Maroc, le pouvoir rattrapé par ses démonsL’écrivain Abdellatif Laâbi a initié un appel, que vous trouverez en pièce jointe avec quelques premiers signataires, pour soutenir le mouvement de protestation populaire et pacifique du Rif au nord du Maroc et demander la libération des détenus politiques.
Cet appel, intitulé « Maroc, le pouvoir rattrapé par ses démons »,
est destiné aux personnalités (écrivains, journalistes, élus,
magistrats, avocats, intellectuels, responsables politiques, associatifs
et syndicaux, etc.)
Si vous désirez le signer, vous pouvez le faire par retour de courriel en indiquant le nom, la qualité et le pays.
Les organisations qui souhaitent le soutenir ou y participer sont invitées à envoyer leurs signatures à l’adresse :comite.meeting@gmail.com
Maroc, le pouvoir rattrapé par ses démons
Appel
Une année vient de s’écouler depuis le déclenchement dans le nord du
Maroc du plus grand mouvement de contestation citoyenne que le pays ait
connu depuis l’arrivée au pouvoir en 1999 du roi Mohammed VI, suite au
décès de son père Hassan II. Il dépasse en ampleur la mobilisation que
le pays avait connue en 2011 lors du « printemps arabe », car il a fait
sortir dans les rues hommes et femmes, toutes les classes d’âge, toutes
les couches de la population. En outre, il s’est installé dans la durée
et il a bénéficié dans l’ensemble du pays de multiples manifestations de
soutien en sa faveur.
Le foyer de ce mouvement, appelé Hirak par
ses initiateurs, est la région du Rif, dont le nom est entré dans
l’histoire au début du siècle dernier grâce au combat qu’une fédération
de ses tribus dirigée par Abdelkrim al-Khattabi avait mené contre
l’armée espagnole d’occupation. Cette dernière a été défaite, et la
région libérée en grande partie en 1921. Il aura fallu, quelques années
après, l’intervention de centaines de milliers de soldats français
commandés par le maréchal Pétain et prêtant main forte à l’armée
espagnole, des bombardements massifs au gaz moutarde, pour venir à bout
de cette révolte, inaugurale dans l’histoire de la lutte des peuples
contre la domination coloniale.
Plus tard, juste au lendemain de
l’indépendance, la population du Rif, désormais réputée pour son esprit
frondeur, a été victime d’une répression sanglante de la part du régime
dirigée par le général de triste mémoire, Oufkir, avec la participation
directe de celui qui n’était encore que prince héritier, le futur roi
Hassan II. Un décret royal (qui n’a d’ailleurs jamais été abrogé) avait
été alors émis considérant le Rif comme une «zone militaire».
L’autre facteur à prendre en considération lorsqu’il est question du Rif
tient à l’attachement de ses populations à leur langue et leur culture
amazighes marginalisées, voire niées pendant des décennies par le
pouvoir central et même par une bonne partie de la classe politique.
C’est ainsi qu’au cours du temps un sentiment profond d’injustice mais
aussi de réelle fierté s’est ancré dans la conscience des Rifains.
C’est ce sentiment, ajouté aux frustrations partagées avec l’ensemble
du peuple marocain, qui va éclater au grand jour suite à un événement
atroce survenu le 28 octobre 2016 à Al-Hoceima, chef lieu de la région :
la mort du marchand de poissons Mouhcine Fikri, broyé dans une benne à
ordures alors qu’il tentait de sauver sa marchandise confisquée, « jugée
impropre à la consommation », et ce en présence des agents d’autorité
qui avaient ordonné ladite confiscation. Dès la diffusion de la
nouvelle, l’indignation a été immense. Avec Al-Hoceima pour épicentre,
un mouvement de protestation d’une puissance inédite va gagner toute la
région et, au-delà, d’innombrables villes du Royaume.
Contrairement à la manœuvre savamment politique que le pouvoir avait
orchestrée suite aux grandes manifestations qui ont eu lieu en 2011 lors
du printemps arabe, en proposant au pays une nouvelle Constitution
satisfaisant sur le papier et en partie quelques-unes des revendications
du mouvement protestataire, cette fois-ci la réponse a été
exclusivement sécuritaire, et d’une violence inégalée depuis
l’instauration du nouveau règne.
