samedi 11 novembre 2017

Ce Maroc que l’on refuse de voir



Les bonnes nouvelles viennent de l’espace. Le Maroc désormais puissance satellitaire peut accrocher une nouvelle étoile à son Soft Power, c’est à dire : cette capacité, par l’investissement ostentatoire, par la communication grandiloquente et l’expansion continentale, à se faire plus beau, plus grand, plus conquérant qu’on ne l’est vraiment. Le Maroc surclasse l’Algérie, le « Doing Business » le dit, nous le répétons, la presse et les officiels, s’en gargarisent.

  Nous sommes le pays des affaires et de la vitesse. Oubliez le déraillement des rames en phase de test, le TGV fera de nous une nation qui compte. Nous avons donc vocation à parler au monde avec notre technologie importée, nos investissements en Afrique et les satisfecit ravis du consensus de Washington. 
 Les FMI, BAD et BM ont trouvé leur enfant chéri, le terrain d’une expérimentation purement néolibérale, libre-échangiste, mâtinée d’un brin de dirigisme et ouverte aux quatre vents de la mondialisation. Le Soft Power, en d’autres termes, l’exception marocaine, se muscle, parade, plastronne. Avec son bras droit, le capital immatériel, il fait du Maroc un sémaphore à la pointe de l’Afrique, irradiant ses lumières sur le continent d’abord puis le monde ensuite.
S’il n’est pas totalement construit sur de l’enfumage, le « Soft Power » relève d’une pensée magique, d’une méthode Coué.  Il est un clip de RedOne où l’on photoshoppe la réalité, où les immeubles sont d’un blanc éclatant, les plages d’une eau cristalline, les gratte-ciels d’une hauteur tutoyant les nuages ; il est un monde dans lequel même le rappeur French Montana a une voix de soprano. Le Soft Power, c’est une prestidigitation qui consiste à se créer le Maroc que l’on veut, que l’on fantasme. Un tour de passe-passe éliminant toute flétrissure pouvant corrompre la beauté du chef-d’œuvre. Son objectif : plaire aux grandes capitales. Si Paris, Washington et Madrid sont ravies, le reste n’est que mauvaise littérature.
Sauf qu’en réalité, le « Soft Power » produit l’image d’un sans-faute sur un champ de ruines. Ruine des âmes et de l’humain, délaissement des jeunes et impréparation face à l’avenir. Et, tandis que l’occident s’ébaudit du « Soft Power » made in Morocco, la « hard weakness », elle, se propage : le monde rural et ses 4 millions de pauvres s’enfoncent dans un oubli coupable ; les jeunes des milieux populaires, la poche vide et l’estomac hurlant, érigent le sabre et la Nike air en maîtres et le maître d’école en souffre-douleur (45% des moins de 25 ans sont sans activité aucune) ; les classes moyennes prises en sandwich entre un secteur privé gourmand et une rue infestée de brigands, rasent les murs, se font petites et soupirent à l'évocation du « Soft Power ». Confrontées à la cruauté d'un quotidien ingrat, elles mesurent le décalage entre la pensée magique et la réalité. Ce Maroc que l’on refuse de voir, elles le subissent à chaque sonnerie de réveil.

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