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lundi 23 décembre 2024

La ville de Milan recrute des chauffeurs de bus, tram et métro au Maroc


Cédric Amoussou, La Nouvelle Tribune, 23/12/2024

Face à une pénurie croissante de personnel dans le secteur des transports publics, les métropoles européennes multiplient les initiatives pour attirer de nouveaux talents. Milan, confrontée à un besoin pressant de main-d’œuvre qualifiée, étend désormais son horizon de recrutement vers le Maroc, illustrant une tendance qui se généralise à l’échelle du continent.

Le secteur des transports publics italien fait face à un défi majeur avec un déficit de plus de 10 000 chauffeurs à l’échelle nationale, dont 350 postes à pourvoir pour la seule ville de Milan. Pour répondre à cette situation, la société de transport public milanaise a mis en place une stratégie innovante en lançant le programme “Les Nouveaux Italiens” , une initiative visant à faciliter l’intégration professionnelle de conducteurs étrangers.

La première phase de cette campagne de recrutement international s’est d’abord concentrée sur l’Amérique latine, notamment le Pérou et l’Équateur, générant une centaine de candidatures. Fort de ce premier succès, le programme élargit maintenant son périmètre en ciblant de nouveaux pays, parmi lesquels le Maroc, mais aussi l’Albanie et le Pakistan.

Consciente des enjeux liés à l’intégration de ces nouveaux collaborateurs, la société gestionnaire des transports milanais déploie des mesures attractives. Elle propose notamment des avantages substantiels incluant le financement des permis de conduire et l’attribution de primes.

Des négociations avec les organisations syndicales sont également en cours pour revaloriser les conditions salariales et améliorer les horaires de travail. La barrière linguistique reste néanmoins un obstacle significatif dans ce processus de recrutement international. Les responsables du programme travaillent activement à l’élaboration de solutions adaptées pour surmonter ce défi.

NDLR Solidmar : L'Union internationale des transports estime qu'il manque 105 000 conducteurs en Europe, dont 10 000 rien qu'en Italie. Une situation qui est appelée à s'aggraver : d'ici 2028, on s'attend à une pénurie de 275 000 chauffeurs. En Italie, les principales causes de cette crise sont les bas salaires et le travail posté. Un nouvel employé d'ATM [Azienda Trasporti Milano], par exemple, gagne environ 1 500 euros [15 000 dirhams] par mois, ce qui ne permet pas d'affronter le coût de la vie, notamment du logement, dans la métropole italienne. 200 conducteurs ont démissionné durant les 6 premiers mois de 2024.

dimanche 22 décembre 2024

Enquête pour corruption au Parlement européen (Qatargate/Moroccogate) : des journalistes et militants marocains demandent à être parties civiles

Cinq opposants au gouvernement marocain se sont constitués parties civiles devant la justice belge, estimant que l’ingérence et la corruption présumées au sein du Parlement européen ont empêché celui-ci de condamner avec conviction les atteintes aux droits humains commises par Rabat, rapporte le quotidien Le Soir lundi.

Agence Belga, 16/12/2024

Vasco Gargalo

Ces opposants sont Ali Reda Ziane, le fils de l’avocat Mohammed Ziane, 81 ans, ex-bâtonnier et ex-ministre des Droits de l’homme, condamné à trois ans de prison ferme au Maroc; le journaliste d’investigation Omar Radi, âgé de 38 ans, il a été condamné en 2021 à six ans de prison - gracié par le roi Mohammed VI, il a été libéré en juillet dernier - pour atteinte à la sûreté de de l’Etat, viol et attentat à la pudeur; Fouad Abdelmoumni, un économiste et militant des droits de l’homme, poursuivi pour avoir dénoncé sur les réseaux sociaux l’espionnage de personnalités françaises avec le logiciel Pegasus; Hicham Mansouri, journaliste ciblé par le logiciel espion Pegasus et condamné en 2015 à dix mois de prison - il vit aujourd’hui en France. Enfin, Soulaimane Raissoumi est lui aussi journaliste et critique du gouvernement chérifien, il a - comme Omar Radi - été condamné en 2021 pour "viol avec violence et séquestration" et gracié trois ans plus tard.

Ils ont mandaté l’avocat parisien Mohamed Jaite et sa consœur bruxelloise Delphine Paci pour porter leurs constitutions de parties civiles et donc les représenter devant la chambre des mises en accusation qui, à Bruxelles, a la charge de contrôler la légalité de l’instruction ouverte en 2022. La prochaine audience aura lieu le 7 janvier 2025.

Pour l’avocate Delphine Paci, « les plaignants se sentent préjudiciés par les actions d’ingérence menées par les inculpés et par les organismes grâce auxquels ils sévissaient - dont l’ASBL Fight Impunity - pour favoriser les politiques publiques menées par le Maroc. Les inculpés ont par exemple légitimé la répression faite à l’égard des parties civiles alors qu’elles s’exprimaient contre le régime et en faveur des droits humains ».


samedi 21 décembre 2024

Simone Bitton, celle qui suture

Nadia Meflah, Astérisque, 27/9/2024

Nadia Meflah est autrice, critique,  programmatrice et formatrice cinéma. Elle est autrice d’un documentaire sur Oum Kalthoum, « La voix du Caire » (Arte, 2017) et du livre « Chaplin et les femmes » (éd. Philippe Rey). Elle est aussi scénariste pour des cinéastes du Sud, (Maroc, Mauritanie, Burkina Faso) et engagée dans des programmes de formation cinéma en France et à l’international.

