maintenant, l’État marocain a exprimé d’une manière on ne peut plus claire à ses partenaires étrangers, notamment européens, qu’il n’admettait plus leur tendance à défendre les droits humains au Maroc et à encourager les activités de la société civile».

Ainsi, il rappelle «les nombreuses tensions, notamment avec les Pays-Bas, lorsque leur Parlement avait posé la question concernant la répression des activistes du Rif, dans le nord du pays, lors du Hirak de 2017». Et d’ajouter que «nous pouvons également citer la décision du Maroc de rompre ses relations avec l’ambassade d’Allemagne, pointant nommément certaines fondations allemandes qui s’intéressent aux questions de la démocratie, des droits de l’homme et des activités de la société civile au royaume».

Dans ce contexte, le militant des droits humains pense que «les États européens, notamment ceux de la proximité avec le Maroc, sont très sensibles aux menaces, qui d’ailleurs ont été rappelées il y a trois jours par un ancien ministre et actuel parlementaire dans un article de presse, disant explicitement que "toute condamnation de l’État marocain aurait des répercussions sur la coopération en matière de lutte contre l’immigration clandestine, le terrorisme et le grand banditisme transnational».

«Il est clair qu’aujourd’hui l’État marocain use et abuse de ces outils de rétorsion contre les partenaires extérieurs avec qui il était convenu, il y a de longues années, que les droits humains et la démocratie étaient une partie du socle de référence pour les partenariats», constate-t-il.

Pour Raissouni, «le risque pour la vie est tout à fait avéré»

Pour étayer son propos, Fouad Abdelmoumni cite le «cas des journalistes Omar Radi et Soulaimane Raissouni, qui est certainement un des plus emblématiques au Maroc».

Et d'ajouter que «ce dernier a été incarcéré sur la base d’accusations fallacieuses et farfelues, par des appareils policier et judiciaire qui sont reconnus comme étant soumis au pouvoir exécutif, et ce juste pour le tenir en prison sans raisons valables, sans que cela corresponde aux normes et lois marocaines elles-mêmes et encore moins aux engagements internationaux du pays».

Et lorsque ce journaliste s’est lancé dans une grève de la faim il y a déjà 65 jours pour simplement demander à bénéficier de ses droits les plus élémentaires, poursuit-il, «et bien le pouvoir l’ignore, alors qu’il y a deux jours un rapport médical a affirmé que le risque pour la vie était tout à fait avéré, que le cœur de Soulaimane Raissouni pourrait flancher à tout moment, et que ses reins sont actuellement dans un état critique».

Enfin, M.Abdelmoumni informe que «jeudi 10 juin, Soulaimane Raissouni a été amené devant la Cour de justice et maintenu dans une situation qui ne correspond absolument pas à son état de faiblesse pendant plusieurs heures. Les requêtes de ses avocats en vue de lui obtenir une remise en liberté provisoire ont été systématiquement rejetées, ce qui les a amenés à annoncer le boycott du procès parce qu’ils estiment que les garanties minimales pour un procès équitable n’étaient pas réunies».

«Le cas du journaliste Toufik Bouachrine condamné à 15 ans de prison ferme a été dénoncé par le comité de l’Onu sur la détention arbitraire qui a exigé leur libération immédiate ainsi que son indemnisation et la prise de mesures pour que ce genre de situations ne se répètent pas, en plus des militants du Hirak du Rif et des dizaines de détenus d’opinion. Mais la répression semble devenir l’unique outil de l’État marocain face à toute voix critique», conclut-il.

 

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