L’ancien président du gouvernement espagnol parraine un livre qui vante les mérites de l’occupation marocaine du Sahara occidental, l’ancienne colonie espagnole
Francisco Carrión, El Independiente,
18/2/2025
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane, Tlaxcala
Choyé et apprécié par les autorités marocaines, José Luis Rodríguez Zapatero s’est fait une place de l’autre côté du détroit. L’ancien président du gouvernement est devenu un habitué des conférences et des événements officiels du régime de Mohamed VI, au point de devenir l’un des principaux porte-parole des thèses du makhzen, le cercle du roi qui dirige les destinées du Maroc. Dans son rôle de lobbyiste alaouite, le socialiste fait maintenant ses débuts en tant que préfacier d’un livre publié en Suisse qui chante les bienfaits de l’occupation marocaine du Sahara occidental, l’ancienne colonie espagnole et le dernier territoire d’Afrique en attente de décolonisation.
« Tout au long de ma vie et dans
mes différentes fonctions, d’abord en tant que secrétaire général du Parti
socialiste ouvrier espagnol (2000-2011), puis en tant que président du
gouvernement espagnol (2004-2011) et maintenant en tant qu’ancien président, j’ai
effectué de nombreux voyages au Maroc. Pendant plus de vingt ans, ces voyages m’ont
permis de découvrir de près la réalité d’une terre riche et diversifiée et de
compter parmi mes bons amis des citoyens marocains du nord comme du sud »,
écrit Rodríguez Zapatero dans le prologue de Sahara marocain, terre de
lumière et d’avenir publié par les éditions Favre.
Cet ouvrage de 315 pages a été
écrit en français par Jean-Marie Heydt, professeur à l’université d’Oujda
(Maroc). Il vise à promouvoir la souveraineté marocaine sur le Sahara
occidental, un territoire non autonome selon l’ONU, dont la population
autochtone - répartie entre les zones occupées, les camps de réfugiés de
Tindouf (Algérie) et la diaspora - se sont vu refuser le droit à l’autodétermination.
Heydt est l’auteur d’autres panégyriques antérieurs sur le Maroc, dont Mohamed VI : la vision
d’un roi, actions et ambitions, publié par le même éditeur en 2019.
« Les provinces du sud »
Avec les anciens ministres José
Bono et María Antonia Trujillo, résidente au Maroc, Zapatero est l’un des
visages des liens étroits établis entre le PSOE et la monarchie alaouite. Dans la
préface de l’ouvrage, l’ancien président adopte le langage que le Maroc tente
de promouvoir sur la scène internationale. Il parle des « provinces du sud »
pour désigner les territoires occupés du Sahara et se vante de ses
pérégrinations en tant qu’invité d’honneur du régime.
L’ouvrage dont il rédige le
préambule est réalisé, comme le reconnaît son auteur, à partir du contenu et
des informations fournies par les gouverneurs et les fonctionnaires du Sahara
occupé ainsi que par les organismes d’État et par Mouhsine El Yazid, consul
honoraire du Maroc à Lausanne et coprésident - avec Laurent Wehrli, député
libéral-radical du Canton de Vaud - de l’Alliance
Suisse-Maroc. Il ne s’agit donc pas d’un ouvrage universitaire et il n’a
pas l’intention d’être rigoureux car il ne dispose pas de témoignages
indépendants. En effet, l’auteur avertit le lecteur que tout au long du texte,
il est fait référence à Mohamed
VI, « le prince des croyants », et s’excuse en affirmant que «
pour les Marocains, le roi est considéré comme un membre de leur famille et
cette osmose est aussi spirituelle que patriotique, affective, religieuse et
historique ». Heydt dit du souverain, qui passe de longues périodes à l’étranger
et dont la vie et les fréquentations sont taboues dans le royaume, qu’il est le
véritable facteur d’unité et qu’il est surnommé depuis 2011 « le roi citoyen »
pour avoir accordé à ses sujets une nouvelle constitution qui, dans la
pratique, maintient tous ses privilèges.
« Un voyage se détache singulièrement de ma mémoire : en 2015, j’ai eu l’occasion de me rendre à Tan-Tan pour participer au Moussem. Et lors de ce rassemblement des tribus du désert du Sahara, j’ai pu profiter de la richesse culturelle qu’offrent le Sahara et ses Tribus » [sic], évoque-t-il en préambule. « C’est pourquoi j’ai accepté avec plaisir d’écrire ces lignes en prologue à Sahara marocain : terre de lumière et d’avenir, publié par les éditions Favre, un ouvrage magnifique qui présente toute la beauté et la complexité du Sahara », écrit-il dans sa préface signée de sa main sous le titre de « président du gouvernement espagnol entre 2004 et 2011 ».
Son témoignage est
particulièrement précieux pour les autorités marocaines, car il s’agit d’un
ancien président du pays qui continue d’assumer devant l’ONU la responsabilité
de puissance administrante « de jure ». Dans les deux pages de la préface,
Zapatero félicite l’auteur de l’ouvrage « pour son excellent travail visant à
faire connaître le Sahara et à ouvrir tous ses aspects au public avec ces
magnifiques photos et textes ».
Zapatero, depuis qu’il a quitté
La Moncloa, s’est fait une carrière de lobbyiste, du Maroc au Venezuela
en
passant par la Chine.
Aucune mention des droits humains ou de l’exploitation des ressources
Le livre, en soi, est un
catalogue de louanges au roi et aux autorités locales du Sahara occupé. Il
ignore complètement la marginalisation dont souffre la population autochtone
face aux colons que le Maroc a envoyés ; le pillage des ressources naturelles
que les
arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne ont mis au jour ; ou les
graves violations des droits humains qui sont enregistrées dans l’ancienne 53ème
province d’Espagne, soumise à un black-out d’information rigoureux avec l’expulsion
de plus de 300 observateurs, activistes et journalistes étrangers depuis 2014.
Le préfacier évite également
toute question critique et alimente ses thèses sur la nécessité d’une entente
avec le Maroc, en plus de la célébration du tournant copernicien que le
gouvernement de Pedro Sánchez a opéré en 2022 dans le contentieux du Sahara en
reconnaissant le vague plan d’autonomie marocain - trois pages jamais
développées - comme la base la plus sérieuse pour la résolution du différend.
Zapatero a défendu les thèses
makhzéniennes au Maroc et en Espagne, lors d’événements
liés à un mouvement sahraoui que les services de renseignement espanols considère
comme un écran des services de renseignement marocains. Lors de
l’un de ses derniers événements à Madrid, il a été interpellé par des
participants sahraouis, qui ont dénoncé sa complicité avec l’occupation. Mais l’ancien
président reste soumis aux postulats du pays voisin : « La capacité de
réconciliation, la capacité de se mettre à la place de l’autre, de pardonner,
de regarder vers l’avenir et d’ouvrir l’ horizon aux jeunes sont une exigences
essentielle pour l’avenir du Sahara. Le Sahara est une région pleine de
possibilités et nous devons, en tant qu’amis du Maroc, œuvrer à sa prospérité.
Le travail que le lecteur a entre les mains est une incitation à cela »,
conclut-il.
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