Battant
pavillon italien, le navire, acheté et affrété par des militants, est
parti jeudi matin pour secourir des migrants au large des côtes
libyennes.
15 heures, jeudi 4 octobre. Le Mare-Ionio vient de quitter les eaux territoriales italiennes. Dans quatre-vingts heures, il patrouillera au large des côtes libyennes pour porter secours aux migrants en perdition. Affrété par des militants de la gauche italienne, ce nouveau venu dans le sauvetage en mer lance un véritable défi à l’Europe forteresse et adresse un pied de nez au ministre de l’intérieur italien, Matteo Salvini.
Mercredi soir, alors que le soleil se couche sur le port d’Augusta,
au sud de la Sicile, une dizaine d’hommes s’affairent sur le bateau.
Pendant que deux mécaniciens soudent des parois, des volontaires de
l’ONG Sea Watch terminent d’installer des caillebotis en caoutchouc noir
qui permettront d’accueillir des migrants à l’avant du navire.
L’atmosphère est tendue. Erasmo Palazzotto fait du surplace, téléphone collé à l’oreille. « Il y a trois mois, je ne connaissais rien aux bateaux. Aujourd’hui, j’en possède un »,
rigole-t-il. Avec deux collègues du parti Sinistra Italiana (Gauche
italienne), Nichi Vendola et Nicola Fratoianni, et Rossella Muroni,
présidente du parti Liberi e Uguali (Libres et égaux), ils ont acheté le
Mare-Ionio. Un prêt de 465 000 euros de la Banca Etica
(Institut de la finance éthique) leur a permis d’acheter 110 000 litres
de pétrole, de l’électronique, et de payer l’équipage. Leur budget s’est aussi enrichi de 70 000 euros de donations qui permettront de maintenir
le bateau à flot. Pour la suite des opérations, l’équipe compte sur un
financement participatif sur la plate-forme sociale Mediterraneo.
Afin d’éviter les déboires de l’Aquarius, le navire bat fièrement pavillon italien, un pavillon très difficile à obtenir, certes, mais qu’il sera quasiment impossible de lui retirer au vu de la nationalité de l’équipage et du propriétaire.
Ce qui n’empêche pas Erasmo Palazzotto d’être prudent. « Tout ce que nous avons fait est légal et transparent. Nous respectons le droit maritime en allant porter secours en mer », observe-t-il, avant d’ajouter : « Lorsque les réfugiés que nous aurons secourus mettront le pied sur le Mare-Ionio, ils seront en territoire italien ! »«
Population dans la rue »
Préparée dans le plus grand secret, cette opération a pris corps en juin, alors que l’Italie fermait ses ports. « Au début, nous voulions partir pendant l’été, mais cela a été plus compliqué que prévu, raconte Erasmo Palazzotto. Du coup, nous serons en mer pour marquer la date symbolique du 3 octobre 2013. » Il
y a exactement cinq ans, un gigantesque bateau de pêche coulait au
large de Lampedusa, causant la mort de près de 400 migrants, pour la
plupart érythréens. Ce naufrage, pour lequel l’Italie avait décrété un
jour de deuil national, a durablement choqué l’opinion publique de la
Péninsule.
Mercredi soir toujours, l’équipage attend anxieusement la réponse de la capitainerie, censée lui délivrer l’autorisation de prendre
le large. Dans un climat politique aussi tendu, le petit groupe
s’attend à tout. Si tout se passe comme prévu, le navire aura atteint
les côtes libyennes ce week-end, après quatre-vingts heures de mer, et
devrait être rejoint par deux voiliers privés ainsi que par l’Astral, la barque d’Open Arms. L’ONG espagnole et son fondateur, Oscar Camps, participent activement au projet.
A bord du Mare-Ionio, un médecin, quatre personnes chargées du secours en mer ainsi que quatre membres d’équipage. Viennent s’y ajouter le
militant Luca Casarini, fondateur du mouvement anti-mondialisation No
Global et responsable des manifestations anti-G8 à Gênes, ainsi que
Giuseppe Caccia, armateur du navire. Le groupe qui reste à terre est
composé, lui, d’une alliance hétéroclite de militants anarchistes et de
catholiques qui en ont en commun le refus de laisser des gens mourir en mer. Et, derrière eux, « nous
avons créé un réseau qui ne passe plus par les gouvernements. Les
villes de Palerme, Bologne, Amsterdam et Berlin ont décidé de nous soutenir. Non seulement en acceptant d’accueillir les personnes que nous sauverons mais également en nous appuyant dans notre mission », rappelle Giuseppe.
Avant de prendre la mer, l’homme a dû apprendre un nouveau métier, celui d’armateur. Mais l’ex-consultant en urbanisme – pour la ville de Bologne et la fondation Rosa-Luxembourg à Berlin – se veut confiant. De toute façon, il n’avait pas le choix puisque ces nouveaux venus du sauvetage n’ont pas réussi à trouver un armateur prêt à leur louer son bateau. « La plupart nous ont dit qu’ils craignaient des mesures de rétorsion du gouvernement ! Cela permet de se rendre compte de la gravité de la situation en Italie en ce moment », décrypte l’homme.
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Le Mare-Ionio n’hésitera pas à appeler à la mobilisation politique en cas de refus des autorités de lui ouvrir l’un des ports italiens : « Nous ne sommes pas une nouvelle ONG mais une plate-forme sociale, affirme le militant Luca Casarini. Ce bateau doit devenir un symbole, un défi aux politiques menées par l’Italie et l’Europe. S’ils ferment leurs ports, nous appellerons la population à descendre dans la rue. »
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