Aujourd’hui, tout
journaliste au Maroc qui a le courage de critiquer l’occupation illégale
du Sahara occidental, dernière colonie d’Afrique, risque maintenant une
peine de prison et une lourde amende.
Les peines sévères prévues par le nouveau décret d’urgence visent spécifiquement à faire taire les détracteurs du gouvernement.
Les journalistes qui critiquent soit le
roi, soit l’occupation du Sahara occidental, sont maintenant passibles
de deux à cinq ans de prison et d’une amende de 2 à 10 000 dollars des
États-Unis – une sanction qui constitue une violation totale du droit
international.
Même les journalistes qui opéraient dans
l’apartheid en Afrique du Sud n’étaient confrontés à de telles mesures
draconiennes pour les faire taire, ce qui est révélateur du désespoir du
gouvernement marocain de contrôler le récit entourant la répression
dans son territoire occupé illégalement.
La suppression de la liberté
d’expression au Maroc a fait la une de la presse internationale cette
semaine alors que le procès tant attendu de la jeune journaliste Nazha
El Khalidi devait commencer lundi.
Le procès a été reporté au 24 juin, mais
l’affaire Khalidi a remis au premier plan les violations des droits de
l’homme commises par le Maroc, jetant une ombre noire sur le prétexte du
pays d’être un pays africain tolérant et moderne.
Ce qui émerge est un gouvernement qui ne
peut tolérer aucune forme de dissidence et d’expression pacifique
d’opinion, en particulier en ce qui concerne la situation au Sahara
occidental.
En décembre dernier, Khalidi a été
arrêtée au Sahara occidental occupé pour avoir enregistré au téléphone
une manifestation pacifique de femmes et l’a retransmise en direct sur
Facebook.
La manifestation a eu lieu à la même
occasion que les pourparlers entre le Front Polisario et le Maroc
avaient commencé à Genève.
Les Sahraouis étaient descendus dans les
rues pour exprimer pacifiquement leur soutien à une solution au
conflit. Quelques minutes à peine après que Khalidi ait diffusé en
direct ses images de la manifestation, la police l’a saisie et battue,
et elle a été emmenée à un poste de police où elle affirme avoir été
interrogée pendant des heures.
Son appareil photo et sa carte mémoire ont été définitivement confisqués.
Selon Human Rights Watch, le Maroc tente
régulièrement de criminaliser et de faire taire les journalistes
citoyens, qui sont régulièrement victimes d’arrestations arbitraires, de
mauvais traitements, de torture et de prison pour leur travail.
Khalidi est journaliste pour une chaîne
de télévision du Sahara occidental en exil, RASD-TV, et fait partie du
groupe vidéo Equipe Media.
Khalidi a été inculpée en vertu d’un
article du code pénal marocain qui interdit de «revendiquer ou
d’utiliser un titre associé à une profession réglementée par la loi…
sans remplir les conditions nécessaires pour l’utiliser».
Les personnes reconnues coupables sont passibles d’une peine de prison allant de trois mois à deux ans.
Cette section du code pénal vise à
garantir que les personnes non qualifiées ne prétendent pas être des
professionnels – tels que les médecins, par exemple – lorsqu’elles ne
possèdent pas les qualifications requises. Mais le gouvernement utilise
cette loi pour faire taire les critiques de sa politique ou de son
occupation du Sahara Occidental.
En utilisant cette section du code pénal
contre les journalistes, le Maroc ne respecte pas les obligations qui
lui incombent en vertu des conventions internationales des droits de
l’homme – en vertu duquel il est tenu de respecter le droit de
rechercher, de recevoir et de communiquer des informations et des idées.
L’article 19 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Maroc, garantit
le droit à la liberté d’expression.
Le Comité des droits de l’homme, qui
interprète le traité, a clairement indiqué que «les systèmes généraux
d’enregistrement et de licence des journalistes par l’État» sont
incompatibles avec la liberté d’expression.
Les accusations portées contre Khalidi
étaient la première fois que les autorités marocaines utilisaient ce
type de poursuites contre un activiste médiatique sahraoui, ce qui crée
un dangereux précédent et signale une répression totale de la liberté
d’expression.
Le directeur adjoint de Human Rights
Watch pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Eric Goldstein, a
critiqué la violation par le Maroc du droit de communiquer librement des
informations et des commentaires en déclarant: «Les personnes qui
parlent pacifiquement ne devraient jamais avoir à craindre la prison
pour avoir« prétendu être journalistes ».
Depuis que Khalidi a été inculpée en
décembre dernier, d’autres journalistes ayant publié des reportages
vidéo sur des manifestations ont également été poursuivis.
Le mois dernier, la cour d’appel de
Casablanca a confirmé la condamnation d’au moins deux journalistes pour
«usurpation du titre de journaliste», après avoir couvert des
manifestations.
Le directeur du site d’information Rif
24 a été condamné à cinq ans de prison et le directeur d’Awar TV à trois
ans. Trois membres d’Equipe Media sont également emprisonnés dans des
prisons marocaines et purgent des peines de six, vingt et vingt-cinq
ans.
De jeunes journalistes comme Khalidi
s’emploient actuellement à documenter les violations des droits de
l’homme en filmant depuis les toits afin d’éviter d’être arrêtés par les
autorités.
Malgré le fait que tous ses frères ont
été torturés par l’État et qu’elle risque d’être condamnée à deux ans de
prison à l’âge de 26 ans, Khalidi et d’autres jeunes femmes courageuses
du Sahara Occidental occupé refusent de se faire taire.
* Shannon Ebrahim est rédactrice étrangère du groupe
Source: IOL News, 24 mai 2019
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