Le journaliste marocain Omar Brouksy signe La République de Sa Majesté,
un livre à charge sur les réseaux d’influence entre la France et le
Maroc. Il consacre un chapitre à l’affaire impliquant deux journalistes
français soupçonnés d’avoir fait chanter le roi du Maroc et déboutés le
10 novembre.
Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Rachida Dati, les époux Balkany,
Bernard-Henri Lévy, Dominique Strauss-Kahn, Jack Lang, Élisabeth Guigou,
Jamel Debbouze, Najat Vallaud-Belkacem, Xavier Beulin… Voilà
quelques-unes des nombreuses personnalités épinglées pour se faire les
avocates complaisantes de la monarchie chérifienne, dans le dernier
livre du journaliste marocain Omar Brouksy. Reconverti dans
l’enseignement tant il est devenu difficile de pratiquer le journalisme
indépendant au Maroc, Omar Brouksy, ancien rédacteur en chef du Journal hebdomadaire, puis journaliste à l’AFP, signe aux éditions du Nouveau Monde La République de Sa Majesté – France-Maroc, liaisons dangereuses.
Dans ce réquisitoire, il explore et détaille,
sans révélations particulières, mais avec rigueur et minutie, les
réseaux extrêmement bien développés du pouvoir marocain en France, une
diplomatie parallèle, forgée par un homme en particulier, André Azoulay,
conseiller de Hassan II puis de Mohammed VI, père de
l’ancienne ministre française de la culture récemment élue à la tête de l’Unesco.
Un voyage au cœur de l’élite française politique, médiatique,
culturelle et économique qui ne recule ni devant les invitations dans
les palaces du royaume ni devant les contrats juteux, et se fait fort de
vendre l’image d’un Maroc « moderne », « ouvert », « progressiste » en fermant les yeux sur les violations des droits humains et la machine répressive à l’œuvre dans le pays.
Omar Brouksy revient notamment sur une affaire qui a défrayé la
chronique, qui impliquait Catherine Graciet, 42 ans, et Éric Laurent, 69
ans, ces deux journalistes français soupçonnés d’avoir fait chanter le
roi du Maroc. Arrêtés à l'été 2015 à la sortie d’un palace
parisien, chacun en possession d'une avance de 40 000 euros en coupures
de 100 euros et d'un « contrat » signé dans lequel ils s'engageaient « à ne plus rien publier sur le royaume », ils ont été mis en examen pour chantage et extorsion de fonds. Omar Brouksy leur consacre un chapitre entier : « Les prédateurs du prédateur »,
et reproduit notamment l’intégralité des enregistrements en possession
de la justice, réalisés à l'insu des deux journalistes par un des
avocats de Mohammed VI, Hicham Naciri, avec son téléphone portable. On
entend Graciet et Laurent s’engager à ne pas publier de livre sur
Mohammed VI, sa famille, ses affaires, et négocier leur silence à
hauteur de trois, puis deux millions d’euros, concluant la transaction
par un « on est riches, on est riches ! » avant d'être arrêtés par les policiers.
Depuis plusieurs mois, la recevabilité de ces enregistrements
clandestins est au cœur d’une bataille judiciaire. En septembre 2016, la
Cour de cassation, la plus haute juridiction française, remettait en
cause leur validité au motif qu'ils avaient été réalisés avec « la participation indirecte » des enquêteurs français, et cela « sans le consentement des intéressés », alors qu'il s'agissait « de propos tenus par eux à titre privé ». Selon la Cour de cassation, cela « porte atteinte aux principes du procès équitable et de la loyauté »,
conformément à l'article 6 de la Convention européenne des droits de
l'homme. Mais, quelques mois plus tard, en février 2017, la cour d'appel
de Reims a cassé cet arrêt, jugeant recevables les enregistrements.
Vendredi 28 octobre, la Cour de cassation devait se prononcer à
nouveau, après un pourvoi des journalistes en réaction à la décision de
la cour d'appel de Reims. Preuve de la complexité du dossier, elle s'est
réunie en assemblée plénière, c’est-à-dire devant toutes ses chambres,
et pour la dernière fois car sa décision (consultable ici), rendue
ce vendredi 10 novembre, ne peut désormais plus être contestée. Elle
tranche en faveur du roi du Maroc et déboute les deux journalistes,
estimant « que le concept de “participation”, même indirecte, suppose
l’accomplissement, par les enquêteurs d’un acte positif, si modeste
soit-il ; que le seul reproche d’un “laisser faire” des policiers, dont
le rôle n’a été que passif, ne peut suffire à caractériser un acte
constitutif d’une véritable implication ». Le dossier va désormais
retourner entre les mains des juges d'instruction, qui pourront soit
renvoyer l'affaire devant un tribunal, soit prononcer un non-lieu.
Omar Brouksy tentant de faire son travail lors d'un sit-in de protestation devant le parlement marocain, il y a quelques années
Entretien avec Omar Brouksy, suivi de deux extraits
Mediapart : Au-delà du discrédit qu'elle jette sur la profession de journaliste, que nous dit l’affaire Graciet-Laurent sur la pratique de ce métier dans un pays comme le Maroc ?
Omar Brouksy : C’est une grande déception. Catherine Graciet a travaillé en tant que journaliste au Journal hebdomadaire,
un journal indépendant, asphyxié économiquement par le pouvoir, dont
j'ai été le rédacteur en chef. Je la connais très bien et elle connaît
très bien le risque des journalistes indépendants au Maroc. Appeler le
palais pour recouper des informations, OK, mais marchander non pas le
prix du silence mais le prix de la non-publication d’informations, c’est
jeter le discrédit sur un métier, mais aussi sur des gens qui prennent
des risques pour informer de manière fiable et indépendante. Ils ont
porté atteinte à tous les journalistes qui essaient de documenter le
Maghreb, des pays où cela n’est pas facile. Je n’avais pas prévu de
faire un chapitre sur cette sordide histoire, mais lorsque j’ai eu en ma
possession les enregistrements, je ne pouvais pas ne pas en parler. Je
pense que le roi était prêt à payer deux, trois millions d’euros s’ils
avaient des informations compromettantes. Mais lorsque l’avocat a vu
qu’ils n’en avaient pas, il a décidé de leur tendre un piège.
Cette
affaire montre combien les liaisons France-Maroc peuvent être
dangereuses. C'est d'ailleurs le sous-titre de votre ouvrage. Pourquoi
qualifier de la sorte tous les liens entre les deux pays ?
Parce que les liaisons entre les deux pays affaiblissent tous les
courants démocratiques. Quand vous avez quelqu’un comme Bernard-Henri
Lévy, avec tout son réseau d’influence médiatique, qui défend la
monarchie, présente le roi comme le plus grand démocrate de toute la
région du Maghreb, quand vous avez quelqu’un comme Jamel Debbouze qui
tient un discours de glorification de la monarchie, il est difficile de
présenter la réalité du régime marocain. Il s’agit d’une monarchie
absolue, qui ne respecte pas les droits humains, qui lamine les médias.
/article.asp?reference=22072
|
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire