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samedi 21 décembre 2024

Simone Bitton, celle qui suture

Nadia Meflah, Astérisque, 27/9/2024

Nadia Meflah est autrice, critique,  programmatrice et formatrice cinéma. Elle est autrice d’un documentaire sur Oum Kalthoum, « La voix du Caire » (Arte, 2017) et du livre « Chaplin et les femmes » (éd. Philippe Rey). Elle est aussi scénariste pour des cinéastes du Sud, (Maroc, Mauritanie, Burkina Faso) et engagée dans des programmes de formation cinéma en France et à l’international.

Tout cinéaste documentariste s’engage dans les troubles du réel et c’est aussi un chemin que chacun et chacune emprunte afin de raconter et de témoigner ce qui fait présence, incarnation et trace. Avec Simone Bitton, cet engagement se noue, depuis ses débuts, dans les plis politiques, et donc intimes, des territoires qui nous habitent, aussi déchirants soient-ils. Portrait de Simone Bitton, Prix Charles Brabant 2024, pour l’ensemble de son œuvre.


Être une femme juive, arabe, occidentale, mais aussi française, marocaine et israélienne, qu’est-ce que ces plis et replis ? Une trinité enlacée dans l’histoire contemporaine du colonialisme comme des guerres d’indépendance. De cette filiation quasi cristallisante, la cinéaste en fera sa matière qu’elle ne cessera de malaxer, dans un travail rigoureux de mémorialiste, où le dialogue, comme le questionnement, est au service d’un engagement inaliénable contre toute forme de domination.

Et dès lors, comment renouer ce que le temps de la guerre ne cesse de dénouer ? Ce récit est connu, il remonte même au mythe ravageur d’Abel et Caïn, ce fratricide qui, depuis plus de soixante quinze ans, hante et lacère nos consciences. Et c’est parce que la cinéaste n’a jamais cessé de raconter ces récits de corps et de territoires, tant personnels que géopolitiques, qu’il faut remonter aux origines, comme on tisserait une cartographie du cœur, pour tracer un chemin unique d’existentialisme en cinéma.

Naître et vivre dans les guerres

1955 est une année cruciale pour le Maroc, c’est aussi la naissance à Rabat de la jeune Simone Bitton, fille d’un bijoutier juif marocain. L’expérience coloniale est inscrite dans l’apprentissage dès langues, car si l’arabe est sa langue maternelle, le français est celle du savoir et du pouvoir. C’est ce « butin de guerre » que tout colonisé connaît, la maîtrise de la langue de l’occupant.

Le 2 octobre 1955 marque les débuts de la guerre contre la colonisation française, jusqu’à la proclamation de l’indépendance du pays en mars 1956, mettant fin à quarante quatre ans de protectorat français. Une autre guerre se jouait déjà, celle qui débuta après la création d’Israël en mai 1948. D’une présence multimillénaire au Maroc, la communauté juive, doublement marquée par ces deux ruptures historiques, va quasiment disparaître en quelques années. En 1948, les Juifs marocains représentaient la plus grande communauté juive du monde arabe et musulman avec près de 265 000 personnes. En 2024, ils sont moins de 800.

C’est ainsi que la jeune Simone, à peine âgée de onze ans, devra quitter son pays natal pour Israël. Nous sommes en 1966, quelques mois avant la Guerre des Six jours. Comment imaginer cette adolescence pour une jeune fille qui doit apprendre une nouvelle langue dans un nouveau pays, où le sionisme, comme les réalités du colonialisme, représente sa vie quotidienne ?

Il y a une ironie de l’histoire dans ce dédoublement de la guerre coloniale qu’aura vécu, à son corps défendant, la jeune fille. Toute assignation identitaire relève du monstrueux et c’est hélas dans l’expérience indicible de la guerre que Simone Bitton la vivra. Comme toute citoyenne israélienne, la guerre est un vécu du présent, une obligation morale quasi phénoménologique. En 1973, à dix huit ans, elle se retrouve dans l’armée lors de la guerre du Kippour – nommée aussi Guerre du Ramadan. Elle vit de trop près la mort de ses camarades, non loin du canal de Suez. Traumatisée, elle sera démobilisée. Ce sera sa première guerre israélo-arabe. Un tournant décisif et radical s’opère en elle. Elle quitte Israël pour vivre bohème en Europe, avant de venir s’installer en France, à Paris.

