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- Édition : Les invités de Mediapart, 14/4/2018
Trump, Macron et May ont donc voulu punir Bachar
al-Assad pour avoir utilisé des barils de chlore contre son peuple. Et
après ? Le moins que l’on puisse dire est que l’on a peine à discerner
le début du commencement d’une stratégie des Occidentaux en Syrie. Un
point de vue de l’ancien ministre et député (UMP, puis LR) Pierre
Lellouche.
Trump, Macron et May ont donc voulu punir Bachar al-Assad pour avoir utilisé des barils de chlore contre son peuple. Soit.
Et après ?
La question première lorsque l’on décide de l’emploi de la force est
de savoir : 1) à quoi ça sert ?, 2) comment on contrôlera ou pas les
degrés suivants de l’escalade face à un ou plusieurs adversaires qui ne
resteront pas inertes ?, Enfin 3) comment on en sort (quel règlement
politique) ? L’ensemble s’appelle une stratégie.
Dans l’affaire syrienne, le moins que l’on puisse dire est que l’on a
peine à discerner le début du commencement d’une stratégie des
Occidentaux en Syrie.
Depuis le début du conflit syrien il y a sept ans (!), Américains et
Européens ont accumulé erreurs et hésitations, espérant d’abord que
Bachar allait tomber tout seul (comme Ben Ali ou Moubarak), soutenant
ensuite les milices sunnites anti-régime, théoriquement « démocratiques
», en armes et en argent, avant que la plupart d’entre elles ne
s’évaporent dans une myriade de groupes armés islamistes, pour se
résigner en bout de course à sous-traiter, faute de mieux, la lutte
contre Daech aux seuls combattants kurdes, ceux-là mêmes que nous
abandonnons aux Turcs à présent à Afrine… Au final, cette spirale sans
fin d’hésitations et d’erreurs n’aura abouti qu’à laisser les Russes,
les Iraniens et les Turcs contrôler seuls le terrain. A tel point que
les Occidentaux, pour la première fois dans l’Histoire moderne du
Proche-Orient, sont tout bonnement exclus des processus diplomatiques,
dominés par Moscou, Ankara et Téhéran. Quant à la Russie, expulsée du
Moyen-Orient en 1973 par Kissinger, elle y fait désormais son grand
retour.
La même palinodie s’est répétée sur les armes chimiques.
A l’été 2013, la fameuse « ligne rouge » d’Obama a fait « pschitt » :
l’intervention militaire prévue s’étant transformée en un tour de
passe-passe diplomatique mené de main de maître par Poutine.
Il y a un an, Trump marquait son arrivée au pouvoir par un tir de 59
missiles de croisière sans le moindre effet. Et il y a quinze jours tout
juste, le même Trump annonçait qu’il souhaitait se retirer d’urgence de
Syrie (« sous 48 heures » avait-il même ordonné, selon mes
informations, à son ministre de la Défense John Mathis). La semaine dernière, il
menaçait directement la Russie par tweet « Prend garde Russie… ».
Aujourd’hui, il bombarde entouré de ses alliés franco-britanniques. Qui
dit mieux ?
Question : à part détourner l’attention des opinions publiques sur
les problèmes de politique intérieure respectifs de MM. Trump et Macron,
ou redorer l’image très abimée de Mme May, à quoi ces bombardements
peuvent-ils bien servir ?
A affaiblir Bachar ? C’est l’inverse qui se produira. A le convaincre
de ne plus utiliser de barils de chlore ? C’est douteux. A amener les
Russes et les Iraniens à se retirer de Syrie et à envisager avec les
Occidentaux une sortie de crise par le haut, par la négociation ? Encore
moins.
Dans le meilleur des cas donc, ces bombardements n’auront pas d’impact sur la guerre en Syrie, qui continuera…
Dans tous les autres, ces bombardements ne feront au contraire qu’aggraver la situation ainsi que les risques d’escalade.
Vu de Moscou, ce nouvel emploi de la force occidentale, sans mandat
de l’ONU, vient, après le Kosovo ou la Lybie, utilement conforter la
croyance que l’Occident et l’OTAN ne cherchent qu’à humilier, à agresser
la Russie, voire même à obtenir un changement de régime. Si les
Occidentaux s’arrogent le droit d’appliquer seuls, et par la force, ce
qu’ils considèrent comme étant le droit international, en quoi
l’annexion de la Crimée ou l’intervention au Donbass seraient –elles
interdites au pouvoir russe ?
Idem à Téhéran, où l’on ne se fait plus guère d’illusions sur la
poursuite de l’accord sur le nucléaire (JCPOA), dont Trump s’apprête à
se retirer le 12 mai prochain. Non seulement les Iraniens auront encore
moins l’intention de se retirer de Syrie, mais il est à craindre que la
pression exercée par eux depuis la Syrie contre Israël, avec le
Hezbollah et la Hamas, ne s’accroisse encore plus, aboutissant à un
horizon proche, à un vrai risque de guerre entre Israël et l’Iran. Ceci
sans parler de la guerre par procuration au Yémen, contre l’Arabie
Saoudite alliée des Etats-Unis…
Quant aux Turcs d’Erdogan, ennemis des Kurdes encore plus que de
Bachar, ils font mine d’appuyer les bombardements occidentaux, qui
justifient en creux leur propre occupation militaire des régions nord de
la Syrie.
Tout est donc réuni dans ce triste champ de ruines qu’est devenue la
Syrie, théâtre d’affrontements d’au moins sept armées rivales, dont six
étrangères (!), pour que l’escalade ne dégénère à tout moment.
Avions- nous vraiment besoin de plonger directement dans ce chaudron ?
Les exemples afghan, irakien, lybien et avant cela, celui des Balkans
au début du XXe siècle, ne nous auront-ils donc rien appris ?
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