Exclusif / Aminatou Haidar, prix Nobel alternative à La Patrie News : “Je ne reconnais au Maroc aucune autorité sur mon pays ni sur ma personne”

Prix Nobel alternatif, plus prestigieuse distinction en matière de défense des droits de l’Homme, Aminatou, au fil des ans et de ses combats pacifiques, a fini par devenir l’égérie qui, à son corps défendant, et au péril de sa vie et de sa santé, a fini par incarner la noblesse et l’impétueuse détermination de son peuple, dont la noblesse le dispute ardemment à la fierté et au courage. Egale à elle-même, alors que le cessez-le-feu violé par le Maroc, a fait que le conflit armé vient de reprendre dans la zone tampon d’El Guerguerat, la Ghandi sahraouie accepté de répondre à nos questions en toute transparence.

Entretien réalisé par Mohamed Abdoun

 

La Patrie News:  En dépit de la continuelle surveillance policière dont vous êtes l’objet, et la victime aussi, vous avez réussi, le mois de septembre passé, à mettre en place l’ISACOM (instance sahraouie contre l’occupation marocaine). Si l’on part du constat que vous n’avez jamais perdu de vue votre objectif final, qui est la libération de votre peuple du joug colonial marocain, à quelle logique répond cette stratégie nouvelle qui, il faut le dire, a mis dans l’embarras Rabat et ses relais médiatico-politiques ?

 Aminatou Haidar: Personnellement je crois que notre stratégie comme militants pour les droits humains et les droits de notre peuple à l’autodétermination, la liberté et l’Indépendance n’a jamais changé. Oui, elle s’est développé lentement pendant les 3 dernières décennies, mais c’était principalement à cause du manque d’expérience, mais aussi de la répression continue que nous avons tous vécue  comme défenseurs des droits humains.

Pour l’ISACOM, c’ est le développement normal qui répond actuellement à la situation d’occupation et de menaces qui domine sur la vie et la sécurité des civils sahraouis sous occupation. C’est d’ailleurs pour cela que nous étions parmi les premiers à appeler la Croix Rouge internationale pour assumer sa responsabilité dans la protection des civils sahraouis sous occupation, puisque le Sahara Occidental est un pays occupé  et en plus une zone de guerre maintenant, et donc doit être traitée  sous la loi humanitaire internationale et la 4ème convention de Genève et être une question de décolonisation à  régler.

Quelques jours, ou semaines plus tard, vous avez été empêchée de voyager en compagnie de votre fils sous prétexte que vous seriez atteinte du coronavirus. Espéraient-il vraiment vous faire taire en agissant ainsi, ou s’agissait-il d’une manœuvre qui trahit le désespoir et la grande confusion du Makhzen ?

Je crois vraiment que les autorités marocaines ne savent plus comment agir pour faire face à la situation d’occupation qu’ils gèrent avec beaucoup de maladresse, de violence, et d’improvisation au Sahara Occidental. Les gens croient peut-être que les autorités d’occupation marocaine savent ce qu’ils sont entrain de faire dans leur colonie, mais ce n’est pas le cas. Prenons par exemple la façon avec laquelle ils ont répondu à  la  constitution de notre ONG  » Instance Sahraouie Contre l’ Occupation Marocaine »   (l’ISACOM) . Au début il n’y a eu aucune réaction officielle,  par contre après le premier jour une vaste et féroce  campagne médiatique  de diffamation s’est lancée contre ISACOM et surtout contre moi personnellement, et après une semaine  une déclaration-menace de la part du Procureur du Roi du Maroc à El Aaiun occupé a été publiée par la MAP . Depuis lors des membres  du bureau exécutif de l’ ISACOM se trouvent sous surveillance et assignation à résidence sans aucune procédure juridique. Quant à moi j’ ai passé deux mois dans la même situation jusqu’au jour de mon départ aux Îles Canaries à la date du 02/12/2020.  Ils ont essayé par une honteuse  tentative de m’empêcher de voyager, car ils ont été  surpris par mon défi à  leur décision de me mettre sous surveillance, en  ignorant peut-être que personnellement je ne leur reconnais aucune autorité ni sur ma personne ni sur mon pays.

