France : Des enfants migrants privés de protection.
Des procédures défectueuses dans les Hautes-Alpes, comme à Paris et ailleurs.
Notre nouveau rapport https://www.hrw.org/fr/news/2019/09/05/france-des-enfants-migrants-prives-de-protection …
Des procédures défectueuses dans les Hautes-Alpes, comme à Paris et ailleurs.
Notre nouveau rapport https://www.hrw.org/fr/news/2019/09/05/france-des-enfants-migrants-prives-de-protection …
France : Des enfants migrants privés de protection
hrw.org
Des procédures défectueuses dans les Hautes-Alpes, comme à Paris et ailleurs
Le rapport de 80 pages, intitulé « ‘Ça dépend de leur humeur’ : Traitement des enfants migrants non accompagnés dans les Hautes-Alpes », montre que les évaluateurs, dont le travail consiste à certifier la minorité d’un enfant, c’est-à-dire qu’il a moins de 18 ans, ne se conforment pas aux normes internationales. Human Rights Watch a constaté que les évaluateurs utilisent diverses justifications pour refuser d’octroyer une protection aux enfants, telles que des erreurs minimes de dates, une réticence à aborder dans le détail des expériences particulièrement traumatisantes, des objectifs de vie jugées irréalistes, ou encore le fait d’avoir travaillé dans le pays d’origine ou au cours du parcours migratoire.
« La protection de l’enfance ne devrait pas dépendre de l’humeur ou du bon vouloir d’une personne, » a déclaré Bénédicte Jeannerod, Directrice France à Human Rights Watch. « Les évaluations de l’âge devraient garantir le droit des enfants à une procédure équitable, et non pas consister à trouver des excuses pour leur refuser une protection. »
Human Rights Watch a constaté les mêmes pratiques défectueuses dans les procédures d’évaluation de l’âge à Paris, et a recueilli des témoignages de décisions arbitraires prises dans d’autres départements français, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’un problème répandu en France.
Report
« Ça dépend de leur humeur »
Traitement des enfants migrants non accompagnés dans les Hautes- Alpes
Human Rights Watch a interviewé 59 garçons, une fille, et un jeune
homme de 18 ans dans le département des Hautes-Alpes, et a consulté 36
dossiers d’évaluation pour ce rapport. Human Rights Watch s’est
également entretenu avec des avocat-e-s, des professionnel-le-s de
santé, des personnes travaillant pour des organisations humanitaires,
des bénévoles associatifs, et des responsables des autorités.
Selon la loi française, les enfants non accompagnés devraient être
pris en charge par le Service de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Les
autorités en charge de la protection de l’enfance soumettent les enfants
non accompagnés à une évaluation de leur âge avant qu’ils ne soient
formellement reconnus comme mineurs.
Les normes internationales préconisent que les évaluations de l’âge
ne soient utilisées qu’en dernier recours et uniquement lorsqu’il existe
des doutes sérieux sur l’âge déclaré de la personne et qu’aucune preuve
documentaire n’est disponible. La réglementation française stipule que
l’évaluation de l’âge doit être « une démarche empreinte de neutralité et de bienveillance ».
Pour se conformer aux normes internationales, les évaluations de l’âge
devraient accorder le bénéfice du doute dès lors qu’il existe une
possibilité raisonnable que l’âge déclaré soit correct.
Beaucoup d’enfants arrivant seuls en France, que ce soit dans les
Hautes-Alpes ou ailleurs, ont subi de graves abus dans leur pays, ont
été victimes de torture, de travail forcé et d’autres mauvais
traitements en Libye et ont vécu de terrifiantes traversées de la mer
sur des bateaux surpeuplés pour rejoindre l’Europe. Beaucoup présentent
des symptômes de trouble du stress post-traumatique (TSPT), ont expliqué
des médecins à Human Rights Watch. Mais la procédure d’évaluation de
l’âge ne semble pas prendre en compte ces circonstances et les effets
très documentés du TSPT sur la mémoire, la concentration ou encore
l’expression des émotions, a constaté Human Rights Watch.
L’une des conséquences immédiates d’un refus de reconnaissance de
minorité pour les enfants non accompagnés est d’être évincés des lieux
d’hébergement d’urgence, même pour ceux qui demandent le réexamen de
leur cas par un juge. Certains trouvent refuge auprès de familles qui
proposent bénévolement de les accueillir ou dans des squats gérés par
des réseaux bénévoles. D’autres sont hébergés dans des lieux pour
adultes ou se retrouvent à vivre à la rue. Les recours peuvent prendre
des mois, ce qui peut affecter l’éligibilité des enfants à un statut
migratoire régulier à leurs 18 ans.
La plupart des enfants interviewés disent avoir passé entre six mois
et plus d’une année en Italie avant de décider de se rendre en France.
Nombre d’entre eux ont cité le manque d’accès à l’éducation et aux soins
médicaux comme la principale raison ayant motivé leur décision de
quitter l’Italie. Certains enfants ont mentionné les attitudes
discriminatoires des représentants du gouvernement et d’une partie de la
population.
