ENTRETIEN. Hélène Legeay, Responsable Maghreb-Moyen Orient à l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT).
La France semble ne pas respecter la réglementation des armes dans son commerce avec l’Arabie saoudite, selon l’Acat.
La France semble ne pas respecter la réglementation des armes dans son commerce avec l’Arabie saoudite, selon l’Acat.
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Hélène Legeay, Responsable Maghreb-Moyen Orient à l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) / Acat France
La Croix : Y a-t-il des armes françaises parmi celles utilisées par l’Arabie saoudite et ses alliés dans la guerre au Yémen ?
Hélène Legeay : La réponse est oui. Il y a notamment des canons Caesar, des chars Leclerc, des avions Mirages. Il y en a probablement d’autres. Certaines de ces armes ont été livrées avant le début du conflit et on peut difficilement contester leur légalité. Ce qui pose un sérieux problème, ce sont les armes dont l’exportation a été autorisée et qui ont été livrées depuis le début de l’intervention de la coalition au Yémen, malgré le risque qu’elles puissent être utilisées pour commettre des attaques contre des civils.
Nous savons par exemple que depuis 2015, la France a livré à l’Arabie saoudite des véhicules multi-missions Avaris, des fusils de précision, des systèmes d’artilleries de gros calibre, des véhicules blindés de combats, des patrouilleurs, des intercepteurs. Les autorités françaises continuent en outre à délivrer chaque année pour des milliards d’euros de licences d’exportation, laissant entendre que le commerce se poursuit.
J’ajoute que la France ne s’est pas contentée de continuer à vendre des armes à l’Arabie saoudite et ses alliés : elle a aussi poursuivi son assistance technique pour maintenir ses armes en conditions opérationnelles.
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A-t-il été trouvé des traces d’armes françaises dans des crimes de guerre au Yémen ?H. L. : Nous n’avons pas de preuves matérielles que des armes françaises ont été utilisées pour commettre des crimes de guerre. Tout au moins, pas encore, à ce jour. Quoi qu’il en soit, cela n’a pas de conséquence sur la légalité ou l’illégalité des exportations d’armes par la France à l’Arabie saoudite et ses alliés. Le Traité sur le commerce des armes et la Position commune de l’Union européenne qui encadrent les exportations d’armes par la France, sont clairs sur le sujet : peu importe que les armes soient utilisées pour commettre un crime de guerre ou une violation grave du droit international humanitaire, la réglementation internationale interdit cette exportation s’il existe seulement un risque qu’elles soient utilisées en ce sens.
J’insiste, car c’est le nœud du problème. Il ne s’agit pas de savoir si ce risque s’est réalisé ou non. La France n’a juste pas le droit de vendre des armes si le risque est avéré.
L’est-il dans le cas du Yémen ?
H. L. : C’est ce que révèle le rapport que nous avons commandé au cabinet Ancile Avocats. Cette étude établit qu’il y a un risque juridiquement élevé que les transferts d’armes de la France soient illicites au regard de ses engagements internationaux.
Par exemple, malgré l’utilisation possible de char Leclerc par l’armée émiratie pour commettre des violations graves du droit international humanitaire, la France a continué à assurer la maintenance de ce matériel et à livrer, vraisemblablement, des munitions.
De même Dassault assure la maintenance des Mirage 2000-9 alors qu’ils sont engagés dans des missions d’attaques au Yémen. Alors que le blocus maritime assuré par la coalition est condamné par les ONG, par les Nations unies pour ses conséquences humanitaires catastrophiques, les entreprises françaises continuent à fournir du matériel et une assistance technique, tant à la marine saoudienne qu’aux garde-côtes saoudiens, alors que ces transferts sont susceptibles de contribuer au blocus.
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Quelles sont les entreprises françaises concernées par ces ventes d’armes ?
H. L. : Elles sont nombreuses : MBDA, Nexter, Thales, Sofram. Ainsi, depuis 2015, Nexter a livré à l’Arabie saoudite 115 véhicules de combat Aravis et aurait aussi livré des munitions d’artillerie susceptibles d’être tirées par des canons Caesar déployés dans le cadre du conflit. TDA armement, une filiale de Thales, aurait vendu une grande quantité d’obus de mortier. Le groupe Renault Trucks Defense a livré des blindés légers Renault Sherpa et Vab Mark 3 à l’Arabie saoudite. Caesar international a conclu un contrat de 59 millions d’euros avec la garde nationale saoudienne pour la fourniture de missiles sol-air Mistral. En 2016, le chantier naval de Cherbourg CMN (Construction mécaniques de Normandie) aurait négocié la fourniture de 39 patrouilleurs militaires de 35 mètres équipés du système de combat Tacticos fourni par Thales Nederland.
