David Rich, France24, 21/2/2025
Pour son édition 2025, le Salon de l’agriculture déroule le tapis rouge au Maroc, choisi comme invité d’honneur de l'événement qui ouvre ses portes samedi près de Paris. Client privilégié de l’industrie céréalière française, Rabat est également l’un des principaux exportateurs de fruits et légumes dans l’Hexagone, à des prix très attractifs. Certains élus et agriculteurs dénoncent une concurrence déloyale.
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Un
agriculteur dans un champ de pommes de terre à Berrechid, province marocaine au
sud-est de Casablanca, le 7 février 2024. © Fadel Senna, AFP
Il s’agit
d’un fait inédit en 61 ans d’existence. Le Salon de l’agriculture, qui ouvre ses portes
samedi porte de Versailles, à Paris, a réservé cette année une place toute
particulière au Maroc, invité d’honneur de l’édition 2025. Si la grande
messe de l’agriculture propose chaque année la découverte de stands étrangers,
jamais elle n’avait offert à l’un de ses hôtes un tel statut lors de cet
évènement dédié, en premier lieu, au rayonnement des filières hexagonales.
À cette
occasion, Emmanuel Macron a adressé personnellement une
invitation au Roi du Maroc Mohammed VI,
qui n’a pour l’heure pas confirmé sa présence.
Nouvelle lune de miel
Cet
événement s’inscrit dans un contexte de réchauffement des relations
diplomatiques et économiques entre Rabat et Paris, après une période de fortes
turbulences. En 2021, le scandale des écoutes Pegasus puis la réduction du
nombre de visas accordés par la France avaient
jeté un sérieux froid entre les deux dirigeants, provoquant une crise inédite.
Mais la
relation a connu une nette embellie au cours de la dernière année, marquée par
une nouvelle visite d’État du président français qui a
apporté son soutien à la souveraineté marocaine du Sahara
occidental. Les deux pays ont récemment signé une série d’accords, parmi
lesquels une nouvelle feuille de route sur le partenariat agricole.
Un
réchauffement perçu avec enthousiasme par la filière céréalière française, qui
compte Rabat parmi ses plus gros clients. "L’invitation du Maroc comme
invité d’honneur au Salon de l’Agriculture est une très bonne chose. Même si
nos pays ont connu des tensions, notre partenariat ne date pas d’hier et il est
important de le célébrer", se félicite Philippe Heusele, président du
comité des relations internationales d’Intercéréales, le lobby français de la
profession.
Des besoins "complémentaires"
Partenaire
privilégié du Maroc, la filière céréalière française a fourni en 2023 plus de
50 % du blé tendre importé par le royaume. Malgré une diminution des
exportations françaises en 2024 du fait d’une récolte moindre et de la forte
concurrence internationale – en particulier de la Russie – le
partenariat entre les deux pays demeure extrêmement dynamique, souligne le
représentant de la filière.
"La
France a une production excédentaire et les Marocains, qui consomment deux fois
plus de blé que nous, ont besoin d’importer en grande quantité. La proximité
géographique facilite le commerce et nous avons également les mêmes besoins
qualitatifs", explique Philippe Heusele.
Un marché
d’autant plus porteur que les besoins du Maroc ne cessent d’augmenter du
fait de l’impact du réchauffement climatique. Le pays a connu en 2024 sa sixième année de sècheresse consécutive provoquant une
chute de la production agricole, céréalière notamment. Enfin, en matière
d’agriculture le Maroc possède un sérieux atout : il dispose de la
deuxième plus grande réserve mondiale de phosphate, un composant essentiel des
engrais, dont l’UE est l’un des principaux acheteurs.
Pour autant,
le partenariat avec le Maroc ne se limite pas aux seules questions
transactionnelles. Il inclut également un volet recherche, notamment sur
l’adaptation face au réchauffement climatique. "Le Maroc a une expérience
de terrain dont nous pouvons bénéficier, sur les aspects techniques mais
également sociaux et politiques", souligne Sandrine Dury, du Centre de
coopération internationale en recherche agronomique pour le développement,
citant en exemple les projets communs sur l’adaptation de la culture des
oliviers ou l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la gestion des
troupeaux.
Les tomates de la discorde
Comme
Philippe Heusele, Sandrine Dury se félicite de la place d’honneur faite au
Maroc cette année au Salon de l’agriculture. Les producteurs de fruits et
légumes se montrent quant à eux bien moins enthousiastes. Ces derniers
dénoncent depuis des années une concurrence déloyale des produits marocains,
importés massivement en Europe.
En 2012,
Bruxelles et Rabat ont signé un accord de libre-échange permettant au Maroc
d’exporter des fruits et légumes sans payer de taxes douanières. Produit phare
de l’agriculture marocaine, la tomate a depuis envahi les étales européennes.
En France, elle coûte de deux fois à deux fois et demie moins cher, en moyenne,
que la tomate produite dans l’Hexagone.
"Non
seulement la main-d'œuvre chez nous est dix fois plus coûteuse, mais des
travailleurs – souvent des femmes – sont parfois exploités pour ces
récoltes au Maroc, sans même qu’on leur donne de contrat de travail",
dénonce Claude Girot, de la Confédération paysanne. Très actif sur les
questions de droits humains, ce syndicat a remporté en 2024 une bataille devant
la justice européenne sur l’obligation d’étiquetage des produits récoltés au
Sahara occidental par le Maroc.
Des pesticides interdits
Autre
problème concernant les importations de produits marocains : celui des
normes sanitaires. Car certains pesticides interdits dans l’Union Européenne
sont encore utilisés au Maroc, comme le méthiocarbe ou le chlorpyrifos,
détectés lors de tests menés sur des poivrons marocains.
"Lorsque
de tels produits sont détectés, les stocks peuvent être soit détruits soit
renvoyés. Nous avons besoin d’une réglementation plus dissuasive, qui impose
des sanctions financières aux importateurs de ces produits", affirme le
député LR de la Loire Antoine Vermorel-Marques.
Ce fils
d’agriculteur défend une proposition de loi visant à interdire en France
l’importation de produits non-conformes aux règles sanitaires européennes, et
non plus uniquement leur vente et leur distribution, comme stipulé par la loi
Egalim.
"Cette
mesure concerne de nombreux autres pays qui utilisent des produits interdits en
Europe, comme le Kenya ou les États-Unis", précise l’élu. "Il ne
s’agit pas d’une mesure contre le Maroc. Mais nous avons besoin de plus de
contrôles. Il s’agit de la défense de notre santé publique et du travail de nos
agriculteurs", conclut-il.
Adopté le 28 janvier par la commission des affaires
économiques, le texte doit désormais être débattu devant l'Assemblée nationale.
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