Le cinéma, terre d’accueil

Elle a vingt ans. La capitale française n’a jamais cessé de recueillir les exilés qui y trouvent une terre d’accueil, dans cette ville du cinéma par excellence. Dans la carte du monde, le cinéma est un pays en soi, un espace qui, à cette époque post révolutionnaire, créait des nouvelles formes de langages, comme autant d’espaces de recherche. En France, des collectifs de cinéastes se créent, tels Dziga Vertov (Jean Luc Godard et Jean Pierre Gorin, 1971), Le Grain de Sable (Jean-Michel Carré, Serge Poljinsky, Yann Le Masson, 1974) ou encore Slon, Iskra et le Groupe Medvedkine, avec entre autres Juliet Berto, Bruno Muel, René Vautier, Mohamed Zinet, Inger Servolin et Chris Marker. Entre l’université de Vincennes et les salles de cinéma parisiennes, son apprentissage la plonge au cœur des récits du monde entier, notamment d’Afrique, d’Amérique latine et du monde arabe. Nourrie par cette effervescence culturelle et politique, elle a aussi été directement touchée par une autre révolution en marche, celle des femmes à la caméra, que ce soit Marguerite Duras, Nelly Kaplan, et surtout Chantal Akerman. Dans un entretien paru dans la revue 24 Images (novembre 2004), elle témoigne de l’importance fondatrice de la cinéaste :

Les premiers films d’Akerman ont réellement changé ma vie, je lui serai toujours reconnaissante d’exister, d’avoir eu le courage un peu insensé, peut-être inconscient, de dire : voici ce qu’une femme peut faire. Et une femme, vous savez, pour exister doit être meilleure que les hommes, sinon c’est perdu d’avance. Elle était meilleure que les hommes. Surtout au cadre. Elle a révolutionné le cadre et le temps. Aujourd’hui encore, je ne peux pas faire un plan-séquence sans penser à elle !

Elle poursuit sa formation en intégrant l’Institut des Hautes Études Cinématographiques (IDHEC ex FEMIS). Alors que le cinéma documentaire propose un contre modèle face au cinéma de divertissement dominant, le monde occidental, impérial et impérieux dans le commerce des images, reste mutique face à ses responsabilités, notamment ses histoires coloniales. Les blancs de l’histoire persistent, entre amnésie, déni et manipulation. Parce qu’elle porte en elle une trinité déchirante, elle deviendra la première cinéaste à raconter l’histoire de la Palestine. Avant elle, aucune archive palestinienne n’avait été montrée aux citoyens français. De fait, toute histoire tue deviendra sa matière à filmer, pour documenter le réel oblitéré par les récits dominants, qu’ils soient du pouvoir français, marocain ou israélien. Lorsqu’elle réalise ses premiers films, le cinéma documentaire est quasiment absent des salles de cinéma. Hormis quelques festivals, les documentaires ont pour seule visibilité la télévision publique.

Au nom du service public

Au début des années 80, avant la privatisation accélérée des médias par des industriels milliardaires, elle s’engage totalement au service de la télévision publique, avec l’Institut National Audiovisuel. Dans la continuité d’autres cinéastes tels que Sarah Maldoror, Robert Kramer, qui partagent avec elle l’expérience de l’exil comme du combat pour la dignité humaine, elle ne cessera d’arpenter les mémoires vivantes qui traversent la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Elle réalisera pas moins d’une douzaine de films documentaires : des portraits (Nissim et Chérie, La vie devant elles, Nos mères de Méditerranée, Citizen Bishara) une biographie politique (Ben Barka, l’équation marocaine) l’enquête (L’attentat, Rachel) des chroniques courtes sur la vie quotidienne à Ramallah (Ramallah daily) des dialogues filmés (Elias Sanbar et Serge Daney, Mahmoud Darwish) des portraits d’artistes du monde arabe (Les grandes voix de la chanson arabe).