H. L. : Non. Notre objectif, c’est d’interpeller d’abord les autorités françaises. Si ces entreprises ont signé des contrats avec ces pays, c’est qu’elles en ont reçu l’autorisation de la part du premier ministre sur avis de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG). Donc nous voulons attirer l’attention des autorités françaises sur le caractère illégal des autorisations qu’elle délivre.
L’idée est d’attirer aussi l’attention des entreprises pour qu’elles prennent conscience qu’il y a un risque que les contrats qu’elles signent soient illégaux. Nous interpellerons certainement directement ces entreprises dès lors que nous disposerons d’une preuve matérielle que les armes qu’elles ont vendues depuis le début du conflit ont contribué à commettre un crime de guerre au Yémen. Si cela était le cas, leur responsabilité pénale pourrait être engagée.
Est-ce que vous interrogez la moralité et l’éthique de ce commerce ?
H. L. : Nous n’allons pas sur ce terrain-là car il existe un cadre juridique pour ce commerce. Nous interrogeons la légalité de ces exportations : une légalité qui elle-même repose sur une moralité. Cela a l’avantage de rester dans l’objectivité. Le droit est là, il faut le respecter.
Que risque la France ?
H. L. : Un recours en annulation des licences d’exportation devant le juge administratif pourrait être engagé. En outre, si à l’avenir, nous obtenions la preuve qu’une arme française livrée depuis le début du conflit a été utilisée pour commettre un crime de guerre, nous pourrions envisager un autre recours administratif mettant cette fois en cause la responsabilité de la France pour avoir vendu des armes alors qu’elle savait ou aurait dû savoir qu’elles pourraient être utilisées contre des civils. Nous n’avons pas encore décidé de la suite juridique que nous allons donner à cette étude, mais les pistes de contentieux sont sérieuses.
H. L. : Elles sont nombreuses : MBDA, Nexter, Thales, Sofram. Ainsi, depuis 2015, Nexter a livré à l’Arabie saoudite 115 véhicules de combat Aravis et aurait aussi livré des munitions d’artillerie susceptibles d’être tirées par des canons Caesar déployés dans le cadre du conflit. TDA armement, une filiale de Thales, aurait vendu une grande quantité d’obus de mortier. Le groupe Renault Trucks Defense a livré des blindés légers Renault Sherpa et Vab Mark 3 à l’Arabie saoudite. Caesar international a conclu un contrat de 59 millions d’euros avec la garde nationale saoudienne pour la fourniture de missiles sol-air Mistral. En 2016, le chantier naval de Cherbourg CMN (Construction mécaniques de Normandie) aurait négocié la fourniture de 39 patrouilleurs militaires de 35 mètres équipés du système de combat Tacticos fourni par Thales Nederland.
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En avez-vous parlé avec ces entreprises ?H. L. : Non. Notre objectif, c’est d’interpeller d’abord les autorités françaises. Si ces entreprises ont signé des contrats avec ces pays, c’est qu’elles en ont reçu l’autorisation de la part du premier ministre sur avis de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG). Donc nous voulons attirer l’attention des autorités françaises sur le caractère illégal des autorisations qu’elle délivre.
L’idée est d’attirer aussi l’attention des entreprises pour qu’elles prennent conscience qu’il y a un risque que les contrats qu’elles signent soient illégaux. Nous interpellerons certainement directement ces entreprises dès lors que nous disposerons d’une preuve matérielle que les armes qu’elles ont vendues depuis le début du conflit ont contribué à commettre un crime de guerre au Yémen. Si cela était le cas, leur responsabilité pénale pourrait être engagée.
Est-ce que vous interrogez la moralité et l’éthique de ce commerce ?
H. L. : Nous n’allons pas sur ce terrain-là car il existe un cadre juridique pour ce commerce. Nous interrogeons la légalité de ces exportations : une légalité qui elle-même repose sur une moralité. Cela a l’avantage de rester dans l’objectivité. Le droit est là, il faut le respecter.
Que risque la France ?
H. L. : Un recours en annulation des licences d’exportation devant le juge administratif pourrait être engagé. En outre, si à l’avenir, nous obtenions la preuve qu’une arme française livrée depuis le début du conflit a été utilisée pour commettre un crime de guerre, nous pourrions envisager un autre recours administratif mettant cette fois en cause la responsabilité de la France pour avoir vendu des armes alors qu’elle savait ou aurait dû savoir qu’elles pourraient être utilisées contre des civils. Nous n’avons pas encore décidé de la suite juridique que nous allons donner à cette étude, mais les pistes de contentieux sont sérieuses.
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