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vendredi 13 septembre 2019

Sahara occidental : voir Laâyoune et repartir (de force)






Depuis 1975, le Maroc occupe le Sahara occidental au mépris du droit international. Pour avoir tenté d’y rencontrer des indépendantistes, Nicolas Marvey en a été expulsé illico. De la Courneuve à Laâyoune, récit d’une incursion écourtée.
La première fois que je rencontre des Sahraouis, c’est en septembre dernier, dans les allées du « village du monde », à la fête de l’Humanité. Le Sahara occidental, je suis au courant : c’est la zone située au sud du Maroc, territoire « non autonome », enjeu d’un conflit entre le Maroc et le Front Polisario qui perdure depuis plus de quarante ans (lire l’encart historique ci-dessous). Et pourtant, après avoir discuté avec Mbareck, membre de la communauté sahraouie installée à Paris, et Michèle, fervente militante de la cause de ce peuple [1], je repars ébranlé par tout ce que je viens d’apprendre.
Un mois plus tard, je suis le conseil de Mbareck et prends un billet d’avion pour Laâyoune, la capitale du Sahara occidental, afin de voir de mes propres yeux…
Béton, palmiers, coupoles et roseaux…
Laâyoune se situe à 500 km au sud d’Agadir et à une vingtaine de la côte atlantique. Cette ville de près de 300 000 habitants [2] s’étend sur la berge sud de l’oued Saguia El Hamra. Tout autour, le désert, plus rocailleux que sableux.
On est samedi soir, il est 23 h, les terrasses des cafés sont bondées, on fait la queue au drive du McDonald’s de la place Dchira ; dans les ruelles adjacentes, on se bouscule dans la fumée des sardines grillées. Stationné à un angle, un fourgon bleu des Forces auxiliaires, dont les vitres sont protégées par des grilles, laisse à penser que le climat n’est pas si serein qu’il y paraît.
Le lendemain, je parcours de larges boulevards, remarque les nombreuses banques, les parcs et les immenses esplanades en travaux avec leurs palmiers fraîchement plantés. J’aperçois le chantier entouré de palissades d’une polyclinique internationale, le stade de 30 000 places et sa pelouse gazonnée, l’immense bibliothèque (la troisième plus grande d’Afrique)… Pas de doute, le pouvoir chérifien investit massivement à Laâyoune.
Plus au nord, vers l’oued, je déambule dans des quartiers populaires. Les édifices datant de la colonisation espagnole sont bas, dans les tons ocre et saumon, surmontés d’une coupole afin de maintenir une certaine fraîcheur. Beaucoup ont été rasés. Partout on surélève et les fers à béton hérissent les constructions inachevées. Au bout d’une rue, une dune de sable barre l’horizon : la berge opposée de l’oued Saguia El Hamra que l’on aperçoit au loin. En bas d’un talus aux allures de dépotoir s’ouvre un autre monde. À cet endroit l’oued forme une retenue ; l’eau est d’un bleu intense, la terre brun-rouge et une brise agite les plumeaux blancs des roseaux. Des flamants roses et des aigrettes plongent le bec dans la vase tandis que des ibis noirs remontent le cours en rasant l’eau.
« Pas d’alternative à l’auto-détermination ! »
« Nicolas, me dit Michèle au téléphone, Saïd [3] aimerait te rencontrer, c’est un militant.
– Il n’est pas surveillé ?, je demande.
– Ne t’inquiète pas, il a l’habitude ! »
J’appelle Saïd par WhatsApp, il me fixe rendez-vous en fin d’après-midi. À l’heure dite, j’attends en bord de rue, songeant que ce lieu de rencontre n’est pas bien discret. Saïd me rappelle et me dit de marcher en direction de la mosquée. Cent mètres plus loin une Mercedes me dépasse lentement, on me crie par la fenêtre ouverte de tourner à droite, la Mercedes s’engage dans la ruelle à droite, je la suis : « Monte vite ! », je monte vite. Le chauffeur, casquette rabattue sur les lunettes de soleil, démarre en trombe, tourne à gauche puis encore à gauche, s’arrête au milieu de la rue, vérifie dans le rétro si nous ne sommes pas suivis puis, tranquillisé, me salue avec un grand sourire.
Saïd a intensément participé au campement de protestation de Gdeim Izik, moment sans précédent de résistance non violente, qui a rassemblé quelque 20 000 Sahraouis dans le désert en 2010 [4].
Nous pénétrons dans le quartier Maâtallah, le cœur de la résistance sahraouie à Laâyoune. Lors de l’intifada de 2005 qui a embrasé tout le Sahara occidental, c’est ici que les affrontements entre Sahraouis et Forces auxiliaires ont été les plus violents. Ainsi que la répression. À Maatallah, les façades décrépites sont décorées de carrés de peinture rouge ou noire, destinés à effacer les graffitis indépendantistes et drapeaux sahraouis qui fleurissent à la moindre occasion. Des rues sont percées de tranchées, des tas de sable occupent une partie de la chaussée dans une atmosphère générale d’abandon qui contraste avec le luxe ostensible des villas à quelques rues de là. Une femme sur le trottoir tient son fils par la main. Saïd passe la tête par la fenêtre et crie « Labadil labadil ! ». Illico le marmot répète le mot et forme un V avec ses petits doigts tandis que la mère nous gratifie d’un grand sourire. Saïd éclate de rire. « Labadil labadil, an takrir el massir ! » : « Il n’y a pas d’alternative à l’auto-détermination ! »
Nous traversons un large boulevard. « Arrête de filmer et baisse la tête ! », m’ordonne Saïd. Nous passons devant une demi-douzaine de véhicules de la Sûreté nationale stationnés là pour disperser les manifestations qui ont fréquemment lieu dans le secteur. Plus au nord, Saïd me montre l’endroit où il a été torturé et abandonné, au bord de l’oued, après avoir été enlevé par des policiers en civil suite à une manifestation. Nous passons ensuite devant la Carcel Negra, la « prison noire » où 700 personnes sont entassées derrière les hauts murs blancs dans des conditions effroyables, puis devant le quartier général de la Minurso, la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental, incapable d’accomplir son mandat depuis 1991 du fait de l’opposition acharnée du Maroc. Et l’université, elle est où ? « Il n’y en a pas », me répond Saïd : pour étudier, les jeunes Sahraouis doivent aller au Maroc, ou à l’étranger. Pour finir, il me dépose à proximité de la place Dchira. À l’angle du McDo’, le fourgon bleu est toujours là.
https://cqfd-journal.org/Sahara-occidental-voir-Laayoune-et

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