Depuis 1975, le Maroc occupe
le Sahara occidental au mépris du droit international. Pour avoir tenté
d’y rencontrer des indépendantistes, Nicolas Marvey en a été expulsé
illico. De la Courneuve à Laâyoune, récit d’une incursion écourtée.
La première fois que je rencontre des
Sahraouis, c’est en septembre dernier, dans les allées du « village du
monde », à la fête de l’Humanité. Le Sahara occidental, je suis au
courant : c’est la zone située au sud du Maroc, territoire « non
autonome », enjeu d’un conflit entre le Maroc et le Front Polisario qui
perdure depuis plus de quarante ans (lire l’encart historique
ci-dessous). Et pourtant, après avoir discuté avec Mbareck, membre de la
communauté sahraouie installée à Paris, et Michèle, fervente militante
de la cause de ce peuple [1], je repars ébranlé par tout ce que je viens
d’apprendre.
Un mois plus tard, je suis le conseil de
Mbareck et prends un billet d’avion pour Laâyoune, la capitale du
Sahara occidental, afin de voir de mes propres yeux…
Béton, palmiers, coupoles et roseaux…
Laâyoune se situe à 500 km au sud
d’Agadir et à une vingtaine de la côte atlantique. Cette ville de près
de 300 000 habitants [2] s’étend sur la berge sud de l’oued Saguia El
Hamra. Tout autour, le désert, plus rocailleux que sableux.
On est samedi soir, il est 23 h, les
terrasses des cafés sont bondées, on fait la queue au drive du
McDonald’s de la place Dchira ; dans les ruelles adjacentes, on se
bouscule dans la fumée des sardines grillées. Stationné à un angle, un
fourgon bleu des Forces auxiliaires, dont les vitres sont protégées par
des grilles, laisse à penser que le climat n’est pas si serein qu’il y
paraît.
Le lendemain, je parcours de larges
boulevards, remarque les nombreuses banques, les parcs et les immenses
esplanades en travaux avec leurs palmiers fraîchement plantés.
J’aperçois le chantier entouré de palissades d’une polyclinique
internationale, le stade de 30 000 places et sa pelouse gazonnée,
l’immense bibliothèque (la troisième plus grande d’Afrique)… Pas de
doute, le pouvoir chérifien investit massivement à Laâyoune.
Plus au nord, vers l’oued, je déambule
dans des quartiers populaires. Les édifices datant de la colonisation
espagnole sont bas, dans les tons ocre et saumon, surmontés d’une
coupole afin de maintenir une certaine fraîcheur. Beaucoup ont été
rasés. Partout on surélève et les fers à béton hérissent les
constructions inachevées. Au bout d’une rue, une dune de sable barre
l’horizon : la berge opposée de l’oued Saguia El Hamra que l’on aperçoit
au loin. En bas d’un talus aux allures de dépotoir s’ouvre un autre
monde. À cet endroit l’oued forme une retenue ; l’eau est d’un bleu
intense, la terre brun-rouge et une brise agite les plumeaux blancs des
roseaux. Des flamants roses et des aigrettes plongent le bec dans la
vase tandis que des ibis noirs remontent le cours en rasant l’eau.
« Pas d’alternative à l’auto-détermination ! »
« Nicolas, me dit Michèle au téléphone, Saïd [3] aimerait te rencontrer, c’est un militant.
– Il n’est pas surveillé ?, je demande.
– Ne t’inquiète pas, il a l’habitude ! »
J’appelle Saïd par WhatsApp, il me fixe
rendez-vous en fin d’après-midi. À l’heure dite, j’attends en bord de
rue, songeant que ce lieu de rencontre n’est pas bien discret. Saïd me
rappelle et me dit de marcher en direction de la mosquée. Cent mètres
plus loin une Mercedes me dépasse lentement, on me crie par la fenêtre
ouverte de tourner à droite, la Mercedes s’engage dans la ruelle à
droite, je la suis : « Monte vite ! », je monte vite. Le chauffeur,
casquette rabattue sur les lunettes de soleil, démarre en trombe, tourne
à gauche puis encore à gauche, s’arrête au milieu de la rue, vérifie
dans le rétro si nous ne sommes pas suivis puis, tranquillisé, me salue
avec un grand sourire.
Saïd a intensément participé au
campement de protestation de Gdeim Izik, moment sans précédent de
résistance non violente, qui a rassemblé quelque 20 000 Sahraouis dans
le désert en 2010 [4].
Nous pénétrons dans le quartier
Maâtallah, le cœur de la résistance sahraouie à Laâyoune. Lors de
l’intifada de 2005 qui a embrasé tout le Sahara occidental, c’est ici
que les affrontements entre Sahraouis et Forces auxiliaires ont été les
plus violents. Ainsi que la répression. À Maatallah, les façades
décrépites sont décorées de carrés de peinture rouge ou noire, destinés à
effacer les graffitis indépendantistes et drapeaux sahraouis qui
fleurissent à la moindre occasion. Des rues sont percées de tranchées,
des tas de sable occupent une partie de la chaussée dans une atmosphère
générale d’abandon qui contraste avec le luxe ostensible des villas à
quelques rues de là. Une femme sur le trottoir tient son fils par la
main. Saïd passe la tête par la fenêtre et crie « Labadil labadil ! ».
Illico le marmot répète le mot et forme un V avec ses petits doigts
tandis que la mère nous gratifie d’un grand sourire. Saïd éclate de
rire. « Labadil labadil, an takrir el massir ! » : « Il n’y a pas
d’alternative à l’auto-détermination ! »
Nous traversons un large boulevard. «
Arrête de filmer et baisse la tête ! », m’ordonne Saïd. Nous passons
devant une demi-douzaine de véhicules de la Sûreté nationale stationnés
là pour disperser les manifestations qui ont fréquemment lieu dans le
secteur. Plus au nord, Saïd me montre l’endroit où il a été torturé et
abandonné, au bord de l’oued, après avoir été enlevé par des policiers
en civil suite à une manifestation. Nous passons ensuite devant la
Carcel Negra, la « prison noire » où 700 personnes sont entassées
derrière les hauts murs blancs dans des conditions effroyables, puis
devant le quartier général de la Minurso, la Mission des Nations unies
pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental, incapable
d’accomplir son mandat depuis 1991 du fait de l’opposition acharnée du
Maroc. Et l’université, elle est où ? « Il n’y en a pas », me répond
Saïd : pour étudier, les jeunes Sahraouis doivent aller au Maroc, ou à
l’étranger. Pour finir, il me dépose à proximité de la place Dchira. À
l’angle du McDo’, le fourgon bleu est toujours là.
https://cqfd-journal.org/Sahara-occidental-voir-Laayoune-et
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