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lundi 5 mai 2025

Espagne : les ouvrières agricoles marocaines s’organisent pour défendre leurs droits

 actumaroc, 5/5/2025


C’est une première historique en Espagne : les ouvrières agricoles marocaines embauchées dans le cadre du dispositif de migration circulaire viennent de constituer leur propre structure syndicale. Une initiative rendue publique le samedi 4 mai 2025, en plein écho des revendications sociales du 1er mai, et portée par le collectif Jornaleras de Huelva en Lucha et le syndicat andalou SOA (Sindicato Obrero Andaluz). Elle marque un tournant dans l’histoire de la contractualisation entre le Maroc et l’Espagne en matière de travail saisonnier.


La création de cette section syndicale, première du genre initiée directement par des travailleuses migrantes marocaines sur le sol espagnol, s’inscrit dans un processus de lutte pour la reconnaissance et la protection de leurs droits. Ces femmes, venues majoritairement des zones rurales du Maroc, sont engagées dans les campagnes de récolte de fraises, myrtilles ou framboises à Huelva, dans le cadre de contrats de courte durée encadrés par l’Ordre Gecco – un dispositif binational reposant sur un retour obligatoire au pays après chaque saison.

Leur profil est bien connu : peu ou pas instruites, sans maîtrise de l’espagnol, attachées à leur famille restée au Maroc. Autant de facteurs qui, pendant des années, ont contribué à les maintenir dans une forme d’invisibilité sociale et juridique, accentuée par des conditions de vie précaires et un accès quasi inexistant aux recours en cas d’abus.


Mais la donne semble changer. Cette structuration syndicale a été accompagnée de l’annonce d’une première procédure de réclamation pour licenciement abusif, lancée depuis le Maroc par une ouvrière sous contrat saisonnier. Une action qui pourrait faire jurisprudence dans un système où les marges de contestation ont longtemps été neutralisées par la précarité et la peur.

Après des années de dénonciations de conditions de logement indignes, de salaires impayés et de violations contractuelles, cette prise de parole collective rompt le silence. Elle ouvre la voie à une nouvelle ère d’organisation, d’autonomie et de solidarité pour ces femmes longtemps considérées comme des travailleuses jetables.

https://linktr.ee/jornalerasdehuelvaenlucha

dimanche 4 mai 2025

GIDEON LEVY
En réalité, Israël se moque du sort des Druzes en Syrie

 Gideon Levy, Haaretz , 04/5/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Il est parfois difficile de croire ce que l’on lit : Le ministre des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, appelle la communauté internationale à « jouer son rôle dans la protection des minorités en Syrie, en particulier la communauté druze, contre le régime et ses gangs terroristes, et à ne pas fermer les yeux sur les graves incidents qui s’y déroulent ».


Un religieux druze, à gauche, qui est passé de la Syrie à Israël plus tôt dans la journée, est accueilli par un soldat israélien dans le sanctuaire du Prophète Shuaib [tombe de Jethro, le beau-père de Moïse], à Hittin, dans le nord d’Israël, vendredi. Photo Leo Correa/AP

Israël s’est depuis longtemps forgé une réputation de chutzpah [culot], mais il semble qu’il se soit surpassé cette fois-ci. Le ministre des Affaires étrangères appelle le monde à intervenir pour aider une minorité opprimée par un gouvernement dans un autre pays, alors que d’autres dirigeants politiques agissent déjà dans ce domaine.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a donné des instructions, Eyal Zamir, des Forces de défense israéliennes, a ordonné à l’armée de frapper des cibles précises et le ministre de la Défense Israel Katz a déjà menacé qu’Israël répondrait “durement” ; les Forces de défense israéliennes ont déjà bombardé. Une véritable armée du salut pour défendre les Druzes opprimés.

  Le ministre israélien des Affaires étrangères n’a aucun droit moral d’ouvrir la bouche et de prononcer ne serait-ce qu’un mot sur l’oppression d’une nation ou d’une minorité, et certainement pas d’appeler le monde à prendre leur défense. Israël, qui ferme les yeux sur l’Ukraine après avoir fait la même chose pendant la guerre civile en Syrie, n’a pas non plus le droit d’appeler le monde à ouvrir les yeux sur les événements en Syrie.

 Des membres de la communauté druze israélienne se tiennent près de la frontière, en attendant que des bus transportant des religieux druzes syriens traversent la Syrie vers la ville de Majdal Shams, sur les hauteurs du Golan occupées par Israël, vendredi. Photo : Maya Alleruzzo/AP

Le manque de conscience de soi des dirigeants israéliens bat tous les records. Lorsque Gideon Sa’ar parle d’un régime oppressif et de bandes de terroristes, il devrait avant tout parler de son propre pays. Il n’y a pas beaucoup de pays dans le monde où un régime oppressif et des voyous terroristes prospèrent comme en Israël, tourmentant les membres d’une autre nation. Et comment Israël réagit-il aux appels lancés au monde pour qu’il prenne la défense de la nation opprimée qui y vit ? Par des hurlements et des cris à l’antisémitisme.

Et comment Israël réagirait-il à une intervention militaire d’un autre État ou d’un autre acteur venant en aide aux opprimés ? C’est exactement ce que les pays arabes ont dit dans le passé, et ce que le Hezbollah et les Houthis disent aujourd’hui : ils interviennent contre Israël pour protéger les Palestiniens.

De même que les Druzes locaux exigent aujourd’hui qu’Israël vienne en aide à leurs frères syriens, les populations des pays arabes exigent que leurs gouvernements interviennent en faveur de leurs frères soumis à l’occupation israélienne.

Et qu’en est-il des frères de sang des Arabes israéliens [Il veut dire : Palestiniens de 48, NdT], qui ont été massacrés à Gaza, en Syrie et au Liban ? Israël a-t-il jamais envisagé de leur venir en aide ?

Un homme tient un bébé sauvé des décombres, qui a survécu à une frappe aérienne des forces loyales au président syrien Bachar el-Assad à Alep en 2014.Photo Hosam Katan/Reuters

Au Liban, Israël a dressé les phalangistes contre les Palestiniens. Lorsque le peintre palestinien Abed Abadi, vivant à Haïfa, a tenté d’exfiltrer sa sœur, née dans ce pays, du camp de réfugiés assiégé de Yarmouk, en Syrie, en 2014, Israël a refusé. Mais pour “sauver les Druzes”, Israël est prêt à bombarder.

Imaginez que la France bombarde les colonies israéliennes dans les territoires occupés parce qu’elle les considère comme des « bases terroristes », d’où sortent des terroristes pour nuire aux Palestiniens. Quel tollé cela provoquerait ici !

Cette demande est empreinte de cynisme. Après tout, Israël ne se soucie pas vraiment du sort des Druzes en Syrie, tout comme il ne se souciait pas vraiment des victimes de l’ancien régime syrien. Après l’adoption de la loi sur l’État-nation, il est évident que le gouvernement ne se soucie même pas des droits de la population druze d’Israël.


Des Druzes manifestent contre la loi sur l’État-nation en 2019.Photo Tomer Appelbaum

Se mobiliser pour la défense des Druzes de Syrie n’est rien de plus qu’une ruse cynique, un autre prétexte pour attaquer la Syrie dans sa faiblesse, peut-être aussi un clin d’œil aux électeurs druzes du Likoud. Au lieu de donner une chance au nouveau régime, Israël fait du bellicisme. C’est le seul langage qu’il a employé ces dernières années : frapper, bombarder, bombarder, tuer, démolir, autant que possible et en tous lieux.

Si Israël souhaite promouvoir la justice où que ce soit, qu’il commence chez lui, où d’horribles méfaits et crimes contre l’humanité sont de plus en plus souvent perpétrés.

