Le royaume avait porté plainte en diffamation contre
les auteurs de « L'homme qui voulait parler au roi », qui dénonce la
pratique de la torture dans les geôles marocaines.
Par Nicolas Bastuck
20/05/2019 à 18:28 | Le Point.fr
Un État
n'est pas un « particulier ». Il ne peut donc engager une procédure
en diffamation « envers les particuliers », comme le prévoit la loi
sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Suivant ce
raisonnement d'une simplicité biblique, la Cour
de cassation vient de repousser tous les recours (trois pourvois et
trois questions prioritaires de constitutionnalité) que le royaume du Maroc
avait déposés pour faire prospérer la plainte contre Zakaria et Taline Moumni,
auteurs de L'homme qui voulait parler au roi, et contre l'éditeur du
livre, Calmann-Levy.
Largement
autobiographique, ce récit à quatre mains, publié en 2015, relate l'ascension
d'un gamin des faubourgs de Rabat devenu champion du monde de kick-boxing.
C'est aussi un pamphlet contre le régime marocain sous le règne de Mohammed
VI, ses prisons lugubres, les méthodes expéditives de la police
politique du souverain chérifien…
Dans « les abattoirs de Sa Majesté »
En 2010,
Zakaria est enlevé puis torturé durant quatre jours à Témara, ce centre de
détention de sinistre réputation, qualifié par ses gardes d'« abattoirs de
Sa Majesté ». À l'issue d'un procès expéditif et parodique, il est
condamné à 36 mois de prison ferme et découvre les conditions de vie
inhumaines des geôles marocaines. Son crime ? S'être montré trop insistant
auprès des services du palais pour bénéficier du poste de conseiller sportif
que son titre de champion était censé lui assurer. « Offense » et
« atteinte à la sacralité du roi », juge le tribunal devant lequel
Zakaria comparaît.
Durant la
détention de son mari, Taline Moumni remue ciel et terre pour obtenir sa
libération, interpellant les médias, faisant le siège de nombreux élus,
saisissant plusieurs associations et ONG telles qu'Amnesty International.
Cédant à la pression, le roi finit par gracier Zakaria. Mais celui-ci ne s'en laisse pas compter. À peine libéré, il porte plainte pour « torture » contre le directeur de la DGST marocaine, en 2014, puis multiplie les interventions pour raconter comment le régime a tenté d'acheter son silence. Avec sa femme, il écrit un an plus tard un livre qui lui vaut plusieurs plaintes en diffamation lancées par le royaume, via son ambassadeur en France.
Cédant à la pression, le roi finit par gracier Zakaria. Mais celui-ci ne s'en laisse pas compter. À peine libéré, il porte plainte pour « torture » contre le directeur de la DGST marocaine, en 2014, puis multiplie les interventions pour raconter comment le régime a tenté d'acheter son silence. Avec sa femme, il écrit un an plus tard un livre qui lui vaut plusieurs plaintes en diffamation lancées par le royaume, via son ambassadeur en France.
QPC « dépourvue de caractère sérieux »
Par ordonnance
du 11 janvier 2017, le magistrat instructeur saisi de deux premières
plaintes avec constitution de partie civile (l'une contre les auteurs, l'autre
contre leur éditeur) les déclare irrecevables : « Le royaume du Maroc
est une personne morale de droit public exerçant une puissance
souveraine : autant de spécificités (…) qui ne lui permettent pas,
contrairement aux groupements de droit privé titulaires de la personnalité
morale, d'être assimilé à un particulier au sens de l'article 32 de
la loi du 29 juillet 1881 », juge-t-il.
L'État
marocain fait appel et la chambre de l'instruction reprend le même
raisonnement : « La plainte du royaume du Maroc vise “la diffamation
commise envers les particuliers” ; il ne peut qu'être constaté que le terme de
“particuliers” est totalement antinomique avec la notion de puissance publique
que recouvre celle d'État », confirme la cour.
Le royaume
n'abandonne pas la partie ; invoquant la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme,
il forme trois pourvois en cassation et dépose trois questions prioritaires de
constitutionnalité (QPC), invoquant notamment « une différence de
traitement entre l'État français et les États étrangers », dans l'exercice
du droit à un recours juridictionnel. Réunie en assemblée plénière, la haute
juridiction rejette les trois pourvois et s'abstient de transmettre la QPC au
Conseil constitutionnel, l'estimant « dépourvue de caractère
sérieux ». « La loi sur la liberté de la presse ne permet pas à un
État, qui ne peut être assimilé à un particulier, d'engager une poursuite en
diffamation sur le fondement de cette loi », tranche-t-elle sèchement
dans son arrêt du 10 mai.
https://www.lepoint.fr/justice/les-auteurs-du-pamphlet-contre-le-roi-du-maroc-ne...
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