samedi 25 mai 2019

Les auteurs du pamphlet contre le roi du Maroc ne seront pas condamnés



Le royaume avait porté plainte en diffamation contre les auteurs de « L'homme qui voulait parler au roi », qui dénonce la pratique de la torture dans les geôles marocaines.
20/05/2019 à 18:28 | Le Point.fr
Un État n'est pas un « particulier ». Il ne peut donc engager une procédure en diffamation « envers les particuliers », comme le prévoit la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Suivant ce raisonnement d'une simplicité biblique, la Cour de cassation vient de repousser tous les recours (trois pourvois et trois questions prioritaires de constitutionnalité) que le royaume du Maroc avait déposés pour faire prospérer la plainte contre Zakaria et Taline Moumni, auteurs de L'homme qui voulait parler au roi, et contre l'éditeur du livre, Calmann-Levy.
Largement autobiographique, ce récit à quatre mains, publié en 2015, relate l'ascension d'un gamin des faubourgs de Rabat devenu champion du monde de kick-boxing. C'est aussi un pamphlet contre le régime marocain sous le règne de Mohammed VI, ses prisons lugubres, les méthodes expéditives de la police politique du souverain chérifien…
Dans « les abattoirs de Sa Majesté »
En 2010, Zakaria est enlevé puis torturé durant quatre jours à Témara, ce centre de détention de sinistre réputation, qualifié par ses gardes d'« abattoirs de Sa Majesté ». À l'issue d'un procès expéditif et parodique, il est condamné à 36 mois de prison ferme et découvre les conditions de vie inhumaines des geôles marocaines. Son crime ? S'être montré trop insistant auprès des services du palais pour bénéficier du poste de conseiller sportif que son titre de champion était censé lui assurer. « Offense » et « atteinte à la sacralité du roi », juge le tribunal devant lequel Zakaria comparaît.
Durant la détention de son mari, Taline Moumni remue ciel et terre pour obtenir sa libération, interpellant les médias, faisant le siège de nombreux élus, saisissant plusieurs associations et ONG telles qu'Amnesty International

Cédant à la pression, le roi finit par gracier Zakaria. Mais celui-ci ne s'en laisse pas compter. À peine libéré, il porte plainte pour « torture » contre le directeur de la DGST marocaine, en 2014, puis multiplie les interventions pour raconter comment le régime a tenté d'acheter son silence. Avec sa femme, il écrit un an plus tard un livre qui lui vaut plusieurs plaintes en diffamation lancées par le royaume, via son ambassadeur en France.
QPC « dépourvue de caractère sérieux »
Par ordonnance du 11 janvier 2017, le magistrat instructeur saisi de deux premières plaintes avec constitution de partie civile (l'une contre les auteurs, l'autre contre leur éditeur) les déclare irrecevables : « Le royaume du Maroc est une personne morale de droit public exerçant une puissance souveraine : autant de spécificités (…) qui ne lui permettent pas, contrairement aux groupements de droit privé titulaires de la personnalité morale, d'être assimilé à un particulier au sens de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 », juge-t-il.
L'État marocain fait appel et la chambre de l'instruction reprend le même raisonnement : « La plainte du royaume du Maroc vise “la diffamation commise envers les particuliers” ; il ne peut qu'être constaté que le terme de “particuliers” est totalement antinomique avec la notion de puissance publique que recouvre celle d'État », confirme la cour.
Le royaume n'abandonne pas la partie ; invoquant la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, il forme trois pourvois en cassation et dépose trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), invoquant notamment « une différence de traitement entre l'État français et les États étrangers », dans l'exercice du droit à un recours juridictionnel. Réunie en assemblée plénière, la haute juridiction rejette les trois pourvois et s'abstient de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel, l'estimant « dépourvue de caractère sérieux ». « La loi sur la liberté de la presse ne permet pas à un État, qui ne peut être assimilé à un particulier, d'engager une poursuite en diffamation sur le fondement de cette loi », tranche-t-elle sèchement dans son arrêt du 10 mai.
https://www.lepoint.fr/justice/les-auteurs-du-pamphlet-contre-le-roi-du-maroc-ne...

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