Même l’appel d’Israël au monde pour qu’il envoie du matériel de lutte contre les incendies afin d’aider à surmonter les feux de forêt près de Jérusalem la semaine dernière, alors qu’il empêche la nourriture et l’aide humanitaire d’entrer à Gaza depuis plus de deux mois, est une demande impudente qui aurait dû être rejetée. Un pays qui affame deux millions de personnes n’a pas droit à l’aide de la communauté internationale, même lorsque des incendies menacent ses communautés.

Hittin, 5 février 1949 : un groupe de Druzes brandit un drapeau avec l’étoile à 5 branches représentant les 5 principes cosmiques (haad, plur. houdoud) de leurs croyances, généralement confondue par les ignorants avec l’étoile de David à six branches adoptée par les sionistes. En arabe, le nom de Sultan Pacha El Atrache (1891-1982), leader de la révolte antifrançaise syrienne de 1925-1927 et héros des mouvements de libération arabes

Les Druzes syriens pris en tenaille entre l’“aide” d’Israël et la répression de Damas

 Michele Giorgio, il manifesto, 3/5/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Syrie - La communauté druze est prise en étau entre les violences sectaires internes et les manœuvres géopolitiques externes. Netanyahou, qui se proclame « protecteur » des Druzes, bombarde à quelques encablures du palais présidentiel syrien. 

Michele Giorgio est un journaliste italien, correspondant au Machrek du quotidien il manifesto et directeur de la revue en ligne Pagine Esteri. Auteurs de 3 livres. X

Maître dans l’art d’adapter les événements à une version politique commode, Benjamin Netanyahou s’est à nouveau déguisé en « protecteur des Druzes » après avoir ordonné à l’armée de l’air israélienne de frapper à une courte distance du palais du président syrien autoproclamé et chef du groupe alqaïdiste HTA, Ahmad Charaa. « C’est un message clair au régime syrien. Nous ne permettrons pas aux troupes syriennes de se déplacer au sud de Damas ou de constituer une menace pour la communauté druze », a déclaré le premier ministre israélien. Il se référait aux violences qui, au début de la semaine et jusqu’à jeudi, ont vu des miliciens sunnites liés au gouvernement prendre d’assaut Jaramana, Sahnaya et d’autres centres à majorité druze, après la diffusion d’un clip audio offensif contre le prophète Mohamed dans le sud de la Syrie.


Des miliciens du nouveau régime en faction à Sahnaya. Photo AP

La réaction de Damas au bombardement israélien a été lente. « Il s’agit d’une escalade dangereuse », a déclaré le nouveau régime syrien qui a remplacé celui de Bachar el-Assad. L’UE est intervenue et a exigé qu’Israël respecte la souveraineté syrienne et les termes de l’accord de désengagement de 1974 sur le Golan syrien. Bruxelles n’a pas compris, ou feint de ne pas comprendre, que Netanyahou n’a pas l’intention de renoncer à une occasion en or de prendre le contrôle de facto du sud de la Syrie.

Les Druzes israéliens (150 000), dont beaucoup servent dans les forces armées, l’aident à masquer des intérêts stratégiques par un prétendu engagement humanitaire. Ces derniers jours, des centaines de Druzes - réservistes de l’armée, activistes et simples citoyens - ont bloqué des routes dans le nord d’Israël, exigeant une intervention en faveur de leurs « frères menacés en Syrie ». Netanyahou a donc ordonné le bombardement à quelques mètres du palais de Charaa. Il a ensuite téléphoné au cheikh Muwafaq Tarif, chef spirituel des Druzes israéliens, qui, selon son bureau, « apprécierait l’action dissuasive contre Damas ».

Le principal allié de Netanyahou est l’instabilité syrienne, marquée par les vagues de « purification » menées par les milices djihadistes du HTS et de ses alliés contre les prétendus restes du régime Assad et contre les « apostats » : en mars les Alaouites, aujourd’hui les Druzes. « Nous sommes massacrés et le silence de la communauté internationale nous condamne deux fois », a protesté le cheikh Hikmat al-Hijri, autorité spirituelle de la communauté druze syrienne, en référence aux attaques subies ces derniers jours de la part des forces djihadistes près de Damas. Pour convaincre l’Occident de lever les sanctions contre son pays - décrétées après 2011 pour viser Bachar el-Assad - Ahmad Charaa a adopté un profil modéré et s’est à plusieurs reprises porté garant d’une Syrie « inclusive et respectueuse des minorités ». Mais si déradicalisation il y a eu, elle ne s’est produite qu’au sommet. Car à la base du nouveau régime, une pléthore de formations salafistes - qui incluent des combattants étrangers - ne partagent pas la ligne modérée et font pression pour que les musulmans « apostats » et les sectes hétérodoxes comprennent qui tient désormais le manche en Syrie.

Après les Alaouites de la côte, les plus extrémistes voudraient mettre en œuvre une « normalisation armée » également dans les régions du sud, qui sont restées en marge du nouveau pouvoir. Soueïda, la principale ville druze, a maintenu une autonomie de fait après 2011, résistant à la fois au pouvoir d’Assad et à la pénétration salafiste. Aujourd’hui, cette fragile indépendance est assiégée. Elle doit également se prémunir contre les manœuvres israéliennes. Al-Hijri continue de rejeter toute ingérence extérieure, réaffirmant « l’appartenance des Druzes à la patrie syrienne unie » et dénonçant les tentatives d’instrumentalisation par des acteurs étrangers. Lors d’une réunion entre les dirigeants druzes, les anciens et les groupes armés à Soueïda, la communauté a accepté d’être « une partie inséparable de la patrie syrienne unifiée ». « Nous rejetons la division, la séparation ou le désengagement », a ajouté un porte-parole. Certaines ONG syriennes, comme le Réseau syrien pour les droits humains, avertissent que « l’ingérence israélienne contribue à la polarisation sectaire et entrave toute tentative de médiation » entre Damas, les Druzes et d’autres minorités.

« La communauté druze se trouve prise au piège entre la violence sectaire interne et les manœuvres géopolitiques externes », explique au manifesto Giovanna Cavallo, militante des droits des Druzes syriens qui s’est récemment rendue à Soueïda avec une délégation italienne. « La question qui se pose aujourd’hui est inquiétante : le gouvernement syrien est-il tout simplement incapable de faire face à la vague de violence ou s’agit-il plutôt d’une ambiguïté délibérée, d’un calcul politique qui évite la confrontation avec les franges les plus radicales, aujourd’hui de plus en plus présentes dans les appareils du pouvoir ? » Dans ce contexte, ajoute-t-elle, « une action extérieure comme celle d’Israël apparaît encore plus dangereuse », car elle accentue « les divisions au sein même de la communauté druze, entre la majorité qui appelle à un accord avec le gouvernement central et une minorité qui voudrait choisir le moindre mal (Israël, ndlr) ». « Nous ne voulons ni de Damas ni de Tel-Aviv« , déclare pour sa part une femme d’al-Qurayya, « nous voulons vivre libres, sans que d’autres décident de notre sort par les armes ».

Lire aussi 

L’Étaticule joulanesque ou les sécrétions putrides du totalitarisme djihadiste, par Haytham Manna

samedi 3 mai 2025

Sahara occidental : Le maire PS de Montpellier se rend au Maroc pour défendre l’impérialisme français

La semaine dernière, Michaël Delafosse se déplaçait au Maroc pour négocier des accords économiques et culturels avec des villes dont Dakhla, située sur le territoire du Sahara Occidental et sous domination marocaine. Dans la lignée de Macron, le maire de Montpellier défend les intérêts impérialistes français au détriment de l’autodétermination du peuple sahraoui.

