Un collectif d’universitaires alerte l’opinion sur la situation de l’historien marocain, menacé de radiation.
Tribune. Le
22 avril, l’historien marocain Maati Monjib est entré dans une grève
préventive de la faim pour quarante-huit heures. Enseignant-chercheur à
l’Institut des études africaines (IEA) de l’Université Mohammed-V de
Rabat, il est menacé d’être radié de l’université et de la fonction
publique, après avoir accepté de participer, en qualité de rapporteur, à
la soutenance d’habilitation à diriger les recherches (HDR) de Mounia
Bennani-Chraïbi, le 13 février, à l’Ecole normale supérieure (ENS), à
Paris. Quatre ans plus tôt, Maâti Monjib avait mené une grève de la faim
illimitée qui avait duré vingt-quatre jours, pour défendre son droit à
la libre circulation. En lien avec la formation de jeunes journalistes à
des outils de la presse citoyenne, il a été poursuivi avec six autres
personnes, d’abord pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat ».
Le procès court toujours et Maâti Monjib fait l’objet de campagnes incessantes de diffamation et de harcèlement moral.
A
l’origine des pressions que Maâti Monjib subit actuellement, rien de
bien révolutionnaire : il a tenu à remplir ses engagements auprès de ses
collègues en prenant part à un événement hautement académique. Invité
dès le mois de juin 2018 à faire partie du jury de HDR de Mounia
Bennani-Chraïbi, il a rapidement avisé les autorités de tutelle et
produit tous les documents exigés, y compris la convocation officielle
de l’ENS, sans pour autant obtenir un accord administratif formel, que
peu d’universitaires sollicitent. Maati Monjib décide quand même de
participer à la soutenance : sa présence est essentielle au bon
déroulement de ce processus d’habilitation long et complexe.
Accusations fallacieuses
Peu après son retour à Rabat, il reçoit plusieurs « demandes d’explication »
de la part des autorités universitaires pour non-présence sur son lieu
de travail. Il y répond et dépose personnellement, à chaque fois, ses
réponses à l’administration de l’institut, preuve supplémentaire de sa
présence. Or son ministère de tutelle a engagé contre lui une procédure
en abandon de poste (depuis le 11 février 2019), notifiée le 18 avril.
Sommé de signer un formulaire de « reprise du travail » dans un
délai de sept jours, Maâti Monjib a le choix entre reconnaître des
accusations fallacieuses ou être radié. Il a déposé un dossier officiel
attestant qu’il n’a nullement abandonné son poste et 19 de ses collègues
de l’institut ont témoigné par écrit qu’il « se présente régulièrement au poste de son travail »
à l’institut et s’acquitte normalement de ses tâches. Le procès-verbal
signé par l’ensemble des membres du jury de HDR atteste également de sa
participation active à une activité scientifique, qui relève du cahier
des charges de tout professeur universitaire.
L’Institut
des études africaines se flatte sur sa page web de favoriser la
coopération universitaire internationale et la mobilité des enseignants.
N’est-ce pas contradictoire de soumettre Maâti Monjib à des épreuves
kafkaïennes, alors même qu’il ne faisait que représenter son université
dans une institution pour le moins prestigieuse ? En notre qualité de
professeurs universitaires et de chercheurs, nous exprimons toute notre
inquiétude face à cette entrave à la liberté académique.
Des poursuites depuis 2014
Historien
et militant des droits de l’homme, Maati Monjib dénonce depuis
plusieurs années le harcèlement dont il fait l’objet. Président de
l’association Freedom Now pour la liberté de la presse, l’universitaire
marocain est poursuivi, de même que six autres journalistes et militants des droits humains, depuis 2014 pour « atteinte à la sécurité de l’Etat ». Il
voit depuis son procès régulièrement reporté (pour la quatorzième fois
en mars 2019). La Fédération internationale des ligues des droits de
l’homme (FIDH) a dénoncé un « harcèlement judiciaire en raison de leurs activités en faveur de la liberté d’expression ». Ce procès est « inquiétant pour la liberté d’expression au Maroc », a souligné de son côté Amnesty International, en demandant l’abandon des charges. Maati
Monjib a déjà mené deux grèves de la faim en 2015 (une de trois jours
et une autre de vingt-quatre jours) pour dénoncer des entraves à sa
liberté de voyager.
Charlotte Bozonnet
Charlotte Bozonnet
LES PREMIERS SIGNATAIRES PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE Afsahi Kenza, France, Université de Bordeaux ; Aghbal Ahmed, Maroc, Université Moulay-Ismail ; Akesbi Najib, Maroc, Institut agronomique et vétérinaire Hassan-II ; Akesbi Azeddine, Maroc, Centre d’orientation et de planification de l’éducation ; Aksikas Jaafar, Etats-Unis, Columbia College Chicago ; Alami Mchichi Houria, Maroc, Université Hassan-II ; Allal Amin, Tunisie, CNRS ; Augier Jean-Paul, France, historien ; Baczko Adam, France, Université Paris I ; Baranzini Roberto, Suisse, Université de Lausanne ; Ben Barka Bachir, France, IUT de Belfort-Montbéliard ; Bennani-Chraïbi Mounia, Suisse, Université de Lausanne ; Bocco Riccardo, Suisse, The Graduate Institute ; Bouabid Ali, Maroc, politologue ; Bouagga Yasmine, France, Ecole normale supérieure de Lyon ; Burgat François, France, CNRS ; Camau Michel, France, Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence ; Casimiro Isabel Maria, Mozambique, Eduardo-Mondlane University ; Catusse Myriam, France, CNRS ; Chahir Aziz, Maroc, politologue ; Chalcraft John, Royaume-Uni, London School of Economics and Political Science (LSE).
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/05/16/maati-monjib-subit-des-epreuves...
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