Ces portraits intimistes de femmes, de couples, d’écrivains et d’hommes politiques s’inscrivent dans les mémoires des immigrations et d’exils, mais aussi dans le combat anticolonial. Son travail est exemplaire, où l’exigence dans la recherche historique va de pair avec le souci, chevillé au corps, de nouer un dialogue entre celles et ceux qu’elle filme et elle-même. Et surtout avec la communauté humaine à qui le film, toujours, est adressé, ce tiers inclus dès le processus de création.

Dialoguer en cinéma

Ce tiers, c’est aussi elle, dans les interstices du film, une citoyenneté inquiète et vigilante qui veut saisir ce réel assourdissant. Chacun de ses films est cette expérience de l’altérité en question et en souffrance, la sienne bien sûr, mais surtout de tout le monde. Elle crée ce cadre où se dépose des traces de vie en suspens, des vies borderline, lorsque ce ne sont pas tout simplement des disparus… Chacun est accueilli dans son cinéma, elle archive ce qui se dépose, silences comme larmes, poèmes comme colères, et peut-être aussi, parfois elle console. Elle est cette éclaireuse du langage pluriel, pour qui la parole a une fonction quasi thérapeutique, cette suture des mots qui manifeste une présence, un corps, même dans ses brisures et murmures, afin de raccorder ce que le social détruit. Que ce soit avec le poète exilé Mahmoud Darwish (Mahmoud Darwich : et la terre comme langue, 1997) avec l’essayiste Elias Senbar qui dialogue en fraternité territoriale avec le critique de cinéma Serge Daney (Conversation Nord-Sud, Daney/Sanbar, 1993) ou avec le philosophe palestinien et député au parlement israélien, Azmi Bishara, (Citizen Bishara, 2001). Le dialogue suppose une écoute, comme un désir partagé de créer un tiers lieu dans lequel chacun peut déployer les possibilités de penser/panser le monde.

Prendre à bras le corps ses filiations

Juive arabe européenne, marocaine, israélienne, française. Une réalité existentielle qui façonne son destin de cinéaste. Et, dans une évidence quasi originelle, elle devient la première réalisatrice française à prendre à bras le corps l’histoire de la colonisation palestinienne. Trois années de recherche et de travail sur les archives pour la réalisation d’une série de deux films, Palestine, Une histoire de terre, avec comme directeur de collection Jean Michel Meurice (1993). Nul ne peut échapper à la terre surtout celle qui se vit dans la guerre, et comme Rithy Panh mémorialiste du génocide cambodgien, Simone Bitton ne cessera de revenir en Israël comme en Palestine pour filmer ce qui ne fera qu’empirer. Dès 1983, soit dix ans après sa fuite de la guerre du Kippour, elle retourne en Israël pour filmer ce voyage si particulier, ce sera La réunion d’entre deux guerres.

Après son grand film documentaire d’archives sur l’histoire de Palestine, ce sera la guerre qui sans cesse la fera revenir. Le 4 septembre 1997, trois jeunes Palestiniens se sont fait sauter dans une rue piétonne de Jérusalem, causant la mort de cinq civils israéliens dont trois adolescentes. L’une d’elles était la petite-fille d’un célèbre pacifiste israélien, Mati Peled. Elle se souvient :

Je n’étais pas en Israël à ce moment-là, j’étais à Paris. Mais je suis arrivée très vite, et je me suis rendue à l’enterrement de Smadar, la petite-fille de Mati Peled, avec des amis palestiniens de Ramallah qui ont bravé le bouclage des territoires pour déposer une fleur sur sa tombe. J’ai connu Mati Peled, en son temps j’avaissoutenu la liste progressiste pour la paix, le parti politique israélo- palestinien dont il avait été député. J’étais particulièrement bouleversée par la tragédie qui s’abattait sur cette famille. Je n’avais pas de caméra ce jour-là et je ne pensais absolument pas faire un film, mais il est certain que la motivation profonde est venue de l’émotion très forte que j’ai ressentie à cet enterrement. Le film s’est fait entièrement avec les familles des victimes israéliennes et les familles des kamikazes. Mon idée était que ces gens qui avaient perdu un enfant – peut-être pas le lendemain mais quelques mois après – sauraient peut-être mieux exprimer la guerre et la paix que d’autres.