En octobre dernier, Emmanuel Macron, accompagné de pas moins de neuf ministres et d’au moins quarante grands patrons, s’est adonné, en visite d’État de trois jours au Maroc, à renforcer les intérêts de l’impérialisme français dans l’État chérifien. A cette occasion, quarante accords de coopération dans divers domaines avaient été signés, d’une valeur de 10 milliards d’euros, bénéficiant à des entreprises telles que Veolia, Engie, TotalEnergies, Alstom ou encore Safran. En échange de ces arrangements, l’État français a rejoint les États-Unis et l’Espagne dans la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental, au détriment de la population sahraoui qui réclame son indépendance depuis des décennies.

C’est dans ce contexte que Michaël Delafosse, le maire de Montpellier, s’est rendu à son tour au Maroc, accompagné d’une délégation d’élus, durant cinq jours. Dans un tweet posté sur X le 26 avril, on le voit poser, sur le territoire sahraoui, aux côtés de deux de ses élus et de son conseiller spécial, brandissant le drapeau marocain en soutien à la domination de l’État chérifien sur le peuple sahraoui. Dans sa publication, il fait référence à « la Marche Verte », une opération militaire orchestrée en novembre 1975 par le roi Hassan II du Maroc pour reprendre le Sahara Occidental, alors encore sous domination coloniale espagnole. Reçu par deux ministres marocains des Affaires Etrangères et des Investissements, Michaël Delafosse s’est notamment attaché à soutenir l’important projet porté sur place par une filiale locale de MGh Energy, installée à Pérols, une commune appartenant à la métropole de Montpellier, et spécialisée dans les e-carburants. Le projet Janassim, porté par la société française via sa filiale marocaine MGh Energy Maroc, vise à établir une usine de production de carburants synthétiques renouvelables dans la région de Dakhla-Oued Ed-Dahab, située au Sahara Occidental. Convoitée par l’impérialisme français, la région de Dakhla est considérée comme l’une des plus favorables au monde pour l’installation de parcs d’énergies éoliens et solaires et fait l’objet de nombreux projets de développement liés aux énergies renouvelables. Comme Emmanuel Macron le faisait en octobre dernier, Delafosse s’attache à défendre les intérêts de l’impérialisme français en négociant avec l’État marocain et en foulant du pied, dans le même temps, le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Une lutte indépendantiste violemment réprimée par les autorités marocaines, comme en témoigne le sort des prisonniers politiques tels que Mohamed Haddi, qui subit torture, isolement négligence médicale

Le soutien de l’élu socialiste à la colonisation marocaine du Sahara Occidental n’est pas étonnant lorsque l’on connaît la participation active de Delafosse à la répression du mouvement Palestine et son soutien indéfectible à l’état sioniste israélien : Connu pour son soutien infaillible à Israël, il a porté plainte à de multiples reprises contre le collectif BDS-UP et ses militants, dernièrement pour une banderole qui dénonçait la complicité de la mairie de la politique génocidaire d’Israël. Il soutient activement la célébration de la « Journée de Jérusalem » qui commémore l’annexion de Jérusalem-Est par Israël et déclarait récemment : « Il est mensonger de parler d’apartheid israélien. Tant que je serai maire, je serai aux côtés de Tibériade [ville israélienne jumelée avec Montpellier] et d’Israël ». Ainsi, derrière son vernis progressiste, comme en témoigne la politique de la mairie autour de la marche des Fiertés, locale, véritable illustration de ce qu’est le pinkwashing, se cache une gouvernance réactionnaire, véritable relais des politiques répressives envers le mouvement de soutien au peuple palestinien mais plus généralement contre les quartiers populaires et les populations racisées et précaires.

Ce voyage d’affaires de Delafosse visant à défendre les intérêts impérialistes de la France donne à voir, une nouvelle fois, la Macron-compatibilité du Parti socialiste. Face aux politiques impérialistes et à la violente répression dont font l’objet les militants qui les dénoncent, comme en témoignent les menaces de dissolution à l’encontre d’Urgence Palestine et de la Jeune Garde, nous devons faire front pour dénoncer l’impérialisme français et réitérer notre solidarité à tous les peuples luttant pour leur autodétermination, dont la population sahraouie.

vendredi 2 mai 2025

AHMED HELOU
J’ai perdu 160 membres de ma famille élargie à Gaza, mais je n’ai pas perdu espoir
Paroles d’un combattant palestinien de la paix

À quinze ans, j’ai rejoint le Hamas, j’ai jeté des pierres, j’ai cousu des drapeaux palestiniens et j’ai passé sept mois en prison. Voici ce qui a changé mon point de vue sur les Israéliens et qui me motive à construire des ponts au-dessus des rivières de sang.

Ahmed Helou, Haaretz , 29/4/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Ahmed Helou, Palestinien d’Ariha/Jéricho, est un militant de  l’organisation Combattants pour la paix, qui vient d’organiser le 29 avril la cérémonie annuelle de la 20ème Journée commémorative conjointe israélo-palestinienne, en partenariat avec le Cercle des parents-Forum des familles (palestiniennes et israéliennes atteintes par la violence).


Des Palestiniens inspectent le site d’une frappe israélienne sur une maison, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza.

J’écris ces mots dans la douleur la plus profonde qu’un être humain puisse endurer. Au cours de l’année écoulée, j’ai perdu 160 membres de ma famille élargie - hommes, femmes et enfants. Tous étaient des civils. Tous étaient désarmés. Ils ont été tués lors de frappes aériennes et de fusillades pendant la guerre à Gaza. En quelques minutes, des générations entières de la famille Helou ont été anéanties : tantes, oncles, cousins, nièces et neveux, tous tués dans leur maison.

Leurs corps ont été retrouvés dans les décombres, parfois serrés les uns contre les autres, parfois éparpillés. Certains n’ont pas été identifiés avant plusieurs jours. Notre famille, autrefois unie autour d’une table pour les fêtes, est devenue une liste de noms parmi les morts. 160 membres de la famille. 160 vies. 160 avenirs qui ne seront jamais.

Mon chagrin est sans fond. Parfois, j’ai du mal à respirer. Mais même depuis cet endroit - l’endroit où tout semble perdu - je choisis de me lever et de dire : nous ne devons pas abandonner. Nous ne devons pas nous abandonner à la haine, à la perte, à la vengeance. Aujourd’hui plus que jamais, j’appelle les deux peuples, israélien et palestinien, à choisir une autre voie. Un chemin non pas de sang, mais de vie. Non pas celui de la vengeance, mais celui de l’espoir.

Je suis un Palestinien de Jéricho. Bien que je sois né à Jéricho, mes racines sont profondément ancrées à Gaza et à Beersheba . Mes grands-parents sont nés à Gaza et se sont installés à Beersheba  au début du XXe siècle pour développer leur entreprise. Mes parents sont également nés et ont grandi à Beersheba . Pendant la guerre de 1948, ils ont tenté de retourner à Gaza, mais se sont réfugiés à Jéricho, espérant que sa proximité avec la frontière jordanienne leur permettrait de s’échapper si la situation s’aggravait. En 1967, ils ont dû fuir à nouveau, cette fois en Jordanie, où ils ont été témoins de plus de violence et de plus de morts.

J’ai grandi en entendant ces histoires de peur, de fuite, de personnes tuées sous leurs yeux. J’étais rempli de colère. Je voulais me venger. À l’âge de dix ans, pendant la guerre d’Israël au Liban en 1982, je traînais des pneus dans la rue pour les manifestations. Je pensais que je devais me battre. À quinze ans, j’ai rejoint le mouvement local du Hamas. J’ai lancé des pierres. J’ai cousu des drapeaux palestiniens, ce qui était illégal à l’époque, sachant que cela pouvait me conduire en prison. Et c’est ce qui s’est passé. En 1992, j’ai été condamné à sept mois de prison militaire israélienne en tant que détenu politique.

