jeudi 9 novembre 2017

Mineurs en prison dans le Rif. Jusqu’où ira le Maroc dans sa dérive sécuritaire ?

Par M-J Fressard, Solidarité Maroc 9/11/2017

 


  De quoi sont donc coupables les enfants à l’égard de l’État marocain et de son régime, pour qu'ils les craignent à ce point et ordonnent leur arrestation et leur procès ?




Même si nos médias font tout pour cacher la réalité marocaine, les Français commencent à se rendre compte que ce régime, qui continue  à s’autoproclamer exemplaire en matière de droits humains est, selon l’écrivain Abdellatif Laâbi, « rattrapé par ses vieux démons », à savoir ceux des années de plomb.

Le 28 octobre 2016, le drame affreux du poissonnier Mouhcine Fikri, broyé dans une benne à ordures, a déclenché une révolte qui couvait depuis des décennies dans le Rif, grande région rebelle au nord du Maroc, honnie et marginalisée par la monarchie. Les manifestations ont démarré dès le lendemain. Un mouvement qui va gagner progressivement tout le pays. Malgré les centaines d’arrestations, les peines de prison de plusieurs décennies, et la torture quasi habituelle, les Rifains ont maintenu une mobilisation intelligente, pacifique, exemplaire, qui n’a pas baissé d’un cran depuis plus d’une année. Les slogans répètent ce que les Rifains ont toujours demandé : des emplois, une université, des écoles et des hôpitaux bien équipés et la libération de tous les prisonniers. La justice , toute la justice, rien  de bien subversif.

La réponse du pouvoir est comme d’habitude la répression. Une répression d’une violence jamais atteinte sous Mohammed VI, face à une population unie dans sa lutte pacifique. Le Makhzen* arrête sans distinctions adultes, mineurs, même jeunes enfants, des enfants qui même très jeunes se sentent aussi concernés, comme dans toutes les régions en conflits.


Sayf Eddine, l’enfant de 6 ans, qui a été convoqué par la police suite à son apparition dans des vidéos invitant la population rifaine à sortir pour manifester, a été interrogé par la police pendant 4 heures.
« Lors de leur convocation, le père et son fils ont fait l’objet de fortes pressions pour révéler les personnes qui ont été derrière l’enregistrement des vidéos publiée sur les réseaux sociaux » nous apprend Alyoum24 qui rajoute que « les enquêteurs les ont menacés de prison s’ils ne collaboraient pas pour les identifier ».
L’enfant a nié catégoriquement d’être manipulé et que ses interventions émanent de son plein gré, affirme la même source qui précise que l’enfant avait l’habitude d’exprimer sa colère quant à la politique sécuritaire menée contre le Hirak.
Analphabète, le père, qui s’est confié au support médiatique arabophone, a été sommé de signer un procès verbal dont il ignorait le contenu. C’est après la signature qu’on lui a appris qu’il s’agissait d’une plainte contre ceux qui ont diffusé les vidéos, affirme-t-il. (source : Rifonline)
Sayf Eddine a pu retourner chez lui avec son père.

Le jeune Abderrahman El Azri, 14 ans, n’a pas eu la même chance.
Avec ses amis il a suivi les funérailles du jeune Imad Laâtabi, un jeune voisin tué par l’explosion d’une grenade lacrymogène reçue en pleine tête. Les deux familles habitent le quartier populaire de Bni Boujibar à Al Hoceima. Le chagrin des petits amis d’Imad était émouvant.  « Ils pleuraient ce jour-là de voir autant d’injustice s’en prendre à leur région, au point de tuer impunément ce grand frère qui défendait leurs droits légitimes à l’instruction, aux soins  médicaux, à l’emploi, à la bonne gouvernance, au désenclavement et à tout le reste … » écrit le journaliste Salah Elayoubi. Après l’enterrement du défunt, le collégien a participé à la manifestation d’hommage au cours de laquelle il y a eu des affrontements entre policiers et manifestants. Le soir même, Abderrahman est arrêté près de chez lui par des policiers en civil.