Loin de briser le Hirak, la
répression n’a fait que l’amplifier et l’amener à se transformer tout en
gardant son credo pacifiste. Le mouvement spontané du départ gagnera en
organisation. C’est ainsi qu’il va créer les conditions d’une réflexion
et d’un vaste débat démocratique citoyen qui débouchera sur l’élaboration d’une charte et d’un cahier de revendications dont la
lecture révèle une grande maturité politique, une conscience aiguë des
problèmes auxquels la région est confrontée depuis des décennies. Les
propositions formulées sont porteuses d’un projet social, économique,
culturel et environnemental crédible et réalisable.
Déstabilisé
par un mouvement aux méthodes de lutte inédites, ayant perdu selon toute
évidence sa capacité de manœuvre habituelle, le pouvoir a été rattrapé
par ses vieux démons, ceux qui avaient servi à martyriser le peuple
marocain et ses forces vives sous le règne précédent. La répression qui
s’est abattue sur les protestataires du Rif, les militants des
associations des droits humains, les journalistes qui ont essayé
d’informer l’opinion sur la réalité des faits, a eu recours aux mêmes
méthodes qui avaient fait leurs preuves mutilantes dans le passé : usage
systématique de la violence contre les manifestants, arrestations
arbitraires, enlèvements, usage de la torture (avéré et confirmé dans
plusieurs cas), menaces de viol, condamnation à de lourdes peines de
prison y compris pour des mineurs, violation des droits de la défense,
emprisonnement de prévenus et de condamnés dans des établissements
pénitentiaires très éloignés de leur lieu de résidence, etc.
Signalons toutefois une touche d’innovation à l’ère du numérique :
l’orchestration, via les médias officiels et un nombre grandissant de
supports officieux, journaux traditionnels ou en ligne, d’une propagande
cherchant à minimiser et à justifier ladite répression, agitant
insidieusement les spectres de la confrontation ethnique et du
séparatisme, essayant de salir la réputation de certaines figures de
proue du mouvement ou de certains journalistes. Un an s’est écoulé
depuis le déclenchement du Hirak du Rif et la mobilisation n’a pas
baissé d’un cran. La répression non plus. Que doit-on en conclure ?
Force est de constater que le combat pour la démocratie au Maroc est
plus que jamais à l’ordre du jour. Le mouvement du Rif en est une
éclatante démonstration. Avec lui, on peut dire que ce combat a mûri, a
gagné en profondeur et en précision de tir. A l’opposé, le constat est
plus qu’amer. Les quelques avancées en matière de libertés et de droits
qui ont été arrachées de haute lutte au sortir des décennies les
plus noires dans l’histoire du Maroc indépendant sont en train d’être
remises en cause par un pouvoir qui se targue d’être exemplaire quant au
respect des droits humains.
Nous, signataires de cet appel,
estimons que le moment est venu d’une mobilisation de tous les
démocrates qui ont « le Maroc au cœur » pour dénoncer la dérive
sécuritaire des autorités marocaines et la répression qui n’a cessé de
s’abattre sur les protestataires du Rif. Pour soutenir la lutte
exemplaire du Hirak et donner le plus large écho à ses justes
revendications. Pour exiger la libération de tous les détenus de ce
mouvement citoyen qui a ouvert au peuple marocain une nouvelle voie dans
son combat pour la dignité, la justice sociale et la démocratie.
Premiers signataires : - Abdellatif Laâbi, écrivain (Maroc) - Gilles Perrault, écrivain (France) - Gilles Manceron, historien (France) - Fatiha Saidi, Sénatrice honoraire et adjointe au Maire (Belgique) - Larbi Maâninou, militant des droits de l’Homme (France) - Khadija Ryadi, prix des droits de l’Homme de l’ONU, ex-présidente de l’AMDH, coordinatrice de la CMODH - Mohamed el-Moubaraki, militant associatif (France) - Samia Ammour, féministe internationaliste (Algérie) - Mouhieddine Cherbib, militant des droits de l’Homme (France) - Hamid Majdi, militant des droits de l’Homme (Maroc) - Mohammed Belmaïzi, défenseur des droits humains (Belgique) |
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