Mais la prison a aussi apporté quelque chose d’autre : une rencontre inattendue avec des personnes qui avaient des visions différentes de l’avenir. Pendant ma peine, le processus de paix d’Oslo a commencé. Lorsque mes parents m’ont rendu visite, ils m’ont parlé d’un nouvel accord de paix avec Israël, de deux États et du fait qu’il était désormais légal d’arborer le drapeau palestinien. Cela a fait germer une petite graine de quelque chose que je ne m’étais pas permis d’envisager : une possibilité.

Après ma libération, je me suis attaché à reconstruire ma communauté. J’ai aidé à lancer un groupe de jeunes à Jéricho. Nous avons fait du bénévolat dans des écoles, des hôpitaux et des maisons de retraite. J’ai suivi un cours de secouriste et je suis devenu ambulancier bénévole pour le Croissant-Rouge palestinien.


De la fumée s’élève de Gaza après une frappe aérienne, vue du côté israélien de la frontière. Photo Amir Cohen / Reuters

Lors des affrontements à Jérusalem-Est en 1996, j’ai apporté une aide médicale aux Palestiniens blessés. Un jour, j’ai couru pour aider un homme inconscient et j’ai découvert qu’il s’agissait de mon ami Firas. Alors que je le portais vers l’ambulance, un soldat israélien m’a tiré dans le dos. Je me suis effondré. Sur le chemin de l’hôpital, j’ai entendu le médecin dire à l’infirmier d’arrêter de réanimer l’autre blessé dans l’ambulance, mon ami. Il était mort.

De retour à Jéricho, j’ai demandé des nouvelles de Firas. Mon frère m’a emmené au cimetière. Il y avait quatre tombes : celle de Firas, un étudiant en droit de 21 ans, celle d’un garçon de 17 ans et celle d’un policier palestinien. J’ai demandé ce qu’il en était de la quatrième tombe. « Celle-ci était pour toi », m’a dit mon frère. « Nous pensions que tu allais mourir ». J’ai survécu, mais la balle est toujours logée près de ma colonne vertébrale.

Des années plus tard, en 2004, un ami m’a invité à un atelier avec des Israéliens. J’étais furieux. « Comment pouvez-vous me demander de rencontrer l’ennemi ? » ai-je crié. « Avec ceux qui ont tué mon peuple, volé ma terre, fait de moi un réfugié, m’ont emprisonné ? » J’y suis allé, mais j’ai juré de ne pas parler. Le premier jour, je suis resté silencieux. Le deuxième, j’ai commencé à parler. Le troisième, j’ai partagé un café avec eux. Au quatrième, je leur demandais avec incrédulité : « Êtes-vous vraiment juifs ? Es-tu vraiment israélien ? » Jusqu’alors, je n’avais rencontré des Juifs qu’en tant que soldats. Je n’avais jamais parlé à des civils et je n’avais jamais abordé la question des droits, de l’avenir ou de la paix.

J’ai continué à participer à des ateliers, puis je me suis rendu en Allemagne pour participer à un séminaire avec des Israéliens et des Palestiniens. En 2006, j’ai été invité à rencontrer les Combattants pour la paix à Jéricho. Je n’étais pas prêt. Mais j’ai continué à apprendre, à demander, à rencontrer. En 2013, on m’a demandé de prendre la parole lors de la cérémonie commune de la Journée commémorative. J’ai accepté. Depuis lors, je suis un membre engagé dans la résistance non violente et la protestation pacifique contre l’occupation.


Des Palestiniens déplacés par l’offensive aérienne et terrestre israélienne sur la bande de Gaza marchent dans un camp de tentes improvisé dans la ville de Gaza. Photo Jehad Alshrafi, AP

À l’âge de trente ans, j’ai épousé Hiba, qui est également originaire de Gaza. Pendant de nombreuses années, nous n’avons pas pu rendre visite à sa famille. Pendant plus de huit ans, avant le début de la guerre, nos quatre enfants n’ont pas obtenu de permis pour rendre visite à leurs grands-parents à Gaza. Depuis le 7 octobre, nous avons perdu plus de 160 membres de notre famille à Gaza. Mais je sais que la coopération internationale et la non-violence sont les seuls moyens de mettre fin à l’occupation et de parvenir à la paix.

Grâce à tout ce que j’ai vécu, je sais que les extrémistes des deux camps veulent que nous haïssions, que nous ayons peur, que nous perdions espoir. Ils veulent nous faire croire qu’il n’y a pas d’alternative à la guerre, qu’un peuple ne peut survivre qu’en détruisant l’autre. Je refuse d’accepter cela. Je refuse de laisser ce récit l’emporter.

La paix n’est pas une faiblesse. C’est la force de choisir le chemin le plus difficile, d’écouter la douleur de l’autre, de reconnaître sa souffrance et de construire des ponts sur des rivières de sang. C’est le courage de s’opposer à ceux qui profitent d’une guerre sans fin et de dire : ça suffit.

En Israël, j’entends souvent dire : « Il n’y a pas de partenaire pour la paix ». Mais ce n’est pas vrai. Nous sommes ici : les Palestiniens qui croient en l’égalité, la coexistence et la justice pour les deux peuples. Nous sommes peu nombreux, mais nous sommes déterminés. Déterminés à vivre, pas à mourir. À construire, et non à détruire. Même après avoir tout perdu.

J’ai choisi de consacrer ma vie à la paix et à la lutte non violente contre l’injustice, l’occupation et l’extrémisme, les nôtres comme les vôtres. C’est la seule voie qui reste : un avenir commun, fondé sur la reconnaissance mutuelle et la conviction que la paix est encore possible.

J’ai perdu mes proches, mais pas mon espoir. La paix n’est pas un slogan. C’est la seule façon de vivre.





jeudi 1 mai 2025

Premier Mai : l'histoire derrière la “Fête du Travail”

Chaque 1er mai, les rues marocaines résonnent au rythme des slogans syndicaux et des revendications sociales. Mais derrière ce jour chômé et payé se cache une histoire vieille de plus d’un siècle, marquée par des luttes, des sacrifices et des conquêtes sociales. Retour sur l’origine et l’évolution d’une journée pas comme les autres.

Ilyasse Rhamir, lebrief.ma, 1/5/2025 

Ce jeudi 1er mai, comme chaque année, les travailleurs marocains célèbrent la Journée internationale du travail. Une tradition mondiale ancrée dans la mémoire ouvrière, symbole de luttes pour la dignité et la justice sociale. Pourtant, peu se souviennent de l’origine de cette journée qui, au fil du temps, est devenue un repère dans le calendrier militant. Pour la comprendre, il faut remonter à la fin du XIXe siècle, de l’autre côté de l’Atlantique, au cœur des luttes ouvrières américaines.

Chicago 1886 : la grève qui a tout déclenché
Du sang versé à la reconnaissance internationale
Le 1er mai au Maroc : une fête née dans la résistance


Un héritage toujours vivant

L’histoire du 1er mai commence aux États-Unis. En 1886, les syndicats américains appellent à une grève nationale pour revendiquer la limitation du temps de travail à huit heures par jour. Le 1er mai, près de 350.000 travailleurs cessent le travail, paralysant plusieurs villes industrielles, dont Chicago, épicentre de la contestation.