Ce sera L’Attentat (1998) qui sera primé dans de nombreux festivals.

Face au réel, seul le cinéma

Une rencontre fut décisive dans sa vie pour son passage au cinéma, ce fut avec le producteur Thierry Le Nouvel. Mais le basculement fut encore une fois une catastrophe politique. Il s’agit de la construction d’un mur, ordonnée par le gouvernement d’Ariel Sharon, entre Israël et la Cisjordanie. En 2002, Simone Bitton écoute aux informations le ministre de la défense israélien Binyamin Ben-Eliezer évoquer la possibilité de construire un mur de séparation. De ce réel quasi inimaginable, elle en fera une œuvre magistrale Le Mur, son premier film de cinéma sélectionné à Cannes en 2004 et primé dans de très nombreux festivals internationaux. Organique et abstrait, le film déroule une réalité implacable, la construction du mur, à chaque étape, qui enferme, emprisonne, sépare, éventre, érige, obstrue. Elle a choisi de filmer la matérialité même de ce mur qui s’érige comme une nouvelle espèce, totem politique délirant en béton de huit mètres de haut et de tronçons de barbelé et pourtant concret, bien là. Un sur-visible qui va jusqu’à engloutir l’écran.

Si les pouvoirs politiques ne cessent de trahir les peuples, le cinéma demeure le seul espace temps qui recueille l’indicible comme l’inaudible. La banalité du mal n’est pas tant celle du régime des images qui voit ses possibilités de langage se rétrécir, au détriment de l’imposition d’un récit unilatéral qui ne cesse de falsifier le réel, et ce par les plus hautes instances. Que peut le cinéma face à cette guerre de destruction en cours depuis plus de onze mois ? Tout, et il est évident que le cinéma documentaire relève d’une éthique du réel, et non de la manipulation telle qu’elle se déploie avec une rare férocité depuis la fascisation des sociétés occidentales. Le temps du cinéma relève du temps humain, plus encore avec Simone Bitton qui vient avec sa caméra ausculter et enregistrer ce que le discours officiel efface.

Voix matricielles

Toute langue est la matrice d’une perte, et l’hybridation linguistique dans laquelle est plongée la cinéaste crée aussi une triple absence. Serait-ce cette mère allée ? L’éternité, ultime rêve du cinéma ? Sa quatrième langue est le montage, mon beau souci, selon l’adage godardien ( Les Cahiers du cinéma, 1965). Simone Bitton est aussi et surtout monteuse, naviguant entre ses langues et la multiplicité des outils de langage que le cinéma offre. Nul sacré dans son art si ce n’est celle de la présence humaine, aussi fragile soit-elle. Il n’est pas anodin de noter que sa première réalisation, un court métrage documentaire nominé aux Césars en 1983, Solange Giraud née Taché, revient sur le suicide d’une jeune coiffeuse de province. Le suicide, ce tabou qui hante la société moderne… Une anonyme que la jeune cinéaste qu’elle est permet d’exister. La tragédie intime féminine, c’est aussi retracer les chemins de l’exil au cœur de la méditerranée, cette matrice des mondes occidentaux et orientaux. Rendre visible et audible ce que le temps politique avale. Raconter autrui pour mieux se rapprocher de soi ? Dans ce geste rimbaldien, la cinéaste est allée à la rencontre de Christiane l’Italienne, Norma la Palestinienne, Jacqueline la Juive algérienne et Nadira la Kabyle (Nos mères de Méditerranée, 1982). Lorsqu’en 1986 elle réalise La vie devant elles, documentaire sur la jeunesse, elle remonte le fil des filiations et des mémoires des immigrations françaises, invisibilisées dans le roman national. Trois ans après la Marche pour l’Égalité et contre le Racisme, le cinéma français est encore frileux à raconter son histoire des immigrations, constitutive de son roman national. Le thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef (1985) fera hélas exception durant de trop nombreuses années. C’est dire combien la cinéaste documentariste était d’une vigilance aiguisée sur tout ce qui relevait des tremblements, mémoires et blessures identitaires. Ce titre volontairement optimiste, clin d’œil à Romain Gary, restera peut-être son unique titre le plus ouvert aux espérances.

