La ville, qui fait partie du Sahara occidental mais est militairement occupée par la dictature marocaine, aspire à devenir une destination touristique pour les Européens malgré la répression contre les citoyens sahraouis.
José Carmona, Público , 24/1/2025
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane, Tlaxcala
Un avion Ryanair rempli de touristes atterrit sur une minuscule péninsule à quelques kilomètres du continent africain. L’avion doit faire un virage à 180 degrés pour se mettre dans l’axe de l’aéroport, construit au milieu de la ville. C’est là que descendent les étudiants en vacances et une poignée de couples qui avouent qu’ils ignoraient l’existence de l’endroit il y a quinze jours. Mais à 16 euros le vol, la précarité de la jeunesse transforme l’ignorance en opportunité.
Cette
péninsule s’appelle aujourd’hui Dakhla, mais elle a été baptisée Villa Cisneros
pendant les décennies de la colonisation espagnole. C’est un lieu de
villégiature, de poulpes, de fruits de mer et de surf ; c’est aussi un lieu de répression
des Sahraouis et de disparition d’activistes. Sa position géographique ne
permet qu’une seule sortie du territoire et elle est contrôlée par l’armée
marocaine, qui occupe le Sahara
occidental et surveille tous les mouvements dans la ville.
Pendant des années, Dakhla a été un lieu paradisiaque pour les touristes français, et le Maroc veut répéter la formule avec l’Espagne. La dictature veut utiliser le territoire occupé pour construire une station balnéaire comme Benidorm, avec une touche d’exotisme à la jordanienne. Les brochures des hôtels proposent des spectacles dans les dunes du désert, du surf dans les vagues produites par les marées dans la baie, des promenades à dos de dromadaire, et les réceptionnistes négocient des réductions pour les touristes. Les coups de la police, les enlèvements, la surveillance, les disparitions d’activistes et la ségrégation de la population sahraouie sont passés sous silence.
Les Sahraouis disparus
Mais c’est
dans les profondeurs de Dakhla qu’apparaissent les témoignages les plus fous :
« Mon frère a disparu depuis deux ans, il doit être mort », raconte à Público
un jeune Sahraoui devant une mosquée construite par Franco pour soulager la
foi des musulmans qui étaient espagnols jusqu’à ce que le gouvernement de
Madrid se désengage du territoire.
Une fois dans
une maison, le jeune homme sort le drapeau de la République arabe sahraouie
démocratique (RASD) comme quelqu’un qui montre une bombe à deux doigts d’exploser.
Brandir un drapeau sahraoui est interdit par le Maroc et constitue le plus
grand geste de rébellion contre l’oppression. Le triangle rouge et le drapeau
tricolore noir, blanc et vert sont accrochés dans le secret des maisons. Les
graffitis sur les murs des villes sont passibles de prison,
officiellement, et de coups, officieusement.
Au Maroc,
comme dans l’Argentine de Videla ou le Chili de Pinochet, on ne tue pas, on
disparaît. « La dictature l’a accusé d’avoir participé à un cambriolage dans la
résidence du roi Mohammed VI parce qu’elle avait trouvé sur lui un
billet de banque marqué, une absurdité. Ici, on ne vous arrête jamais parce que
vous êtes un militant sahraoui, on cherche une autre excuse », résume-t-il dans
l’un des témoignages obtenus par Público lors de son voyage dans le
territoire occupé. Son père était chauffeur routier, avait la nationalité
espagnole et voyageait librement en Europe, mais au cours de ces 50 années, il
a perdu ses droits.
Image de la péninsule de Dakhla vue de Google Maps
Sergio García
Torres, membre du CEAS, est arrivé dans la ville par le premier vol entre
Madrid et Dakhla pour une
expédition qui s’est terminée par son expulsion avec Público: « Le
régime marocain a l’intention de transformer le territoire occupé en un
apartheid touristique. Cette situation, que nous avons observée de nos propres
yeux, viole non seulement les droits humains du peuple sahraoui, mais aussi les
décisions des Nations unies », déclare-t-il.
L’ONU a
statué que l’exploitation économique d’un territoire en attente de
décolonisation doit impliquer la participation de la population autochtone et
de son représentant légitime, qui dans ce cas est le Front POLISARIO.
Mais le Maroc a ses propres projets. Il construit des ports sur la côte de
Dakhla pour accueillir les bateaux de pêche qui exploitent des eaux qui ne leur
appartiennent pas.
Image de la côte de Dakhla (Sahara occidental). En projet, la construction de futurs hôtels de luxe pour les touristes européens. Photo Público
Les projets du Maroc
Toute la
ville est un projet d’avenir. Les chauffeurs de taxi évitent les cônes et les
ronds-points en construction car, disent-ils, la route principale qui traverse
la péninsule doit être transformée en autoroute à quatre voies. La journée, la
ville s’endort, attendant que la chaleur lui donne un peu de répit. En plein
mois de janvier, les touristes se promènent en manches courtes et les manteaux
restent dans les hôtels. Les quelques restaurants ouverts proposent des tables
avec vue sur la mer, tournant le dos à la ville et aux détentions illégales
de Sahraouis. Le soir, la ville est la plus authentique et la plus
musulmane : les magasins ouvrent, les marchés d’occasion à perte de vue
inondent les rues, et l’obscurité couvre les dommages. À la périphérie de la
ville, la route reliant les stations balnéaires au centre-ville traverse un
éternel terrain vague, interrompu uniquement par une forteresse militaire.
Le mur d’enceinte s’étend de manière imposante en un vaste campement
disproportionné.
« Nous
mettons en garde depuis plusieurs années contre l’utilisation par le Maroc du
tourisme comme outil pour consolider et légitimer son occupation du Sahara
occidental. C’est une stratégie qui est en place depuis une dizaine d’années,
mais dont la mise en œuvre est devenue plus évidente ces dernières années. Ce n’est
pas la seule, car elle implique également l’écoblanchiment, la promotion
de l’investissement dans les territoires occupés du Sahara occidental et l’appropriation
culturelle. Tout cela fait partie d’une stratégie globale qui consiste à
essayer d’obtenir par les actes ce que la loi leur refuse », affirme Abdullah
Arabi, représentant du Front POLISARIO en Espagne, l’organe habilité à parler
au nom du peuple sahraoui dans le conflit qui l’oppose au Maroc.
Le diable est
dans les détails, et dans les chambres d’hôtel de Dakhla traînent des livres d’histoire
marocaine. Les melhfas sahraouies et la langue hassaniya y sont présentées
comme des variantes de la culture marocaine. Tout curieux bien intentionné
en sortira avec le sentiment que tout ce qui sonne saharien est marocain. La
République arabe sahraouie démocratique (RASD) ou Sahara occidental est encore
plus occultée que les tortures policières infligées à ses militants.
En pleine zone touristique, près du bar à touristes par excellence, le Samarkand, un Espagnol installé temporairement à Dakhla commente la vie dans la péninsule et adopte une voix d’outre-tombe pour prononcer les mots interdits : « Il y a encore des Sahraouis par ici, je les vois manifester devant le port que mon entreprise construit et ils disent que cette terre leur appartient », dit-il brièvement, pour ne pas s’attirer d’ennuis. L’homme, un Canarien qui a une fille à Tenerife, travaille dans la construction et passe de longues périodes à Dakhla sur les chantiers des ports que le Maroc construit tout au long de la côte. Peu importe ce que disent les Nations unies, peu importe ce que dit l’Union européenne, peu importe ce que dit l’Espagne, qui ne dit rien.
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