Pendant trois jours, les manifestations s’enchaînent. Le 3 mai, à McCormick, la tension monte d’un cran, la police charge les manifestants, appuyée par l’armée. Le bilan est lourd, six morts, des dizaines de blessés. Le lendemain, une bombe explose lors d’un rassemblement, causant la mort de quinze policiers. La répression est féroce, mais la cause ouvrière sort renforcée. Cette mobilisation marque un tournant dans l’histoire syndicale mondiale.

Trois ans plus tard, en 1889, l’Internationale socialiste réunie à Paris décide de faire du 1er mai une journée de mobilisation internationale pour la réduction du temps de travail. Le symbole est fort. La date devient celle de la solidarité ouvrière, autour d’un slogan simple et percutant : « 8 heures de travail, 8 heures de sommeil, 8 heures de loisir. »

La célébration du 1er mai s’étend rapidement à travers le monde. Mais elle n’est pas toujours pacifique. En 1891, à Fourmies, dans le nord de la France, la manifestation tourne au drame, la police tire sur la foule, faisant dix morts. Malgré ces violences, le mouvement ouvrier continue de faire du 1er mai un moment de lutte et de rassemblement.

Au Maroc, la première célébration du 1er mai remonte à 1951. Le pays est encore sous protectorat français. À Casablanca, des syndicats clandestins organisent un rassemblement au stade Père Jégo. Il est rapidement dispersé par les autorités coloniales. À l’époque, les revendications dépassent le cadre professionnel : les travailleurs marocains réclament surtout l’indépendance du Royaume.

C’est en 1955, à l’initiative de l’Union marocaine du travail (UMT), créée quelques semaines plus tôt, que le 1er mai prend une nouvelle dimension. Cette première grande manifestation postérieure à la reconnaissance syndicale affiche trois mots d’ordre : union, indépendance et démocratie. La fête du Travail devient dès lors un rendez-vous incontournable de la mobilisation sociale marocaine.

Une journée de lutte, au fil des générations

Depuis, le 1er mai au Maroc a traversé les décennies, reflétant les préoccupations des travailleurs à chaque époque. Dans les années post-indépendance, les revendications portaient sur le droit au travail et à la protection sociale. Dans les années 1980-1990, le mot d’ordre s’élargit à la liberté syndicale, à la lutte contre la répression et aux hausses salariales.

En 2018 encore, les syndicats n’hésitaient pas à hausser le ton face au gouvernement El Othmani, exigeant des revalorisations salariales substantielles. Le pouvoir proposait alors une enveloppe de six milliards de dirhams pour « acheter » la paix sociale. Une offre jugée insuffisante par les centrales syndicales.

Aujourd’hui, le 1er mai est toujours un jour chômé et payé au Maroc, mais il est loin d’être un simple jour de repos. C’est une date à haute portée symbolique, un moment pour dresser le bilan des avancées sociales et pointer les retards. Le chômage des jeunes, la précarité de l’emploi, le pouvoir d’achat ou encore la protection sociale demeurent au cœur des revendications.

Ce jeudi, les cortèges reprendront leurs droits dans plusieurs villes du Royaume. Des banderoles seront brandies, des discours prononcés, et peut-être, des promesses arrachées. Mais au-delà des slogans, cette journée rappelle qu’aucun droit n’a été obtenu sans lutte. Le 1er mai n’est pas une fête comme les autres : c’est la mémoire vivante des combats pour la dignité au travail.

mercredi 30 avril 2025

HAYTHAM MANNA
L’Étaticule joulanesque* ou les sécrétions putrides du totalitarisme djihadiste

 *traduction de l’expression Douila al-Joulani, littéralement le micro-État d’Al Joulani

Haytham Manna , 28/4/2025

دويلة الجولاني: أو الإفرازات الرثة للشمولية الجهادي Original :

English Español

Traduit par Tlaxcala

Haytham Manna (Oum El Mayadhine, Daraa, 1951), médecin et anthropologue, est un militant historique de la cause des peuples et des droits humains. Directeur de l’Institut Scandinave pour les Droits de l’Homme/Fondation Haytham Manna à Genève et président du Mouvement international pour les droits de l’homme et des peuples (IMHPR), il est l’auteur d’une soixantaine d’ouvrages. Ci-dessous un extrait du livre « Manifeste contre le fascisme djihadiste », à paraître prochainement.

 

Dans leur essai intitulé « L’État-nation moderne : entre islamisme et laïcité|», Asia Al-Muhtar et Adnan Harawi nous offrent une synthèse claire et concise du concept d’État-nation moderne en affirmant :

« Les systèmes législatifs de l’État-nation moderne se caractérisent par une indépendance complète à l’égard de toute idéologie, quel que soit son type. Si l’État laïc vise à séparer la structure politique de l’appareil religieux, alors l’État-nation moderne est un État indépendant qui ne s’appuie sur aucune source de législation en dehors de la volonté populaire. En tant qu’entité neutre à l’égard des religions, des sectes, des idéologies, des individus et des classes, cet État cherche à éviter d’adopter toute idéologie qui pourrait affecter son entité et son existence, et en faire un État exclusif qui sert un groupe spécifique au détriment d’un autre. Ce « service exclusif » que l’État cherchera à fournir est basé sur des principes qui entrent en conflit avec les principes d’égalité citoyenne et est réalisé sur la base d’une référence religieuse, idéologique ou doctrinale spécifique ». 

 En réalité, l’État-nation moderne repose sur trois principes fondamentaux : le premier est l’égalité des citoyens, le deuxième est la primauté du droit et le troisième est la légitimité du peuple.

Ce n’est pas ici le lieu de parler de la naissance et de la construction de « l’État-nation moderne », auquel nous avons consacré un livre et des articles [2], mais il est nécessaire de rappeler sans cesse que cette naissance est le fruit d’un long processus historique qui a permis à l’Europe, par exemple, de sortir de ses guerres sectaires et religieuses, qui ont coûté à la seule Allemagne, pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648), la vie de plus de sept millions d’habitants. En Méditerranée orientale, l’Empire ottoman n’est sorti de l’histoire et de la géographie qu’après avoir écrit ses dernières pages avec le génocide des Arméniens et des Assyro-Chaldéens en 1916-1918, et la défaite lors de la Première Guerre mondiale et la signature par le sultan Mehmet VI du traité de Sèvres (1920), qui a laissé au califat, à la fin de son existence, 380 000 km² sur les 1 780 000 km² qu’il comptait avant la guerre.

En Égypte, la révolution de 1919 a marqué un tournant important dans la lutte pour la libération nationale du joug colonial britannique, vainqueur de la Seconde Guerre mondiale. À Damas, l’indépendance du Royaume arabe syrien a été proclamée le 8 mars 1920 par une assemblée législative constituante connue sous le nom de « Conférence syrienne générale », qui a adopté le «Statut fondamental» qui prévoyait une monarchie constitutionnelle civile, une administration décentralisée, la garantie des libertés politiques et économiques, les droits des communautés religieuses, l’égalité entre les citoyens et la tenue d’élections libres au Conseil des représentants au scrutin secret en deux tours (article 73). Les élections étaient libres et le gouvernement n’avait pas le droit d’y intervenir ou de s’y opposer (article 77).

Le colonisateur français ne pouvait tolérer l’idée de l’indépendance, et ses forces entrèrent en Syrie. Trois jours après la bataille de Maysaloun, les forces d’occupation occupèrent Damas, exilèrent le roi Faiçal et dessolèrent le royaume le 28 juillet 2020.