En effet, plus de vingt ans plus tard, en 2008, ce sera Rachel, son deuxième long métrage de cinéma, qui revient sur la mort d’une jeune américaine, Rachel Corrie. Âgée de vingt trois ans, cette militante pour la paix a été écrasée le 16 juin 2003 par un bulldozer de l’armée israélienne, à Rafah dans la bande de Gaza, alors qu’elle tentait de s’opposer à la destruction de maisons palestiniennes. A cette mort atroce, autant niée par l’armée israélienne que la justice du pays, la cinéaste oppose toute la rigueur d’une enquête cinématographique.

Au cinéma, le résultat de l’enquête compte moins que le fait même d’enquêter. Il s’agit de filmer et d’observer des lieux, des gens, des objets ; de recueillir des paroles, des gestes et des silences. De faire jaillir l’émotion des matières les plus froides et les plus dures, comme les images d’une caméra de surveillance ou le métal lisse d’une table d’autopsie.

Cette exigence l’amène à montrer dès le générique les images du corps démembré de la jeune Rachel, alors que le film se révèle au fil du récit une ode à la jeunesse, où la poétique affleure par la voix off de Rachel et une écriture cinématographique mixte.

El Hob, le chant de l’amour

Qu’est-ce qui relie Oum Kalthoum, Mahmoud Darwish, Farid Al Atrache et Mohamed Abdelwahab. Simone Bitton certes, mais surtout le tarab, cette émotion artistique d’intensité maximale. Cet amour qui devient extase et communion des sens entre le spectateur et le créateur, où l’âme s’élève au firmament d’une ivresse esthétique, spirituelle. Cette langue arabe qui porte en elle la puissance de la mélancolie, entre incantation à l’absolue et puissance de la perte.

En 1990, elle réalise trois portraits des stars mythiques de la chanson arabe : Oum Kalsoum, Mohamed Abdelwahab et Farid Al Atrache, suivi six ans plus tard de Mahmoud Darwich : et la terre comme langue, 1997). Leurs mots chantés, scandés, c’est l’amour, el Hob, non romantique ni même romanesque. Il n’est que perte, arrachement, quête et déracinement ; mélancolie de l’ivresse déjà évanouie, extase en suspension, toujours inaccomplie, à jamais recherchée.

Cet amour morcelé, elle le retrouvera, presque intimement, lorsqu’elle s’autorise enfin à faire son propre pèlerinage cinématographique avec Ziyara son dernier film sorti en 2002. Si la mort a dès son premier court métrage marqué de son sceau tout son cinéma, avec ce vrai faux retour au pays natal, le Maroc, elle trace un chemin d’amour par la présence ténue des morts.

Tel un spectre, elle se filme, déambulant dans les cimetières, à la recherche de quelque chose qui n’existe presque plus. Des tombes juives entretenues manuellement et quotidiennement par des femmes et des hommes arabes, musulmans. Film le plus énigmatique de sa carrière, il n’en est pas moins le plus arrimé à la politique du corps, celui de la résistance à tout, au nom de l’amour. C’est entre les tombes, dans son errance intérieure, que la cinéaste nous offre son portrait le plus lucide et aussi le plus émouvant. Aucun pays ne nous appartient, la terre nous est légère, et nous n’avons perdu ce qui jamais de fait nous avait appartenu. C’est aussi une des énigmes que le film revisite, ce qu’opère en chacun de nous un retour à quelque chose qui n’existe plus et qui fait pourtant advenir quelque chose que l’on pensait oublié. Ne serait-ce pas là tout ce que le cinéma, dès ses origines, permet et offre à l’humanité, un espace-temps ?


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