Le Maroc, il faut  le rappeler à tout le monde, est une puissance d’occupation illégale au Sahara Occidental, il n’a donc aucune légitimité et nous ne devons pas accepter d’être soumis à sa politique coloniale .

Question trois : Vous avez déjà évoqué le grand dépit des jeunes Sahraouis face à la politique du fait accompli du Maroc, et le silence complice de la communauté internationale. Pour l’éternelle pacifiste que vous êtes, est-ce que le choix des armes est la seule et unique voie de salut qui leur reste?

Je suis vraiment triste parce que la communauté internationale a  laissé tomber les Sahraouis et leur représentant légitime, le Front Polisario, qui ont donné   30 ans à  l’ONU pour organiser un simple referendum d’autodétermination. L’histoire va enregistrer que c’est la mission onusienne la plus facile du monde qui a coûté  plus d’un  milliards de dollars, l’effort de centaines voir des milliers de fonctionnaires onusiens, et la vie et le futur de plusieurs générations de Sahraouis trahis  par l’ONU.

Cela dit, aussi pacifiste que je peux être, je n’ai aucun argument pour convaincre mes compatriotes de croire à  cette paix, qui, il faut le souligner n’a jamais été une paix pour eux, car les Sahraouis pendant ces 30 ans étaient  seuls à  payer le prix de cette fausse-paix par des martyr, des prisonniers politiques, des victimes de toute sorte de violations, des morts par assassinats , des réfugiés  qui soufrent eux aussi de la longue attente qui ne semble pas finir.

Je dirais que ni l’ONU ni aucun autre pays, aussi grand et influent qu’il soit, ne peut convaincre les Sahraouis qu’ils peuvent croire en la médiation, la justice et le sérieux de l’ONU, ou n’importe quelle autre organisation. Elles ont toutes failli à leur promesse aux Sahraouis et permis au Maroc de violer nos droits, exploiter nos richesses et même renforcer son fait accomplit colonial dans notre pays. Le choix du peuple sahraoui à  reprendre les armes, on peut le critiquer comme on veut comme pacifistes, mais nous n’avons pas d’arguments pour les dissuader de le suivre comme un moyen légitime de lutte pour la liberté.

 Les militants favorables à l’indépendance, dont vous faites partie, sont les victimes de mesures d’intimidation et de provocations qui entravent leurs mouvements. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je crois qu’il n' y a pas besoin de vous raconter ce que nous, comme citoyens sahraouis sous occupation, vivons à  cause de l’occupation marocaine. Vous pouvez prendre n’importe quel rapport ou communiqué  de n’importe quelle organisation internationale et vous allez voir que le Maroc viole tous les droits civils, politiques, économiques, culturels, et autres en plus de violer notre droit fondamental à  l’autodétermination, la liberté et l'indépendance.

 Comment vivez-vous ces pressions et surveillances de tous les instants ?

Nous la vivons comme prix nécessaire à  payer pour la liberté. Nous sommes comme tout les autres peuples qui ont payé  leur liberté très chèrement, comme  on méritera de l’ obtenir.

 Suivre ce conflit armé à partir des territoires occupés ne doit pas être facile, à cause e l’intox des médias locaux et de la censure. Comment faites-vous pour vous adapter à cette situation nouvelle et stressante puisque le cessez-le-feu dure depuis une bonne trentaine d’année ?

Effectivement, nous n’avons aucune confiance dans les médias marocaines. Ils sont tous, sans exceptions très loin de toute crédibilité, et ils ont toujours servi la propagande marocaine. Les médias internationaux eux aussi manquent de présence et de suivi, bien sûr ils ne peuvent que très mal suivre la situation. Mais, nous arrivons quand même à  avoir les infos véridiques et crédibles à  travers les médias sahraouis, mais aussi à  travers les médias algériens qui suivent la question et les développements avec professionnalisme et sérieux. Il y a aussi plusieurs autres médias internationaux, surtout dans les pays voisins tel en Espagne ou même en Mauritanie qui nous servent de sources crédibles. Et en somme, nous arrivons malgré tout à avoir l’info  aussi à travers les moyens de communications, maintenant que chaque citoyen peut être une source crédible d’infos.