 Il est accusé de placement des barricades et d’autres objets sur la voie publique, et de dégradation volontaire de biens publics. Le rassemblement n’était pas autorisé. Le garçon est aussi accusé d’avoir caillassé les forces de l’ordre. Son père réfute toutes ces accusations, en dehors de la participation à la sépulture.
 Selon l’avocat Elbouchattaoui, la police avance qu’elle détient une photo du petit, avec une pierre à la main, le jour de la manifestation. Et c’est sur la base de cette photo que le juge d’instruction aurait refusé la liberté provisoire demandée par l’avocat pour lui permettre de passer la fête de l’Aïd avec sa famille.
“Je l’ai vu moi-même en train de pleurer au cimetière”, assure Me.Elbouchattaoui, poursuivant que le jeune garçon s’était laissé emporter par ses émotions en participant à la marche. “S’il avait une pierre dans la main, c’est parce qu’il est victime de la détérioration de la situation à Al Hoceima”, argue l’avocat, qui propose une solution alternative à son emprisonnement: “le remettre à ses parents et leur imposer des mesures comme interdire à l’enfant de sortir le soir”. Il insiste : “un enfant ne peut être coupable de ses actes, il faut le remettre à ses parents comme l’indique la loi”. (source : La Dépêche, Ma)
Abderrahman, le plus jeune prisonnier du Hirak,  se trouve aujourd’hui au Centre de protection des mineurs à Nador** à 120 km d’Al Hoceima où habite sa famille. Après trois mois d’incarcération, le jeune collégien a été présenté devant le tribunal de première instance de Nador. Le juge s’est contenté de vérifier la présence des membres de sa famille et de poser des questions sur les conditions de son incarcération avant de décider de reporter son procès au 21 novembre (source Alyaoum24)
D’après le code pénal marocain, Abderrahman, en tant que mineur qui a entre 12 et 18 ans, est considéré comme “partiellement responsable” et peut faire l’objet d’une condamnation pénale, selon l’appréciation par le juge de l’acte commis… qui n’a pas l’air particulièrement arrangeant !

Zohra al-Koubia : fondatrice du Forum des femmes du Rif, crie son indignation face à cette insupportable réalité des jeunes enfants en prison au Maroc : « Hier Abderrahman Al-Azri,  le plus jeune d’entre eux, a comparu devant le tribunal. Un enfant de 14 ans. Il a été arrêté début août et incarcéré au centre de détention pour mineurs à Nador. Un enfant qu’on a soustrait aux bancs de son école pour le trainer dans les cours des tribunaux et des prisons. 

Qu'attendez-vous donc de cet enfant, de ses frères et ses camarades ? qu’il bénisse votre régime plus tard ? qu’il oublie les douleurs de sa séparation d’avec sa mère, de ses frères et ses amis ? qu’il enterre le souvenir des nuits passées au centre de détention à Nador ? qu’il détourne son regard des chaussures de vos bourreaux, pendant qu’ils l’arrêtent, le provoquent et le surveillent ? »
Le journaliste Ali Lmrabet ajoute son coup de gueule : « Au Maroc de Mohamed Six, honteuse dictature prédatrice des pauvres deniers de son peuple, soutenue par le "bon" monde occidental au nom de vils intérêts vénaux, on juge plusieurs générations de Rifains, l'enfant Abderrahman El-azri et le vieillard Ahmed El Khattabi. »

Les adolescents ont été arrêtés en très grand nombre. 31 mineurs et plus 500 manifestants et activistes rifains croupissent dans les geôles du régime marocain, soumis aux mauvais traitements, voire à la torture. Selon Amnesty International, au moins 66 personnes arrêtées en marge des manifestations massives qui secouent la région du Rif, ont signalé avoir subi des actes de torture et des mauvais traitements en détention. Rouées de coups, étouffées, dévêtues, menacées de viol et insultées par la police pour les contraindre à passer aux aveux.

 

Kamal, 17 ans est le fils du prisonnier Mohamed Jelloul,  activiste du Hirak en longue grève de la faim en prison d'Oukacha, à Casablanca. Kamal a été arrêté le 13 août, lors de la grande manifestation d’Imzouren.

  Le jeune Abdelhafid Habib, malade, diabétique de naissance, a été arrêté avec d’autres mineurs lors de la marche de 20 août 2017 à AL Hoceima. Abdelhafid a été condamné à 2 ans et 6 mois de prison ferme pour avoir déclaré à la chaine Aljazeera international « ils nous répriment, ils tirent sur nous avec du gaz lacrymogène, nous n’avons aucun droit dans ce Maroc, nous ne cherchons pas la confrontation, nous sommes pacifistes, nous revendiquons des droits, ils ne veulent rien nous donner, c’est tout ce que j’ai à dire. »
Autre conséquence de ce conflit hors du commun : la fuite des jeunes. Selon la radio espagnole Cadena Ser, au cours des dernières semaines, la majorité des migrants traversant illégalement la Méditerranée étaient des «mineurs originaires du nord du Maroc». Une information confirmée par «Caminando Fronteras», une ONG qui vient en aide aux migrants dans la région.
Voilà donc ce que cherchent le roi et son Makhzen pour se débarrasser de la  jeunesse de ce peuple rebelle : la prison ou la fuite ?
*****
En guise de conclusion

Lettre d’un père à son fils de 14 ans, emprisonné

 Mon fils Abdel Rahman…

Je ne pouvais pas dormir avant de t'écrire…

J'ai beaucoup pensé à ton regard encore plein de l'innocence de l'enfance. Je suis allé sur les photos des enfants que j'ai prises sur l'écran du  téléphone pendant les funérailles du martyre Imad et je les ai tous trouvés dans la maturité précoce et dans leurs yeux j'ai vu un bon niveau d'intelligence.

Il paraît que tu as été arrêté ce jour-là pour avoir pleuré, ou pour avoir partagé ? Ils t'ont enlevé,  Abdul Rahman, comme ils enlèvent des enfants de ton âge en Israël...Je n'y avais pas cru jusqu'à ce que j'aie vu ta photo et quand j'ai appris qu'un juge a refusé de te libérer de la prison. Tu sais qui est en prison, fiston ? Il y a des jeunes délinquants.

 Est-ce que pleurer un martyre est devenu un délit ? Est-ce que la participation à l'enterrement est devenue une aberration ? Cher Fils, mon fils Abdul Rahman, sais-tu qui devrait entrer en prison ces jours-ci ? Je pense que tu as compris ma question...

 Juste  je suis triste que tu ne sois pas demain avec ta petite famille qui te manque pour participer à la fête si symbolique de l'Aïd.

Je suis triste que les gouvernants en soient arrivés à jouer avec le destin et les sentiments de générations d'enfants et de jeunes d’une région tout entière. Ils ne connaissent pas bien les leçons de l'histoire. Ils n’ont qu’à lire les mots dans vos yeux pour comprendre que les temps ont changé. Ton arrestation, ce n'est qu'une autre preuve de la défaite d'un État et d'un système sécuritaire qui intimide les pauvres du pays...

Au revoir, fiston.

Djamel L‘zry, le père du détenu rural, L'ENFANT MINEUR ABDERRAHMANE L‘ZRY

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Notes
*Le Makhzen est une survivance d’un vieux système féodal, sorte d’effrayante pieuvre dont le roi est la tête, une pieuvre qui contrôle l’organisation sociale, politique, religieuse, militaire et sécuritaire du royaume, qui épie, torture et emprisonne comme bon lui semble.

** Les Centres de sauvegarde de l’Enfance, ou Centres de Protection pour Mineurs, gérés par le ministère de la jeunesse et des sports, sont en réalité des prisons pour mineurs difficiles, abandonnés, donc malheureux.
 C’est un progrès par rapport à l’époque pas si lointaine où les enfants étaient en cellules avec des délinquants adultes. Cependant d’après l’EPU 2017 (Examen Périodique Universel) même si les lois nationales en matière de justice des mineurs sont en conformité (sur le papier) avec les dispositions de la CDE grâce aux différentes réformes législatives, on peut relever dans ce document que des séjours dans ces centres n’ont rien d’éducatif pour ces enfants. Les nombreux dysfonctionnements sont dus en particulier aux manques de moyens.
Autour de 5000 enfants par an, dont 1200 filles, vivent dans ces centres. Ils sont souvent témoins ou victimes d’agression sexuelle ou de maltraitance physique. La justice pour enfants au Maroc demeure répressive.
Le temps de détention de ces enfants peut être long même pour des petits délits du fait d’absence de mesures alternatives.  La situation actuelle de ces centres est reconnue par les intervenants comme milieu criminogène.
Le code pénal marocain définit un cadre juridique spécifique aux mineurs délinquants, les fait bénéficier d'une justice spéciale, différente de celle applicable aux délinquants majeurs, si au jour de la commission de l'infraction, il n'a pas encore atteint l'âge de la majorité pénale fixée à 18 ans révolus.

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