Tout cinéaste documentariste s’engage dans les troubles du réel et c’est aussi un chemin que chacun et chacune emprunte afin de raconter et de témoigner ce qui fait présence, incarnation et trace. Avec Simone Bitton, cet engagement se noue, depuis ses débuts, dans les plis politiques, et donc intimes, des territoires qui nous habitent, aussi déchirants soient-ils. Portrait de Simone Bitton, Prix Charles Brabant 2024, pour l’ensemble de son œuvre.


Être une femme juive, arabe, occidentale, mais aussi française, marocaine et israélienne, qu’est-ce que ces plis et replis ? Une trinité enlacée dans l’histoire contemporaine du colonialisme comme des guerres d’indépendance. De cette filiation quasi cristallisante, la cinéaste en fera sa matière qu’elle ne cessera de malaxer, dans un travail rigoureux de mémorialiste, où le dialogue, comme le questionnement, est au service d’un engagement inaliénable contre toute forme de domination.

Et dès lors, comment renouer ce que le temps de la guerre ne cesse de dénouer ? Ce récit est connu, il remonte même au mythe ravageur d’Abel et Caïn, ce fratricide qui, depuis plus de soixante quinze ans, hante et lacère nos consciences. Et c’est parce que la cinéaste n’a jamais cessé de raconter ces récits de corps et de territoires, tant personnels que géopolitiques, qu’il faut remonter aux origines, comme on tisserait une cartographie du cœur, pour tracer un chemin unique d’existentialisme en cinéma.

Naître et vivre dans les guerres

1955 est une année cruciale pour le Maroc, c’est aussi la naissance à Rabat de la jeune Simone Bitton, fille d’un bijoutier juif marocain. L’expérience coloniale est inscrite dans l’apprentissage dès langues, car si l’arabe est sa langue maternelle, le français est celle du savoir et du pouvoir. C’est ce « butin de guerre » que tout colonisé connaît, la maîtrise de la langue de l’occupant.

Le 2 octobre 1955 marque les débuts de la guerre contre la colonisation française, jusqu’à la proclamation de l’indépendance du pays en mars 1956, mettant fin à quarante quatre ans de protectorat français. Une autre guerre se jouait déjà, celle qui débuta après la création d’Israël en mai 1948. D’une présence multimillénaire au Maroc, la communauté juive, doublement marquée par ces deux ruptures historiques, va quasiment disparaître en quelques années. En 1948, les Juifs marocains représentaient la plus grande communauté juive du monde arabe et musulman avec près de 265 000 personnes. En 2024, ils sont moins de 800.

C’est ainsi que la jeune Simone, à peine âgée de onze ans, devra quitter son pays natal pour Israël. Nous sommes en 1966, quelques mois avant la Guerre des Six jours. Comment imaginer cette adolescence pour une jeune fille qui doit apprendre une nouvelle langue dans un nouveau pays, où le sionisme, comme les réalités du colonialisme, représente sa vie quotidienne ?

Il y a une ironie de l’histoire dans ce dédoublement de la guerre coloniale qu’aura vécu, à son corps défendant, la jeune fille. Toute assignation identitaire relève du monstrueux et c’est hélas dans l’expérience indicible de la guerre que Simone Bitton la vivra. Comme toute citoyenne israélienne, la guerre est un vécu du présent, une obligation morale quasi phénoménologique. En 1973, à dix huit ans, elle se retrouve dans l’armée lors de la guerre du Kippour – nommée aussi Guerre du Ramadan. Elle vit de trop près la mort de ses camarades, non loin du canal de Suez. Traumatisée, elle sera démobilisée. Ce sera sa première guerre israélo-arabe. Un tournant décisif et radical s’opère en elle. Elle quitte Israël pour vivre bohème en Europe, avant de venir s’installer en France, à Paris.

Le cinéma, terre d’accueil

Elle a vingt ans. La capitale française n’a jamais cessé de recueillir les exilés qui y trouvent une terre d’accueil, dans cette ville du cinéma par excellence. Dans la carte du monde, le cinéma est un pays en soi, un espace qui, à cette époque post révolutionnaire, créait des nouvelles formes de langages, comme autant d’espaces de recherche. En France, des collectifs de cinéastes se créent, tels Dziga Vertov (Jean Luc Godard et Jean Pierre Gorin, 1971), Le Grain de Sable (Jean-Michel Carré, Serge Poljinsky, Yann Le Masson, 1974) ou encore Slon, Iskra et le Groupe Medvedkine, avec entre autres Juliet Berto, Bruno Muel, René Vautier, Mohamed Zinet, Inger Servolin et Chris Marker. Entre l’université de Vincennes et les salles de cinéma parisiennes, son apprentissage la plonge au cœur des récits du monde entier, notamment d’Afrique, d’Amérique latine et du monde arabe. Nourrie par cette effervescence culturelle et politique, elle a aussi été directement touchée par une autre révolution en marche, celle des femmes à la caméra, que ce soit Marguerite Duras, Nelly Kaplan, et surtout Chantal Akerman. Dans un entretien paru dans la revue 24 Images (novembre 2004), elle témoigne de l’importance fondatrice de la cinéaste :

Les premiers films d’Akerman ont réellement changé ma vie, je lui serai toujours reconnaissante d’exister, d’avoir eu le courage un peu insensé, peut-être inconscient, de dire : voici ce qu’une femme peut faire. Et une femme, vous savez, pour exister doit être meilleure que les hommes, sinon c’est perdu d’avance. Elle était meilleure que les hommes. Surtout au cadre. Elle a révolutionné le cadre et le temps. Aujourd’hui encore, je ne peux pas faire un plan-séquence sans penser à elle !

Elle poursuit sa formation en intégrant l’Institut des Hautes Études Cinématographiques (IDHEC ex FEMIS). Alors que le cinéma documentaire propose un contre modèle face au cinéma de divertissement dominant, le monde occidental, impérial et impérieux dans le commerce des images, reste mutique face à ses responsabilités, notamment ses histoires coloniales. Les blancs de l’histoire persistent, entre amnésie, déni et manipulation. Parce qu’elle porte en elle une trinité déchirante, elle deviendra la première cinéaste à raconter l’histoire de la Palestine. Avant elle, aucune archive palestinienne n’avait été montrée aux citoyens français. De fait, toute histoire tue deviendra sa matière à filmer, pour documenter le réel oblitéré par les récits dominants, qu’ils soient du pouvoir français, marocain ou israélien. Lorsqu’elle réalise ses premiers films, le cinéma documentaire est quasiment absent des salles de cinéma. Hormis quelques festivals, les documentaires ont pour seule visibilité la télévision publique.

Au nom du service public

Au début des années 80, avant la privatisation accélérée des médias par des industriels milliardaires, elle s’engage totalement au service de la télévision publique, avec l’Institut National Audiovisuel. Dans la continuité d’autres cinéastes tels que Sarah Maldoror, Robert Kramer, qui partagent avec elle l’expérience de l’exil comme du combat pour la dignité humaine, elle ne cessera d’arpenter les mémoires vivantes qui traversent la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Elle réalisera pas moins d’une douzaine de films documentaires : des portraits (Nissim et Chérie, La vie devant elles, Nos mères de Méditerranée, Citizen Bishara) une biographie politique (Ben Barka, l’équation marocaine) l’enquête (L’attentat, Rachel) des chroniques courtes sur la vie quotidienne à Ramallah (Ramallah daily) des dialogues filmés (Elias Sanbar et Serge Daney, Mahmoud Darwish) des portraits d’artistes du monde arabe (Les grandes voix de la chanson arabe).

Ces portraits intimistes de femmes, de couples, d’écrivains et d’hommes politiques s’inscrivent dans les mémoires des immigrations et d’exils, mais aussi dans le combat anticolonial. Son travail est exemplaire, où l’exigence dans la recherche historique va de pair avec le souci, chevillé au corps, de nouer un dialogue entre celles et ceux qu’elle filme et elle-même. Et surtout avec la communauté humaine à qui le film, toujours, est adressé, ce tiers inclus dès le processus de création.

Dialoguer en cinéma

Ce tiers, c’est aussi elle, dans les interstices du film, une citoyenneté inquiète et vigilante qui veut saisir ce réel assourdissant. Chacun de ses films est cette expérience de l’altérité en question et en souffrance, la sienne bien sûr, mais surtout de tout le monde. Elle crée ce cadre où se dépose des traces de vie en suspens, des vies borderline, lorsque ce ne sont pas tout simplement des disparus… Chacun est accueilli dans son cinéma, elle archive ce qui se dépose, silences comme larmes, poèmes comme colères, et peut-être aussi, parfois elle console. Elle est cette éclaireuse du langage pluriel, pour qui la parole a une fonction quasi thérapeutique, cette suture des mots qui manifeste une présence, un corps, même dans ses brisures et murmures, afin de raccorder ce que le social détruit. Que ce soit avec le poète exilé Mahmoud Darwish (Mahmoud Darwich : et la terre comme langue, 1997) avec l’essayiste Elias Senbar qui dialogue en fraternité territoriale avec le critique de cinéma Serge Daney (Conversation Nord-Sud, Daney/Sanbar, 1993) ou avec le philosophe palestinien et député au parlement israélien, Azmi Bishara, (Citizen Bishara, 2001). Le dialogue suppose une écoute, comme un désir partagé de créer un tiers lieu dans lequel chacun peut déployer les possibilités de penser/panser le monde.

Prendre à bras le corps ses filiations

Juive arabe européenne, marocaine, israélienne, française. Une réalité existentielle qui façonne son destin de cinéaste. Et, dans une évidence quasi originelle, elle devient la première réalisatrice française à prendre à bras le corps l’histoire de la colonisation palestinienne. Trois années de recherche et de travail sur les archives pour la réalisation d’une série de deux films, Palestine, Une histoire de terre, avec comme directeur de collection Jean Michel Meurice (1993). Nul ne peut échapper à la terre surtout celle qui se vit dans la guerre, et comme Rithy Panh mémorialiste du génocide cambodgien, Simone Bitton ne cessera de revenir en Israël comme en Palestine pour filmer ce qui ne fera qu’empirer. Dès 1983, soit dix ans après sa fuite de la guerre du Kippour, elle retourne en Israël pour filmer ce voyage si particulier, ce sera La réunion d’entre deux guerres.

Après son grand film documentaire d’archives sur l’histoire de Palestine, ce sera la guerre qui sans cesse la fera revenir. Le 4 septembre 1997, trois jeunes Palestiniens se sont fait sauter dans une rue piétonne de Jérusalem, causant la mort de cinq civils israéliens dont trois adolescentes. L’une d’elles était la petite-fille d’un célèbre pacifiste israélien, Mati Peled. Elle se souvient :

Je n’étais pas en Israël à ce moment-là, j’étais à Paris. Mais je suis arrivée très vite, et je me suis rendue à l’enterrement de Smadar, la petite-fille de Mati Peled, avec des amis palestiniens de Ramallah qui ont bravé le bouclage des territoires pour déposer une fleur sur sa tombe. J’ai connu Mati Peled, en son temps j’avaissoutenu la liste progressiste pour la paix, le parti politique israélo- palestinien dont il avait été député. J’étais particulièrement bouleversée par la tragédie qui s’abattait sur cette famille. Je n’avais pas de caméra ce jour-là et je ne pensais absolument pas faire un film, mais il est certain que la motivation profonde est venue de l’émotion très forte que j’ai ressentie à cet enterrement. Le film s’est fait entièrement avec les familles des victimes israéliennes et les familles des kamikazes. Mon idée était que ces gens qui avaient perdu un enfant – peut-être pas le lendemain mais quelques mois après – sauraient peut-être mieux exprimer la guerre et la paix que d’autres.

Ce sera L’Attentat (1998) qui sera primé dans de nombreux festivals.

Face au réel, seul le cinéma

Une rencontre fut décisive dans sa vie pour son passage au cinéma, ce fut avec le producteur Thierry Le Nouvel. Mais le basculement fut encore une fois une catastrophe politique. Il s’agit de la construction d’un mur, ordonnée par le gouvernement d’Ariel Sharon, entre Israël et la Cisjordanie. En 2002, Simone Bitton écoute aux informations le ministre de la défense israélien Binyamin Ben-Eliezer évoquer la possibilité de construire un mur de séparation. De ce réel quasi inimaginable, elle en fera une œuvre magistrale Le Mur, son premier film de cinéma sélectionné à Cannes en 2004 et primé dans de très nombreux festivals internationaux. Organique et abstrait, le film déroule une réalité implacable, la construction du mur, à chaque étape, qui enferme, emprisonne, sépare, éventre, érige, obstrue. Elle a choisi de filmer la matérialité même de ce mur qui s’érige comme une nouvelle espèce, totem politique délirant en béton de huit mètres de haut et de tronçons de barbelé et pourtant concret, bien là. Un sur-visible qui va jusqu’à engloutir l’écran.

Si les pouvoirs politiques ne cessent de trahir les peuples, le cinéma demeure le seul espace temps qui recueille l’indicible comme l’inaudible. La banalité du mal n’est pas tant celle du régime des images qui voit ses possibilités de langage se rétrécir, au détriment de l’imposition d’un récit unilatéral qui ne cesse de falsifier le réel, et ce par les plus hautes instances. Que peut le cinéma face à cette guerre de destruction en cours depuis plus de onze mois ? Tout, et il est évident que le cinéma documentaire relève d’une éthique du réel, et non de la manipulation telle qu’elle se déploie avec une rare férocité depuis la fascisation des sociétés occidentales. Le temps du cinéma relève du temps humain, plus encore avec Simone Bitton qui vient avec sa caméra ausculter et enregistrer ce que le discours officiel efface.

Voix matricielles

Toute langue est la matrice d’une perte, et l’hybridation linguistique dans laquelle est plongée la cinéaste crée aussi une triple absence. Serait-ce cette mère allée ? L’éternité, ultime rêve du cinéma ? Sa quatrième langue est le montage, mon beau souci, selon l’adage godardien ( Les Cahiers du cinéma, 1965). Simone Bitton est aussi et surtout monteuse, naviguant entre ses langues et la multiplicité des outils de langage que le cinéma offre. Nul sacré dans son art si ce n’est celle de la présence humaine, aussi fragile soit-elle. Il n’est pas anodin de noter que sa première réalisation, un court métrage documentaire nominé aux Césars en 1983, Solange Giraud née Taché, revient sur le suicide d’une jeune coiffeuse de province. Le suicide, ce tabou qui hante la société moderne… Une anonyme que la jeune cinéaste qu’elle est permet d’exister. La tragédie intime féminine, c’est aussi retracer les chemins de l’exil au cœur de la méditerranée, cette matrice des mondes occidentaux et orientaux. Rendre visible et audible ce que le temps politique avale. Raconter autrui pour mieux se rapprocher de soi ? Dans ce geste rimbaldien, la cinéaste est allée à la rencontre de Christiane l’Italienne, Norma la Palestinienne, Jacqueline la Juive algérienne et Nadira la Kabyle (Nos mères de Méditerranée, 1982). Lorsqu’en 1986 elle réalise La vie devant elles, documentaire sur la jeunesse, elle remonte le fil des filiations et des mémoires des immigrations françaises, invisibilisées dans le roman national. Trois ans après la Marche pour l’Égalité et contre le Racisme, le cinéma français est encore frileux à raconter son histoire des immigrations, constitutive de son roman national. Le thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef (1985) fera hélas exception durant de trop nombreuses années. C’est dire combien la cinéaste documentariste était d’une vigilance aiguisée sur tout ce qui relevait des tremblements, mémoires et blessures identitaires. Ce titre volontairement optimiste, clin d’œil à Romain Gary, restera peut-être son unique titre le plus ouvert aux espérances.

En effet, plus de vingt ans plus tard, en 2008, ce sera Rachel, son deuxième long métrage de cinéma, qui revient sur la mort d’une jeune américaine, Rachel Corrie. Âgée de vingt trois ans, cette militante pour la paix a été écrasée le 16 juin 2003 par un bulldozer de l’armée israélienne, à Rafah dans la bande de Gaza, alors qu’elle tentait de s’opposer à la destruction de maisons palestiniennes. A cette mort atroce, autant niée par l’armée israélienne que la justice du pays, la cinéaste oppose toute la rigueur d’une enquête cinématographique.

Au cinéma, le résultat de l’enquête compte moins que le fait même d’enquêter. Il s’agit de filmer et d’observer des lieux, des gens, des objets ; de recueillir des paroles, des gestes et des silences. De faire jaillir l’émotion des matières les plus froides et les plus dures, comme les images d’une caméra de surveillance ou le métal lisse d’une table d’autopsie.

Cette exigence l’amène à montrer dès le générique les images du corps démembré de la jeune Rachel, alors que le film se révèle au fil du récit une ode à la jeunesse, où la poétique affleure par la voix off de Rachel et une écriture cinématographique mixte.

El Hob, le chant de l’amour

Qu’est-ce qui relie Oum Kalthoum, Mahmoud Darwish, Farid Al Atrache et Mohamed Abdelwahab. Simone Bitton certes, mais surtout le tarab, cette émotion artistique d’intensité maximale. Cet amour qui devient extase et communion des sens entre le spectateur et le créateur, où l’âme s’élève au firmament d’une ivresse esthétique, spirituelle. Cette langue arabe qui porte en elle la puissance de la mélancolie, entre incantation à l’absolue et puissance de la perte.

En 1990, elle réalise trois portraits des stars mythiques de la chanson arabe : Oum Kalsoum, Mohamed Abdelwahab et Farid Al Atrache, suivi six ans plus tard de Mahmoud Darwich : et la terre comme langue, 1997). Leurs mots chantés, scandés, c’est l’amour, el Hob, non romantique ni même romanesque. Il n’est que perte, arrachement, quête et déracinement ; mélancolie de l’ivresse déjà évanouie, extase en suspension, toujours inaccomplie, à jamais recherchée.

Cet amour morcelé, elle le retrouvera, presque intimement, lorsqu’elle s’autorise enfin à faire son propre pèlerinage cinématographique avec Ziyara son dernier film sorti en 2002. Si la mort a dès son premier court métrage marqué de son sceau tout son cinéma, avec ce vrai faux retour au pays natal, le Maroc, elle trace un chemin d’amour par la présence ténue des morts.

Tel un spectre, elle se filme, déambulant dans les cimetières, à la recherche de quelque chose qui n’existe presque plus. Des tombes juives entretenues manuellement et quotidiennement par des femmes et des hommes arabes, musulmans. Film le plus énigmatique de sa carrière, il n’en est pas moins le plus arrimé à la politique du corps, celui de la résistance à tout, au nom de l’amour. C’est entre les tombes, dans son errance intérieure, que la cinéaste nous offre son portrait le plus lucide et aussi le plus émouvant. Aucun pays ne nous appartient, la terre nous est légère, et nous n’avons perdu ce qui jamais de fait nous avait appartenu. C’est aussi une des énigmes que le film revisite, ce qu’opère en chacun de nous un retour à quelque chose qui n’existe plus et qui fait pourtant advenir quelque chose que l’on pensait oublié. Ne serait-ce pas là tout ce que le cinéma, dès ses origines, permet et offre à l’humanité, un espace-temps ?


vendredi 20 décembre 2024

Rapport de l’ONU: La faim dans la région arabe atteint un nouveau sommet alors que les défis s’intensifient

 

Détérioration de la sécurité alimentaire au Maroc et dans le monde arabe. Le rapport «Aperçu régional de la sécurité alimentaire et de la nutrition pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord» a révélé que le pourcentage de personnes sous-alimentées au Maroc est passé de 6,4% entre 2020 et 2022 à 6,9% entre 2021 et 2023. Le rapport, publié par six organisations des Nations unies, dont la FAO et le Programme alimentaire mondial, indique que le nombre de personnes souffrant de malnutrition au Maroc a atteint 2,3 millions durant cette période. Au niveau de la région arabe, environ 62,1 millions de personnes, soit 13,4% de la population, souffrent de la faim, avec des chiffres élevés enregistrés dans des pays comme le Yémen (13,3 millions), la Somalie (des dizaines de millions), l'Égypte (9,4 millions), l'Irak (7,2 millions), la Syrie (7,6 millions) et le Soudan (5,3 millions). 

Bureau régional de la FAO pour le Proche-Orient et l'Afrique du Nord, Le Caire, 18/12/2024

Les agences onusiennes appellent à un financement renforcé et plus important de la transformation des systèmes agroalimentaires pour combattre la faim et la malnutrition dans la région

Gaza : terres agricoles et infrastructures agricoles endommagées. Les indicateurs de sécurité alimentaire et de nutrition devraient encore se détériorer en raison des conflits en cours et des sécheresses persistantes dans de nombreuses régions de la région arabe. ©FAO/Yousef Alrozzi


Avec l’intensification des crises en 2023 dans la région arabe, la faim s’est exacerbée, selon un rapport lancé aujourd’hui par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole (FIDA), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale (CESAO). 

Le rapport, intitulé «Aperçu régional de la sécurité alimentaire et de la nutrition pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord», met en garde contre le fait que la région arabe demeure loin d’atteindre les cibles de sécurité alimentaire et de nutrition des Objectifs de développement durable d’ici à 2030. 

En 2023, 66,1 millions de personnes, soit environ 14 pour cent de la population de la région arabe, ont été confrontées à la faim. Le rapport souligne que l’accès à une alimentation adéquate reste difficile pour des millions de personnes. Approximativement 186,5 millions de personnes – 39,4 pour cent de la population — sont confrontées à une insécurité alimentaire modérée ou grave, soit une augmentation de 1,1 point de pourcentage par rapport à l’année précédente. Fait alarmant, 72,7 millions de personnes ont été confrontées à une insécurité alimentaire grave.  

Selon les analyses du rapport, les conflit est le principal facteur de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition dans la région. Les défis économiques, les fortes inégalités de revenus et les phénomènes climatiques extrêmes jouent également un rôle important. La hausse des prix des denrées alimentaires a aggravé la crise. En 2023, les taux de sous-alimentation dans les pays touchés par un conflit ont grimpé à 26,4 pour cent, soit quatre fois plus que les 6,6 pour cent enregistrés dans les zones non touchées par un conflit. 

Malheureusement, les indicateurs de sécurité alimentaire et de nutrition devraient encore se détériorer à cause des conflits en cours associés aux sécheresses persistantes dans de nombreuses régions de la région. 

Principales conclusions au-delà de la faim 

L’accessibilité économique à des régimes alimentaires sains reste un problème crucial, qui touche plus d’un tiers de la population de la région arabe. En 2022, de nouvelles données sur les prix des denrées alimentaires et des améliorations méthodologiques ont révélé que 151,3 millions de personnes n’avaient pas les moyens d’avoir accès à un régime alimentaire sain. Les pays touchés par un conflit affichent les taux les plus élevés, avec 41,2 pour cent de leur population n’ayant pas les moyens de s’offrir un régime alimentaire sain. 

Le rapport souligne que la région arabe continue de souffrir du triple fardeau de la malnutrition, notamment les tendances haussières de l’obésité chez les enfants et les adultes, de l’émaciation et des carences en nutriments telles que l’anémie chez les femmes. 

Bien que des progrès aient été accomplis en termes de réduction des taux de retard de croissance de 28 pour cent en 2000 à 19,9 pour cent en 2022, la réalisation des objectifs nutritionnels dans la région arabe reste un défi. La prévalence de l’émaciation chez les enfants a également dépassé la moyenne mondiale, les pays à faible revenu affichant les taux les plus élevés (14,6 pour cent). 

En 2022, 9,5 pour cent des enfants de moins de cinq ans étaient en surpoids, soit près du double de la moyenne mondiale. Il s’agit là d’une augmentation de 8 pour cent depuis l’année 2000, les taux les plus élevés étant observés en Libye, en Tunisie et en Égypte. 

Selon l’Aperçu régional de la sécurité alimentaire et de la nutrition pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord, la prévalence de l’anémie chez les femmes âgées de 15 à 49 ans était de 33,2 pour cent en 2019, ce qui est supérieur à la moyenne mondiale, les taux les plus élevés étant enregistrés dans les pays à faible revenu (43,9 pour cent).  

En dépit de quelques améliorations, les taux d’obésité chez les adultes dans les États arabes restent alarmants, avec une prévalence de 32,1 pour cent en 2022, soit plus du double de la moyenne mondiale. Les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure affichent les taux les plus élevés (33,8 pour cent), avec l’Égypte, le Qatar et le Koweït en tête.  

Favoriser la transformation agroalimentaire grâce à un financement innovant 

Le thème du rapport de 2024, «Financer la transformation des systèmes agroalimentaires pour la sécurité alimentaire et la nutrition», souligne la nécessité d’une stratégie globale pour atteindre l’ODD 2: Faim zéro. Il met l’accent sur la nécessité de transformer et de renforcer les systèmes agroalimentaires, de s’attaquer aux inégalités et de veiller à ce que des régimes alimentaires sains soient abordables et accessibles à tous. 

L’Aperçu régional de la sécurité alimentaire et de la nutrition 2024 pour la région NENA lance un appel urgent à un financement plus important et plus rentable. Il recommande des mécanismes de financement innovants — tels que les dotations en capital, le financement basé sur les résultats, le financement climatique, les échanges de créances, les engagements préalables sur le marché et les incubateurs d’innovation — pour combler le déficit de financement. Le rapport met en évidence la nécessité d’adapter ces approches aux capacités financières de chaque pays et d’aligner les objectifs des parties prenantes afin de préserver les systèmes agroalimentaires. Il appelle, en plus, à la mise en place d’environnements réglementaires favorables et à l’amélioration des politiques dans le but d'attirer les capitaux vers ces instruments innovants.  

«Il est à présent crucial d’optimiser l’utilisation des ressources publiques existantes et d’obtenir des financements supplémentaires pour impulser des effets positifs au niveau des systèmes agroalimentaires, socio-économiques et environnementaux. Les instruments financiers innovants sont essentiels pour transformer les systèmes agroalimentaires dans les États arabes et combler le déficit de financement», a déclaré le Sous-Directeur général de la FAO et Représentant régional de la région NENA, Abdulhakim Elwaer, dans l’avant-propos conjoint du rapport, aux côtés de la Directrice régionale de la Division Proche-Orient, Afrique du Nord et Europe du FIDA, Dina Saleh; le Directeur régional de l’UNICEF pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, Edouard Beigbeder; la Directrice régionale du PAM pour le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Europe de l’Est, Corinne Fleischer; la directrice régionale de l’OMS pour la Méditerranée orientale, Dr. Hanan Balkhy; et  la secrétaire exécutive de la CESAO, Rola Dashti.  

Les agences onusiennes affirment que les conclusions du rapport donneront un nouvel élan à la transformation des systèmes agroalimentaires dans la région arabe, en créant des systèmes agroalimentaires plus efficaces, plus inclusifs, plus résilients et plus durables pour les populations et la planète. 

S’appuyant sur les conclusions du rapport, les agences onusiennes ont publié la «Déclaration du Caire sur le financement de la transformation des systèmes agroalimentaires dans la région du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord» lors de l’événement de lancement organisé aujourd’hui. Dans cette déclaration, elles assurent leur engagement à approfondir la collaboration entre elles et avec les banques de développement internationales et régionales, le secteur privé et les gouvernements nationaux. Cet effort de collaboration vise à développer, augmenter et déployer des ressources financières supplémentaires pour soutenir la transformation des systèmes agroalimentaires régionaux afin de parvenir à la sécurité alimentaire et à la nutrition. 

Les agences des Nations Unies proposent également de lancer des plateformes de financement collaboratif. Ces initiatives se feront en collaboration avec les gouvernements bénéficiaires, les partenaires de développement et de financement pour atteindre l'ODD2.

 Glossaire des termes clés 

  • Régimes alimentaires sains: cela inclut quatre aspects essentiels: la diversité (au sein des groupes alimentaires et entre eux), l’adéquation (suffisance de tous les nutriments essentiels par rapport aux besoins), la modération (aliments et nutriments ayant de faibles résultats sur la santé) et l’équilibre (apport en énergie et en macronutriments). Les aliments consommés doivent être sûrs. 
  • Faim: sensation inconfortable ou douloureuse causée par une insuffisance d’énergie causée par l’alimentation. Dans ce rapport, le terme faim est synonyme de sous-alimentation chronique et est mesuré par la prévalence de la sous-nutrition (PoU). 
  • Malnutrition: état physiologique anormal causé par un apport inadéquat, déséquilibré ou excessif de macronutriments et/ou de micronutriments et/ou par une maladie qui entraîne une perte de poids. La malnutrition comprend la sous-nutrition (retard de croissance et émaciation), les carences en vitamines et minéraux (également appelées carences en micronutriments) ainsi que le surpoids et l’obésité. 
  • Insécurité alimentaire modérée: niveau de gravité de l'insécurité alimentaire des personnes confrontées à des incertitudes quant à leur capacité à obtenir de la nourriture et contraintes de réduire, à certains moments de l’année, la qualité et/ou la quantité de nourriture qu’elles consomment en raison d’un manque d’argent ou d’autres ressources. Il s’agit d’un manque d’accès régulier à la nourriture, qui diminue la qualité de l’alimentation et perturbe les habitudes alimentaires. Elle est mesurée à l’aide de l'échelle de l’insécurité alimentaire vécue et contribue à suivre les progrès accomplis dans la réalisation de la cible 2.1 de l’ODD (indicateur 2.1.2). 
  • Insécurité alimentaire grave: niveau de gravité de l'insécurité alimentaire auquel, à un moment donné de l’année, les gens ont manqué de nourriture, ont connu la faim et, dans les cas les plus extrêmes, sont restés sans manger pendant un jour ou plus. Elle est mesurée à l'aide de l’échelle de l’insécurité 

jeudi 19 décembre 2024

Une première : le Maroc extrade vers Israël un jeune Palestinien accusé de terrorisme

Le Maroc a extradé le mardi 17 décembre 2024, un Palestinien vers Israël. Nassim Khalibat, 21 ans, recherché par Israël, s'était réfugié au Maroc avant d’y être arrêté en janvier 2023, sur la base d’un mandat d’arrêt émis par les autorités israéliennes en décembre 2022. Un tribunal marocain avait validé cette demande en juin 2023. Les deux complices présumés de Khalibat avaient déjà été arrêtés et jugés à Nazareth.  Nassim Khalibat risque une condamnation à 15 ans de prison.

Khalibat est accusé, avec son frère et un proche, d'avoir lancé une grenade sur un bureau du ministère de la Santé israélien à Nazareth le 8 novembre 2021, ne causant que des dégâts minimes et ne faisant aucune victime.

La demande d’extradition israélienne, formulée en 2023, a été acceptée malgré l’absence d’un accord formel entre les deux pays en matière d’extradition. Cependant, les Accords d’Abraham, signés en décembre 2020 et ayant normalisé les relations entre le Maroc et l’État sioniste, ont rendu cette procédure possible.

Plusieurs organisations marocaines de défense des droits humains  avaient publiquement demandé aux autorités de ne pas extrader le jeune Palestinien.

L’extradition de Nassim Khalibat a suscité une vague d’indignation au sein de l’opinion publique marocaine. Sur les réseaux sociaux, les questions se multiplient au sujet de la coopération judiciaire, diplomatique et sécuritaire entre le Maroc et Israël, dans un contexte où les autorités marocaines pénalisent les mouvements de résistance contre la normalisation.

Un exemple marquant est celui d’Ismail Lghazaoui, militant du mouvement BDS (« Boycott, Désinvestissement, Sanctions »), condamné à un an de prison ferme pour avoir dénoncé l’accostage à Tanger de navires  transportant des armes destinées à l’État sioniste.


 

mercredi 18 décembre 2024

L’Inde investit massivement dans l’industrie de défense au Maroc

 actu-maroc, 17/12/2024

mardi 17 décembre 2024

Problématique des viandes rouges au Maroc : Mesures, limites et défis d’approvisionnement