Emad Hajjaj

Après la chute tragique et grotesque du califat ottoman, personne ne pouvait plus parler de califat ou d’État islamique selon la logique sultanale héréditaire et médiévale. Dans plusieurs pays musulmans, des organisations politiques et sociales ont vu le jour, appelant à la construction d’un État islamique. Si Hassan al-Banna est le plus célèbre dans le monde arabophone, Abu al-Ala al-Mawdudi occupait le devant de la scène dans le monde islamique. Abou al-Alaa était un observateur attentif et un fin connaisseur des caractéristiques de l’époque que vivaient les musulmans dans la péninsule indienne, mais aussi de la montée des courants idéologiques totalitaires à l’échelle mondiale, le stalinisme à l’Est, le nazisme et le fascisme à l’Ouest. On retrouve clairement l’empreinte de ces courants dans la définition que donne al-Mawdudi de l’État islamique :

- « L’État islamique est un État dirigé par un parti particulier qui croit en une doctrine particulière. Quiconque accepte l’islam peut devenir membre du parti qui a été fondé pour diriger cet État, et ceux qui ne l’acceptent pas ne sont pas autorisés à intervenir dans les affaires de l’État et peuvent vivre à l’intérieur des frontières de l’État en tant que dhimmis. »

- « L’État islamique est un État totalitaire qui régit tous les aspects de la vie. » (Al-Mawdudi écrit cela en anglais, en plus de l’ourdou et de l’arabe).

- « Dieu a doté l’homme de ces limites, d’un système indépendant et d’une constitution universelle qui n’admet aucun changement ni modification... Si vous le souhaitez, vous pouvez vous y soustraire et déclarer la guerre comme l’ont fait la Turquie et l’Iran, mais vous ne pouvez y apporter la moindre modification, car il s’agit d’une constitution divine éternelle qui ne peut être ni changée ni modifiée ».[3]

Nous voyons dans ces trois points l’arbre généalogique commun aux Frères musulmans, aux khomeynistes, aux salafistes djihadistes, aux srouristes (partisans du Cheikh Srour de la région de Daraa) et au Hizb ut-Tahrir (Parti de la libération), car les principes énoncés par Mawdudi s’y retrouvent tous, avec quelques différences d’expression littéraire ou quelques phrases non contestées. Si la première mouture de la Confrérie des Frères musulmans en Égypte et le modèle syrien du Dr Mustafa al-Sibai n’ont pas adhéré à la logique du « parti sacré », ou ce que Khomeini appelle dans son livre « Le gouvernement islamique » : « la bande sacrée », il a fallu attendre Sayyid Qutb pour voir apparaître une identification plus claire entre ces composantes.

L’essor de la « religion publique » et la chute des idéologies contemporaines ont eu un impact considérable sur la montée, l’extrémisme et la radicalisation des mouvements politiques islamiques. La fabrication de l’ennemi a joué un rôle essentiel dans l’introduction du takfir (définition des frontières entre le croyant et le mécréant, entre la société païenne et la société islamique), la prohibition (regroupant dans une même catégorie tout ce qui est interdit, prohibé et répréhensible) et la destruction (considérant le djihad ou la violence sacrée comme le seul moyen d’instaurer le règne de Dieu sur terre). Comme le dit Yassin al-Haj Saleh : « En Afghanistan, l’ennemi était l’Union soviétique, puis les USA ; en Irak, ce sont les Américains et leurs alliés des organisations chiites ; en Syrie, l’ennemi était essentiellement la révolution »[4].

Au stade du Caire, le 15 juin 2013, le président égyptien Mohamed Morsi était présent en personne pour annoncer les résultats de la première réunion élargie entre les « savants » salafistes, les « savants » des Frères musulmans et les dirigeants de l’Union mondiale des oulémas musulmans, au cours de laquelle il a été décidé, à l’unanimité, de déclarer le jihad en Syrie. Pour annoncer les résultats de cette réunion et proclamer sa décision, les participants ont désigné le cheikh égyptien Mohamed Hassan :

« La terre pure d’Égypte a accueilli une conférence à laquelle ont participé près de 500 savants, appartenant à plus de 70 organismes, organisations et associations. Ces savants ont émis une fatwa et ont convenu que le jihad est un devoir de la vie, de la fortune et des armes, chacun selon ses moyens. Le jihad pour défendre le sang et l’honneur est désormais un devoir individuel pour le peuple syrien et un devoir collectif pour les musulmans du monde entier. C’est ce que nous devons au Seigneur du ciel et de la terre » [5].

Depuis cette date, les différences entre ce qu’on appelait l’islam modéré ou politique et les thèses salafistes djihadistes ont disparu, et le processus de « légitimation » de la présence des combattants étrangers en Syrie dans la plus grande fatwa collective de l’histoire islamique contemporaine s’est enclenché. Les musulmans syriens, quelles que soient leurs factions et leurs orientations, ne sont plus maîtres de leur présent et de leur avenir dans le conflit qui oppose une dictature corrompue et le plus grand mouvement populaire qui lui fait face. L’arrivée massive de plus de 120 000 combattants non syriens provenant d’une soixantaine de pays, avec des facilités financières, matérielles et logistiques qui ont dépassé ce que nous avons connu dans l’expérience afghane, a constitué un changement complet dans la nature, la géographie et les objectifs des conflits armés et des luttes intestines, ainsi que dans la nature de l’État souhaité pour le changement.

mardi 29 avril 2025

Ben Ahmed : une association dénonce la stigmatisation des habitants après plusieurs meurtres dans la ville

TelQuel, 28/4/2025

 La section de Ben Ahmed de la Ligue marocaine pour la citoyenneté et les droits de l’homme (LMCDH) a dénoncé les campagnes malveillantes et l’acharnement systématique ayant visé les habitants de la ville sur certaines plateformes sociales, accusées d’avoir terni l’image de Ben Ahmed et de ses habitants de manière “inacceptable et irresponsable”.

La brigade locale de la police judiciaire de la ville de Ben Ahmed, appuyée par son homologue de la préfecture de Settat, a ouvert une enquête judiciaire sous la supervision du parquet compétent dans la soirée du dimanche 20 avril, afin d’élucider les circonstances entourant la découverte de restes de membres humains dans les toilettes annexes de la grande mosquée de Ben Ahmed. Crédit: Capture d'écran vidéo

Dans un communiqué transmis à Hespress, la Ligue a condamné ces campagnes qui renforcent la stigmatisation sociale et portent atteinte aux valeurs fondamentales des droits humains, fondées sur le respect de la dignité et l’égalité.

Une stigmatisation liée à l’affaire du “tueur de Ben Ahmed”, une série de crimes atroces (meurtres prémédités, mutilation de cadavres et vol aggravé, par un individu aujourd’hui incarcéré) que la Ligue suit “avec une profonde inquiétude”, soulignant qu’il ne s’agit pas d’un incident isolé, mais du reflet d’un contexte alarmant nécessitant un renforcement de la sécurité communautaire et une meilleure prise en charge de la santé mentale.

Tout en condamnant fermement ces actes criminels, la Ligue a exigé l’approfondissement des enquêtes, dans le strict respect de la présomption d’innocence jusqu’au prononcé de jugements définitifs.

Elle a également réitéré son appel aux autorités pour qu’elles accordent davantage d’importance aux politiques publiques de santé mentale et renforcent les mécanismes de prévention et de protection sociale afin de garantir la sécurité et la sérénité collectives.

Enfin, la Ligue a exhorté les médias et les utilisateurs des réseaux sociaux à respecter l’éthique de publication et à éviter les généralisations hâtives qui nuisent à l’image de toute une communauté à cause d’actes isolés.

dimanche 27 avril 2025

Une Gaza du siècle dernier
26 avril 1937 : la tragédie de Guernica, racontée par George Steer

C'était un lundi, jour de marché. Il y avait beaucoup de monde dans les rues de la petite ville de Guernica, qui comptait sept mille habitants. À 16 h 30, les cloches de l'église ont commencé à sonner, et cinq minutes plus tard, le premier avion est apparu, et a lâché six bombes explosives de 450 kilos, suivies d'un chapelet de grenades.

