Des migrants en provenance du Maroc tentent, le 27 juillet, de rejoindre la côte espagnole à Tarifa. J. Nazca/Reuters
Plus
d’une semaine après la mort de Hayat, tuée par des tirs de la marine
royale alors qu’elle tentait de rejoindre les côtes espagnoles,
l’émotion reste intacte.
L’Europe
est toute proche, si proche que, de l’autre côté de la presqu’île de
Ceuta, on croirait presque pouvoir toucher de la main les côtes
espagnoles. Jamais, pourtant, Hayat n’atteindra l’autre rive : son rêve
s’est fracassé en pleine mer, au large de Fnideq.
Cette étudiante en
droit devait fêter, bientôt, ses 20 ans. Sa jeune vie a été brutalement
fauchée, le 25 septembre, par les tirs de la marine royale visant
l’embarcation qui la transportait, avec d’autres candidats à
l’immigration, vers une autre vie, loin de son existence de misère.
Touchée au thorax et à l’abdomen, elle a vite succombé à ses blessures,
après son transfert à l’hôpital de M’diq, près de Tétouan. Sur les vingt
autres passagers, trois jeunes gens de 20 à 30 ans ont été blessés ;
l’un d’entre eux se trouve toujours dans un état critique.
Plus d’une
semaine après la tragédie, la colère et l’émotion restent intactes,
partout au Maroc. Vendredi soir, à la sortie d’un match de football où,
fait inédit, l’hymne national a été conspué, les supporters du Moghreb
Athlétic Tétouan, vêtus de noir en signe de deuil, ont défilé dans les
rues de la ville en scandant des slogans hostiles au makhzen, l’appareil
royal, et en promettant de « venger » Hayat. Sur les médias sociaux,
les portraits de la « martyre » s’affichent encore, avec ses derniers
écrits, ceux du départ, a posteriori poignants : « L’encre de l’espoir a
séché. Que le destin écrive ce qu’il veut. » « Tu me vois souffrir,
mais tu ne me verras pas tomber, je suis toujours debout. »
Comme après la mort de Mouhcine Fikri, qui a embrasé le
Rif, le Palais a aussitôt déclenché la mécanique du fusible et du
mensonge. Les officiels se relaient pour justifier les tirs de la marine
royale par la nature de l’embarcation visée, un « go fast ». « Ces
puissants bateaux à moteur étaient jusque-là utilisés pour le trafic de
drogue en Méditerranée », insiste-t-on au ministère de l’Intérieur.
Interpellé, le pilote, de nationalité espagnole est sous le coup d’une
enquête. Pour l’ONG Human Rights Watch (HRW), pourtant, « rien ne prouve
que les passagers du bateau représentaient une menace, ce qui aurait
été la seule justification légale pour que le Maroc leur tire dessus ».
Faisant écho aux craintes de voir l’affaire enterrée, Amnesty
International exhorte de son côté Rabat à mener « une enquête
indépendante sur la mort de Hayat ».
Fadila Akkioui, « étranglée avec un drapeau » par un agent des forces auxiliaires
Au lendemain de l’assassinat de Hayat, une autre femme est
morte. Fadila Akkioui participait, à Ifrane, dans le Moyen Atlas, à une
manifestation de soulaliyates, ces femmes qui revendiquent, dans les
zones rurales, la plénitude des droits sur le patrimoine foncier
collectif. Réprimé, le rassemblement a tourné à la bousculade. La
version officielle conclut, en s’appuyant sur un rapport d’autopsie, à
« une mort naturelle suite à une crise cardiaque ». Des témoins
affirment au contraire que Fadila a été « étranglée avec un drapeau »
par un agent des forces auxiliaires. Quoi qu’il en soit, les fins
tragiques de ces deux femmes illustrent aux yeux de nombreux Marocains
la « hogra », le mépris que le pouvoir royal voue au peuple. « Des
citoyens marocains civils sont tués de sang-froid parce qu’ils veulent
juste quitter ce pays de disparités sociales, de pauvreté et de
répression », s’indigne l’Association marocaine des droits de l’homme
(AMDH). Pour l’écrivain Mohammed Ennaji, la rafale qui a emporté Hayat
visait toute une jeunesse : «La balle mortelle est porteuse d’un
message, elle tue plus qu’une jeune fille, elle tue l’espoir d’une
génération. »
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