Les évaluations de l’âge défectueuses ne sont pas les seuls obstacles que doivent surmonter les enfants non accompagnés.
La police aux frontières dans le département des Hautes-Alpes a
sommairement renvoyé des enfants migrants non accompagnés tentant de
traverser la frontière entre l’Italie et la France, au lieu de les
orienter vers les services de protection de l’enfance, a constaté Human
Rights Watch. Les témoignages recueillis confirment les observations du
Défenseur des droits, d’organisations non gouvernementales, d’avocats et
groupes bénévoles.
Amadin N., un Béninois de 17 ans, nous a dit : « J’ai montré mes papiers qui disaient que j’étais mineur, mais la police ne voulait rien entendre. »
La loi française prévoit une procédure accélérée de « refus d’entrée »
pour les enfants et les adultes interpelés à moins de 10 kilomètres de
la frontière. Si tel est le cas, la police doit émettre un refus par
écrit indiquant les motifs du refus d’entrée et le droit à demander
l’asile et à faire appel du refus d’entrée. Les enfants devraient se
voir désigner un administrateur ad hoc. Dans les neuf cas étudiés par
Human Rights Watch, la police semble ne pas avoir respecté ces
protections procédurales pourtant limitées.
Pour éviter une interpellation et un renvoi sommaire, les enfants non
accompagnés nous ont dit avoir marché dans les montagnes, loin des
sentiers balisés, se mettant ainsi en grave danger. Lorsqu’ils arrivent à
Briançon, de nombreux enfants souffrent d’engelures, de diverses
blessures et d’épuisement.
Par ailleurs, la police française harcèle et parfois engage des
poursuites contre les personnes aidant les migrants en détresse dans les
montagnes. Les autorités ont continué à ouvrir des procédures
judiciaires malgré la décision du Conseil constitutionnel
de juillet 2018 selon laquelle apporter une aide à des personnes dans
le besoin, y compris des migrants en situation irrégulière, est protégé
par la Constitution.
Les travailleurs humanitaires, bénévoles et militants qui participent
aux missions de recherche et de sauvetage, communément appelées
« maraudes », font l’objet de contrôles de papiers, d’inspection de leur
véhicule et de contraventions pour des infractions mineures du code de
la route, et ce de manière répétée. Les circonstances de ces contrôles
et verbalisations suggèrent que la police ne les emploie pas pour
veiller à la sécurité publique, mais plutôt pour créer un environnement
hostile à l’encontre des acteurs humanitaires.
De telles formes de harcèlement ne sont pas propres aux
Hautes-Alpes : les travailleurs humanitaires, bénévoles et militants
opérant à Calais et aux alentours ont décrit des pratiques similaires à Amnesty International, au Défenseur des droits, à Human Rights Watch et aux Rapporteurs spéciaux de l’ONU.
La France a les mêmes obligations que les autres États membres de
l’Union européenne de garantir aux enfants non accompagnés arrivant à
ses frontières le respect de leurs droits tels que définis dans le droit
européen et international. Comme le documente Human Rights Watch dans
d’autres travaux de recherche, la France n’est pas le seul pays de
l’Union européenne à faillir à ses obligations de respecter les droits
humains de manière constante. Mais le fait que les enfants non
accompagnés ont pu voir leurs droits bafoués dans d’autres pays de l’UE
ne réduit en rien l’obligation de la France de respecter les normes
internationales et régionales, ainsi que le droit de l’Union européenne,
a déclaré Human Rights Watch.
Les autorités françaises devraient réformer les procédures et les
pratiques d’évaluation de l’âge pour se conformer aux normes
internationales et veiller à ce que les enfants ne se voient pas refuser
arbitrairement la reconnaissance formelle de leur minorité. Un
diagnostic du trouble du stress post-traumatique par des psychologues
qualifiés, ainsi qu’un soutien psychologique avant toute évaluation pour
les enfants présentant des symptômes, rendraient le processus plus
équitable. Des protocoles devraient être développés, avec la
contribution d’experts, pour déterminer quand, comment et par qui l’âge
de ces enfants devrait être évalué.
Les autorités françaises devraient mettre fin au renvoi sommaire
d’enfants migrants non accompagnés vers l’Italie, et au contraire
veiller à ce qu’ils soient immédiatement transférés auprès du système de
protection de l’enfance pour être protégés et pris en charge comme il
se doit.
Les autorités devraient également agir pour empêcher le harcèlement
policier à l’encontre des travailleurs humanitaires et pour que les
agents impliqués soient tenus responsables.
« Porter assistance aux enfants et adultes dans le besoin, quel
que soit leur statut migratoire, ne devrait jamais être traité comme un
crime », selon Bénédicte Jeannerod. « Les enfants migrants devraient être évalués de manière équitable, pour que la protection à laquelle ils ont droit soit assurée. »
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