Paris: Les mineurs marocains du square Alain-Bashung toujours livrés à eux-mêmes
PRECARITE
Mairie, associations et riverains sont
toujours aussi désemparés face à la présence de mineurs marocains isolés
dans le 18e arrondissement. Parmi eux se trouvent désormais des jeunes
filles…
- Depuis quelques semaines, les mineurs marocains isolés du square Alain-Bashung réapparaissent dans le 18e arrondissement, mais aussi dans le 10e et le 19e.
- Des mesures d'urgence ont été prises pour, notamment, mettre à l'abri les jeunes filles qui se trouvent désormais parmi eux.
- Le quartier reste tout aussi choqué que les autorités par la situation de ces gamins qui auraient quitté volontairement leur pays.
« Leur état de santé est inquiétant, leurs actes de violence
sont plus nombreux et des jeunes filles sont désormais présentes. »
Dans une lettre adressée aux habitants le 27 juillet, la mairie du 18e
arrondissement fait savoir que ceux que l’on a appelés les gamins perdus
de la Goutte d’Or, ces mineurs marocains isolés, balbutiant le
français, accros à la colle et auteurs de menus larcins, ont fait leur
réapparition square Alain-Bashung, mais aussi dans le 10e et le 19e.
Pourtant,
depuis que leur situation a été exposée au grand jour il y a quatre
mois, les mesures prises pour appréhender au mieux ce « phénomène
inédit » à Paris et d’une « gravité exceptionnelle » avaient « porté
leurs fruits », avance la mairie.
Grâce à la mobilisation des autorités compétentes (les associations Hors la Rue et
Trajectoires
entre autres, la police et la section des mineurs du parquet de Paris,
les services sociaux et sanitaires), ces gamins avaient disparu de
l’espace public. Les plus jeunes (certains avaient moins de 10 ans)
avaient pu être pris en charge dans des structures dédiées. Le sort des
plus âgés (15-17 ans tout au plus) était, lui, plus incertain.
Des départs « volontaires »
« Après consultation des autorités consulaires marocaines,
il s’avère que leur départ est volontaire », atteste-t-on en mairie.
« Ce qui veut dire que le Maroc s’en contrefiche et est bien content de
voir le problème déménager ailleurs », lit entre les lignes un riverain
qui souhaite garder l’anonymat.
« Ce ne sont pas des orphelins », assure de son côté Driss El Kherchi. Depuis quelques semaines, le président de l’Association des Travailleurs maghrébins de France (ATMF)
voit défiler dans son local qui se situe à deux pas du square le même
groupe d’une douzaine de jeunes Marocains. Pour manger un bout, se
changer, parfois dormir, mais, surtout, pour recharger leur portable et
utiliser Internet.
« Quand ils appellent leur famille, ils leur mentent en
disant que tout va bien, qu’ils ont un toit et qu’ils ne font pas de
bêtises, confie Driss El Kherchi. Ils sont originaires du nord du Maroc,
Tétouan, Tanger, Al Hoceïma, et disent qu’ils sont partis parce qu’ils
veulent avoir un travail. » Tous, également, ont transité par l’Espagne,
certains cachés dans des camions de marchandise. Leur nombre est
difficile à évaluer, concède le président d’association : « On les
entend parfois discuter avec des camarades qui sont déjà au Danemark ou
avec d’autres qui sont restés au pays et à qui ils disent de venir. »
D’aprèsl’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), contactée par Le Monde,
ils étaient une centaine il y a quelques mois à Paris. Une estimation
impossible à confirmer. Comme il est impossible d’obtenir le nombre de
plaintes déposées à leur encontre pour vols à l’arraché ou violences.
« La colle, ça les rend complètement dingues »
Dans le quartier, comme il y a quatre mois, les riverains
sont tout autant attristés qu’inquiets. De les voir dormir dans des
Autolib', de se battre entre eux, de se droguer. Depuis son appartement,
au 6e étage d’un immeuble donnant sur le square, Marc* observe des
jeunes le visage enfoui dans un sac. « La colle, ça les rend
complètement dingues. La nuit, ils crient à la mort, c’est flippant. »
Psychiatre à l’hôpital Marmottan
(Paris, 17e), Marc Valleur indique que « ceux qui se droguent par
inhalation sont à la recherche d’une ivresse rapide et de l’inconscient.
Entre les deux s’installe une phase hallucinatoire au cours de laquelle
ils peuvent devenir violents. »
Parce qu’il a déjà été agressé, Marc a demandé à sa femme de
changer d’itinéraire. Et il n’hésite plus à appeler la police pour
qu’elle vienne les déloger.
L’ombre de la prostitution
Les déloger, oui, recueillir leur identité, oui, mais pas
les interpeller s’ils n’ont pas commis d’infraction. Il y a peu, Driss
El Kherchi a été acteur et témoin d’une situation ubuesque. « On avait
réussi à convaincre neuf jeunes d’aller dans un foyer. Six ont été
refusés parce que, lorsqu’ils avaient été acceptés une première fois,
ils avaient volé d’autres résidents. Les trois autres n’ont pas voulu
rester seuls, alors ils sont tous repartis je ne sais où. » Mettre à
l’abri des jeunes au détriment d’autres bénéficiaires, un sacré défi
pour les autorités compétentes. « La situation est vraiment compliquée,
il faut nous aider », glisse en off une conseillère d’arrondissement.
Dans sa lettre aux habitants, la mairie fait savoir que les
maraudes des associations sont désormais quotidiennes, qu’un centre de
jour doit ouvrir ses portes, qu’un autre lieu pour la nuit est recherché
et qu’un dispositif d’éloignement des jeunes filles récemment repérées a
été mis en place, en lien avec le parquet. La crainte : qu’elles
tombent dans la prostitution. Comme ce serait le cas pour certains
garçons du groupe, explique Driss El Kherchi, auquel ont déjà été
rapportées des conversations sur le sujet entre des jeunes. « Quand il y
a de la drogue, le sexe n’est jamais loin m’a expliqué un policier »,
déplore Marc.
Enfin, la mairie a décidé de ne pas fermer le square. Cela
contrarie-t-il Jean-Raphaël Bourge, membre d’Action Barbès, association
tournée vers l’amélioration du cadre de vie ? « De toute façon, ce
square, plus personne ne veut y aller, et puis, le fermer ne ferait que
déplacer le problème. »
* Le prénom a été changé
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