Quelques minutes plus tard, un deuxième avion est apparu. L'enfer a duré trois heures. En tout, ce sont 42 avions qui ont bombardé et mitraillé la ville, ses habitants et les environs où ils s'étaient réfugiés. Toute la ville a brûlé. L'incendie a duré longtemps. Bilan : 70% des édifices brûlés et un nombre de morts indéterminé, situé entre 800 et 1600. 70 ans plus tard, les historiens ne sont toujours pas d'accord sur le nombre de victimes de ce lundi noir qui fit de Guernica une ville-martyre et une ville-symbole, entrée définitivement dans notre mémoire collective. Les avions appartenaient à la Légion Condor allemande et à l'Aviation légionnaire italienne. Nom de l'opération : Operation Rügen.

Deux hommes ont contribué de manière décisive à faire de Guernica ce symbole : George Steer et Pablo Picasso.

Le premier était un jeune journaliste de 27 ans, né en Afrique du Sud, correspondant de guerre du quotidien londonien The Times et partisan déclaré de la cause républicaine et basque. L'Espagne n'était pas son premier théâtre de guerre. En 1935,il avait été envoyé spécial en Éthiopie, qu'on appelait alors l'Abyssinie, soumise à une féroce agression italienne, ordonnée par Mussolini -le dictateur qui avait les yeux plus gros que le ventre- qui accomplissait là son rêve d'Empire à coups de crimes de guerre. Déjà en Éthiopie, on avait vu des bombardements frapper une population civile désarmée. Déjà en Éthiopie, l'Occident démocratique avait trahi un peuple agressé par le fascisme.

George Steer arriva à Guernica quelques heures après le bombardement et câbla dans la nuit même son reportage de la ville martyre, qui parut le lendemain dans The Times et The New York Times, avant d'être repris par de nombreux journaux dans divers pays. C'est cet article qui a alerté le monde, suscitant des manifestations de protestation dans les rues de Londres et New York et déclenchant une contre-offensive médiatique des franquistes et de leurs alliés, l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste. Dans ces deux pays, les médias se déchaînèrent contre les « hordes bolcheviques », qui, à les en croire, avaient mis elles-mêmes le feu à Guernica avant de la quitter. Leurs mensonges ont été rapidement démentis. Le récit que l'histoire a retenu est celui de George Steer, dont une rue porte le nom à Bilbao, tandis qu'à Gernika même, se dresse un buste de lui, inauguré en avril 2006.  


Le second, à 56 ans, est un peintre célèbre, installé en France. Il soutient la cause républicaine face à la rébellion franquiste. Celui que les Renseignements généraux (la police politique française) décriront comme un« un anarchiste considéré comme suspect au point de vue national » et comme « un peintre soi-disant moderne » -raison pour laquelle lui sera refusée la naturalisation française en avril 1940 - se met immédiatement au travail. Le résultat sera une toile monumentale de 8 mètres de long et de 3 m. 50 de haut, en noir et blanc, qui sera exposée au pavillon espagnol de l'Exposition universelle. Comme l'a dit Picasso, « La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements. C'est un instrument de guerre offensive et défensive contre l'ennemi ».

Guernica est une leçon qui reste encore à apprendre. Les auteurs de ce crime de guerre, à commencer par le chef de la Légion Condor, le lieutenant-colonel Wolfram von Richthofen (1895-1945), furent fêtés comme des héros dans l'Allemagne nazie, et ceux d'entre eux qui vivent encore, coulent une paisible retraite, donnant des interviews avec une incroyable décontraction. Le bombardement de la ville sainte des Basques était une expérience grandeur nature, destinée à évaluer les capacités de l'aviation allemande à détruire une ville de manière efficace. Comme l'a dit Hermann Göring au procès de Nuremberg : « La guerre civile espagnole m'a donné l'occasion de tester ma jeune aviation et a été un moyen pour mes hommes d'acquérir de l'expérience. »

Ce crime de guerre ne fut ni le premier ni le dernier du XXème siècle. Les premiers bombardements de populations civiles avec des armes chimiques furent ordonnés par Winston Churchill sur l'Irak en 1915. Après Guernica, il y aura d'autres villes-martyres, comme Coventry, Hambourg, Dresden, Hiroshima, Nagasaki. Après l'Espagne, toute l'Europe. Après l'Europe, l'Asie, de la Palestine à la Corée, au Vietnam et au Cambodge.

Les Guernica d'aujourd'hui s'appellent Gaza, Tal Afar, Falloujah, Samarra, Najaf, mais aussi Grozny ou Kandahar. Les avions qui lâchent leurs bombes meurtrières ne portent plus la croix de fer mais les couleurs de pays « démocratiques ». Les « Rouges ennemis de Dieu » que Franco, Hitler et Mussolini prétendaient combattre pour sauver l'Occident chrétien on été remplacés par les « islamistes » et « l'Axe du Mal », qui, selon Bush, véritable Hitler de notre temps, va de La Havane à Pyongyang en passant par Caracas, Beyrouth, Damas, Khartoum et Téhéran. Et la « communauté internationale », comme elle avait été paralysée devant le martyre de l'Éthiopie puis celui de l'Espagne, est aujourd'hui pire que paralysée devant le martyre de la Palestine, de l'Irak, de l'Afghanistan, elle est complice des centaines de Guernica qui se répètent sous nos yeux fatigués, jour après jour.

Lisez le reportage de George Steer. Il dit, en peu de mots, l'essentiel.- Fausto GiudiceTlaxcala, 27/4/2017


Une ville détruite par une attaque aérienne

Un témoin oculaire raconte

De notre envoyé spécial, Bilbao, le 27 avril 1937

Guernica, la plus ancienne ville des Basques et le centre de leur tradition culturelle, a été complètement détruite hier après-midi par des raids aériens des insurgés. Le bombardement de cette ville ouverte située loin derrière les lignes a pris exactement trios heures et quart, durant lesquelles une puissante flotte aérienne consistant en trois types d'avions allemands, des bombardiers Junkers et Heinkel et des chasseurs Heinkel, n'a pas cessé de déverser sur la ville des bombes pesant 1000 livres [453 kg.] et moins et, selon les calculs, plus de trois mille projectiles incendiaires de deux livres [907 gr.] chacun. Les chasseurs, pendant ce temps, opéraient des piqués sur la ville et ses alentours pour mitrailler la population civile qui s'était réfugiée dans les champs.


La vieille souche de l'Arbre de Gernika

Tout Guernica s'est rapidement retrouvée en flammes, à l'exception de la Casa de Juntas historique, qui contient les riches archives de la race basque, et où l'ancien Parlement basque siégeait. Le fameux chêne de Guernica, aussi bien la vieille souche desséchée de 600 ans que les nouvelles pousses, a été aussi épargné. C'est là que les rois d'Espagne faisaient le serment de respecter les droits démocratiques (fueros) de Biscaye et en retour recevaient la promesse d'allégeance en tant que suzerains, avec le titre démocratique de Señor et non de Roi de Biscaye. La majestueuse église Santa Maria a été aussi épargnée, à l'exception de son beau chapitre, qui a été frappé par une bombe incendiaire.

À 2 h ce matin, quand j'ai visité la ville, le spectacle était terrifiant. Guernica brûlait d'un bout à l'autre. Les reflets de l'incendie pouvaient être vus sur les nuages de fumée au-dessus des montagnes à 16 km à la ronde. Pendant toute la nuit, des maisons s'écroulèrent au point que les rues étaient encombrées d'importants débris rougeoyants et infranchissables. Beaucoup de survivants civils ont pris le long chemin de Guernica à Bilbao dans d'antiques chars à bœufs basques aux roues solides. Des chars sur lesquels s'empilaient tout ce qui avait pu être sauvé des maisons après la conflagration ont encombré les routes toute la nuit.