Quel message voudriez-vous lancer à la communauté mondiale, au conseil de sécurité de l’ONU, et à son SG, qui tarde à désigner un nouveau représentant pour le Sahara Occidental ?

Je leur dis à tous qu’ils ont failli magistralement à leurs droits envers le peuple sahraoui, mais surtout envers la Charte de l’ONU et la loi internationale. Ils doivent se sentir coupables car c’est à  cause de leur inaction que le Maroc continue à  occuper illégalement notre pays. Pour le Conseil de sécurité, il est grand temps qu’il traite la question sahraouie sous l’article 7 comme un cas d’agression militaire par le Maroc contre l’État sahraoui. Le Maroc doit simplement abandonner le territoire et laisser la République sahraouie et son peuple jouir de son indépendance et de ses ressources. Pour le SG, je lui rappelle qu’il nous avait dit dans son dernier rapport que la situation au Sahara Occidental est calme. Je ne vois pas de quel calme il parle, parce que la situation est catastrophique maintenant. Il est grand temps de faire imposer le respect de la légalité internationale au Sahara Occidental.

 L’incident de 2009, qui a fait plier le Maroc, vous rendant mondialement célèbre au péril de votre vie, est encore gravé dans les mémoires. Il a fait voler en éclat le mythe de la souveraineté marocaine sur ses « provinces du sud ». Depuis, sa proposition d’autonomie, avancée comme une forme de « concession », ne passe toujours pas. Pourquoi ce refus obstiné de tenue d’un référendum d’autodétermination, alors que la démocratie et le droit international passent assurément par-là ?

C’est l’erreur que toutes les puissances coloniales et d’occupation ont commise partout. Je n’ai vraiment pas de réponse pour cette question sauf celle donnée  par le General Giap, quand il a dit que le colonialisme était « un mauvais élève qui ne retient pas les leçons ». Ce que le Maroc essaye de faire a déjà été essayé  par la France un peu partout, y inclus en Algérie sans résultats, mais le Maroc croit toujours qu’il peut réussir à  faire soumettre un peuple en lutte pour ses droits, alors nous devons lui rappeler la leçon.

 Plusieurs monarchies arabes soutiennent de facto le fait accompli colonial du Maroc en décidant d’ouvrir des représentations consulaires à Laâyoun , dans les territoires occupés. La RASD est pourtant un Etat arabe et musulman. Est-ce qu’on assiste à son reconfiguration géostratégique à la faveur de ce processus de normalisation ?

Tout ce que le Maroc fait au Sahara Occidental est nul et sans aucune importance légale ou politique. En fin de compte il va devoir partir de notre pays, et nous déciderons alors ce que nous allons faire de ces kiosques de corruptions, et je ne dirai pas consulats, car si'ils veulent mériter ce titre diplomatique ils doivent aller le chercher chez le propriétaire de la souveraineté au Sahara Occidental, le peuple sahraoui, et son représentant légitime, le Front Polisario et la République sahraouie.

Comment réagissez-vous à la déclaration de Trump, qui reconnait illégalement la marocanité du Sahara Occidental contre la normalisation de Rabat avec l’entité sioniste

Mon opinion sur la proclamation du Président sortant Donald Trump: la proclamation du Président sortant Donald Trump sur le Sahara Occidental, n’ a aucune valeur juridique ni politique, simplement parce que ni Trump ni quelqu’un d’ autre a le droit de donner ce qui ne lui appartient pas à ceux qui ne le méritent pas. Le Peuple Sahraoui est le seul et exclusif propriétaire et souverain du Sahara Occidental et c’ est à lui seul de décider son destin.

En plus Trump porte atteinte au droit internationale et aux principes des Nations Unis et de l’ Union Africaine et  s'  est attaqué même à un droit fondateur de la  nation américaine, à savoir le droit à l’ autodétermination des peuples. C’ est donc une décision qui n’ a pas de base juridique et doit être refusée et rejetée par toutes les nations libres.