D'autres survivants ont été évacués dans des camions du gouvernement, mais beaucoup ont été forcés de rester aux alentours de la ville en feu, couchés sur des matelas ou à la recherché de parents et d'enfants égarés, tandis que des unités de pompiers et de la police motorisée basque, sous la direction personnelle du ministre de l'Intérieur, Señor Monzon, et de sa femme, continuaient les opérations de secours jusqu'à l'aube.


La cloche de l'église sonne l'alerte

Le raid sur Guernica n'a pas de précédent dans l'histoire militaire, aussi bien par la forme de son exécution que par les dimensions des destructions perpétrées, sans parler de l'objectif choisi. Guernica n'était pas un objectif militaire. Une usine de matériel d e guerre à l'extérieur de la ville n'a pas été touchée. Ce fut aussi le cas des deux casernes qui se trouvaient à quelque distance de Guernica. Celles-ci étaient loin derrière les lignes de combat. La ville est loin derrière les lignes. L'objectif du bombardement était apparemment de démoraliser la population civile et de détruire le berceau de la race basque. Tous les éléments militent en faveur de cette interprétation, à commencer par le jour choisi pour ce forfait.

Lundi était le jour traditionnel de marché à Guernica pour toute la région. À 16 h 30, quand le marché était plein et que des paysans continuaient d'y arriver, la cloche de l'église a commencé à sonner l'alerte : des avions approchaient. La population a cherché refuge dans des caves et dans des tranchées-abris qui avaient été creusées suite au bombardement de la population civile de Durango le 31 mars, qui a ouvert l'offensive du Général Mola dans le Nord. On dit que les gens ont montré un grand courage. Un prêtre catholique a pris les choses en main et un ordre parfait a été maintenu.

Cinq minutes plus tard, un bombardier allemand isolé est apparu, faisant des cercles à basse altitude au-dessus de la ville, puis a lâché six bombes lourdes, visant de toute apparence la gare. Les bombes, suivies d'une pluie de grenades, sont tombées sur un ancien institut et sur les maisons et les rues l'entourant. Puis l'avion est reparti. Cinq minutes plus tard, est arrivé un second bombardier, qui a lâché le même nombre de bombes sur le centre de la ville. Environ un quart d'heure plus tard, trois Junker sont arrivés pour continuer le travail de démolition, et dès lors, le bombardement a gagné en intensité et a continué sans répit, ne cessant qu'à l'approche de la nuit à 19 h 45. Toute cette ville, qui comptait 7000 habitants plus 3,000 réfugiés, a été lentement mais sûrement réduite en pièces. Sur un rayon de 8 km, un détail de la technique des attaquants a consisté à bombarder des fermes isolées. Dans la nuit, celles-ci brûlaient comme des chandelles sur les collines. Tous les villages alentour ont été bombardés avec la même intensité que la ville elle-même et à Mugica, un petit hameau à l'entrée de Guernica, la population a été mitraillée pendant quinze minutes.


GUERRIKA, par Juan Kalvellido, 2017

Rythme de mort

Il est pour le moment impossible de dire le nombre de victimes. Dans la presse Bilbao ce matin, on peut lire qu'il est "heureusement faible” mais il est à craindre que cela ne soit une litote destinée à ne pas alarmer le grand nombre de réfugiés à Bilbao. À l'hôpital Josefinas, qui a été l'un des premiers endroits bombardés, tous les 42 miliciens qu'il hébergeait ont été purement et simplement tués. Dans une rue descendant la colline depuis la Casa de Juntas j'ai vu un endroit où l'on m'a dit que 50 personnes, presque toutes des femmes et des enfants, ont été piégées dans un abri antiaérien sous une masse de décombres en flammes. Beaucoup de gens ont été tués dans les champs et en tout, les morts pourraient être plusieurs centaines. Un prêtre âgé nommé Aronategui a été tué par une bombe alors qu'il portait secours à des enfants dans une maison en flammes.

La tactique des bombardiers, qui pourrait intéresser des étudiants en nouvelle science militaire, était la suivante : premièrement, des petits groupes d'avions lancent des bombes lourdes et des grenades à main sur toute la ville, choisissant zone après zone de manière ordonnée. Puis arrivent des chasseurs volant en rase-mottes pour mitrailler les gens qui courent paniqués hors des tranchées-abris, dont certaines avaient été pénétrées par des bombes de 1000 livres, qui font des trous de 25 pieds (7,62 m.). Beaucoup de ces gens ont été tués alors qu'ils couraient. Un grand troupeau de moutons qui avaient été amenés au marché ont aussi été tués. L'objectif de cette manœuvre était apparemment de pousser la population à aller sous terre de nouveau, car aussitôt après pas moins de 12 bombardiers sont apparus en même temps pour lâcher des bombes lourdes et incendiaires sur les ruines. Le rythme de ce bombardement d'une ville ouverte était, donc, logique : d'abord des grenades à main des bombes lourdes pour déclencher la panique puis les mitraillages pour les forcer à se cacher sous terre, et enfin des bombes lourdes et incendiaires pour détruire les maisons et les brûler au-dessus de la tête des victimes.

Les seules contre-mesures que les Basques pouvaient prendre, car ils ne possèdent pas suffisamment d'avions pour faire face à la flotte insurgée, étaient celles fournies par l'héroïsme du clergé basque. Ils bénissaient et priaient pour la foule agenouillée - socialistes, anarchistes, communistes aussi bien que croyants déclarés - dans les tranchées-abris qui s'effondraient.

Quand je suis entré dans Guernica après minuit, les maisons s'effondraient de toutes parts, et il était absolument impossible même pour les pompiers d'entrer dans le centre de la ville. L'hôpital Josefinas et le Couvent Santa Clara étaient des tas de braises rougeoyantes, et les quelques maisons encore debout étaient condamnées. Quand j'ai visité à nouveau Guernica cet après-midi, la plus grande partie de la ville brûlait encore et de nouveaux incendies avaient éclaté. Environ 30 morts étaient allongés dans un hôpital en ruines.

Un appel aux Basques

L'effet du bombardement de Guernica, la ville sainte basque, a été profond et a conduit le Président Aguirre à publier la déclaration suivante dans la presse basque de ce matin : « Les aviateurs allemands au service des rebelles espagnols ont bombardé Guernica, brûlant la ville historique vénérée par les Basques. Ils ont voulu nous blesser dans le plus sensible de nos sentiments patriotiques, donnant clairement à voir ce à quoi Euzkadi peut s'attendre de la part de ceux qui n'hésitent pas à nous détruire dans le sanctuaire même qui nous rappelle les siècles de note liberté et de note démocratie.

Face à cet attentat, nous tous Basques devons réagir avec violence, jurant du fond de notre coeur de défendre les principes de notre peuple avec tout l'entêtement et l'héroïsme requis. Nous ne pouvons cacher la gravité de ce moment, mais l'envahisseur ne pourra jamais emporter la victoire si, élevant nos esprits à des sommets de force et de détermination, nous nous armons pour sa défaite.

L'ennemi a avancé en beaucoup d'endroits pour ensuite être repoussé. Je n'hésite pas à affirmer que la même chose va se passer ici. Puisse l'attentat d'aujourd'hui nous stimuler à le faire de toute urgence. »

Lire aussi
Bombardement de Guernica le 26 avril 1937 : Controverse dans la presse française (BNF-Gallica)

Exploration 3D du Guernica de Picasso par Lena Gieseke



Gernika, 7 mars 2024