El Mostapha BAHRI, économiste, La Tribune, 19/11/2024


Le Maroc a connu, ces dernières années, une crise hydrique persistante. Les conséquences de cette situation ont impacté l’élevage qui vit des moments très difficiles. Ainsi les prix des viandes rouges sont montés en flèche, depuis le début de l’année 2022[1]. En effet, les prix de la viande bovine s’affichent généralement dans les villes entre 100 et 120 dirhams le kilo, tandis que la viande ovine se négocie entre 130 et 150 dirhams le kilo (en fonction des villes et de la qualité)[2].
A cause de la flambée des prix, les bouchers ont vu leur activité connaître un ralentissement significatif. En effet, ces prix pèsent lourdement sur les budgets des ménages, particulièrement ceux à revenus limités, qui se sont vus contraints de se tourner vers des alternatives alimentaires moins coûteuses[3] ; d’où le besoin urgent d’initiatives concrètes pour stabiliser le marché des viandes.
 Devant cette situation, le ministère de l’agriculture a présenté un plan pour enrayer cette hausse incessante des prix des viandes. Il a pris, ainsi, une série de mesures, telles que des aides permanentes à l’alimentation du bétail, le maintien des importations de bétail, ainsi que l’ouverture de nouveaux marchés d’importation, tels que ceux d’Amérique latine, ou encore l’annulation des taxes à l’importation[4].
Néanmoins, toutes les actions menées et les efforts déployés semblent ne pas avoir donné de résultats. Ainsi, et toujours dans le but de juguler les hausses continues des prix des viandes, le département a initié un autre projet relatif à l’importation des viandes.
En effet, et dans ce cadre, l’ONSSA a annoncé le 21 octobre sa décision d’autoriser l’importation de viandes rouges fraîches (congelées ou réfrigérées) de mouton et de chèvre en provenance de l’Union européenne, de la Russie, des États-Unis, et d’autres pays. L’office a également indiqué que « toutes les viandes importées devront être accompagnées d’un certificat sanitaire émis par les autorités compétentes du pays d’origine, ainsi que d’un certificat halal, et que chaque importateur doit disposer de magasins de stockage de viande et que chaque opération d’importation sera soumise à des inspections dans des centres dédiés à cet effet[5]« .
Et s’agissant de cette dernière décision, les professionnels du secteur de l’élevage anticipent que les importations, y compris celles de viande rouge, ne suffiront pas à freiner la flambée des prix sur le marché national. Cette hausse persistante des prix de la viande s’explique en grande partie par la sécheresse sévère qui frappe le Maroc depuis près de six ans, aggravant une crise qui impacte l’ensemble de la filière[6].
En effet, certains experts du secteur jugent que la hausse « prévisible et inévitable » continue en l’absence de mesures pour créer une réelle concurrence et limiter le monopole de grands importateurs. Mohamed Jebli, président de la Fédération marocaine des acteurs de la filière de l’élevage (FMAFE), a expliqué, dans une déclaration, que la viande rouge importée n’aura que peu d’effet sur le marché marocain, car elle est moins prisée que la viande locale[7].
Le président suscité a proposé pour favoriser une diminution des prix, « d’octroyer des autorisations d’importation aux transporteurs », ce qui ouvrirait le marché à davantage d’importateurs capables de distribuer le bétail dans les différentes régions du pays. Actuellement, seuls certains importateurs utilisent des bateaux pour acheminer les animaux, alors que d’autres, équipés de camions, peinent à concurrencer ce mode de transport plus coûteux et centralisé, renforçant ainsi le monopole existant[8].
De ce qui précède, plusieurs décisions ont été prises sans pouvoir arriver aux résultats escomptés. Les raisons résident dans les limites de la mise en œuvre de ces décisions. En deuxième lieu, ce sont des solutions ponctuelles qui ne peuvent résoudre le problème de l’approvisionnement du marché en viandes et stabiliser les prix que temporairement. En troisième lieu, toutes les décisions prises n’ont pas fait l’objet de grandes concertations et ont écarté plusieurs intervenants de la filière de l’élevage. Enfin, il semble que les décideurs ne tirent pas d’enseignements des expériences réussies dans le passé, telle la politique suivie pendant plusieurs années pour encourager la production du lait et ce, par l’importation de vaches et l’encouragement des petits éleveurs à les acquérir, moyennant la prise en charge d’une partie du prix et l’encadrement sanitaire gratuit pendant plusieurs années. Le résultat était très positif et notre pays a assuré l’approvisionnement du marché d’une manière régulière et normale. Malheureusement, ces efforts risquent de ne pas durer vus les problèmes rencontrés par les petits éleveurs, en l’absence de toute action du département de l’agriculture en leur faveur.
En conclusion, la crise des viandes rouges au Maroc met en évidence les défis complexes et persistants auxquels est confrontée la filière de l’élevage, exacerbés par la crise hydrique et la hausse des coûts d’approvisionnement. Les solutions ponctuelles mises en œuvre jusqu’à présent, bien qu’essentielles, ont montré leurs limites face à une situation structurelle nécessitant des réformes profondes et concertées. Pour parvenir à stabiliser durablement le marché, il apparaît crucial d’encourager des mesures à long terme, inspirées de politiques agricoles ayant fait leurs preuves, telles que l’appui aux petits éleveurs et la diversification des acteurs importateurs. Une démarche plus inclusive et stratégique est indispensable pour répondre efficacement aux besoins des consommateurs et garantir la pérennité du secteur.
Quelques suggestions :

Pour contenir la hausse des prix des viandes rouges au Maroc, certaines actions stratégiques et structurantes pourraient être envisagées.

  • Soutien renforcé aux éleveurs locaux, notamment les petits agriculteurs pour lesquels l’élevage est une source d’appui et complémentaire de leur revenu : accorder des subventions ciblées pour l’alimentation et le suivi sanitaire des animaux, en particulier en période de sécheresse, afin de stabiliser la production locale et réduire les coûts de revient pour les éleveurs. Ce soutien pourrait inclure une assistance technique et des financements pour optimiser l’efficacité des pratiques d’élevage.

  • Diversification des sources d’importation pendant des périodes limitées pour sauvegarder et préserver le métier d’éleveur : assouplir les procédures d’importation et étendre le nombre de pays fournisseurs pour garantir un approvisionnement constant à des prix compétitifs.

  • Encouragement de l’élevage extensif et de proximité : développer des programmes visant à encourager l’élevage extensif et les petites exploitations en zones rurales pour augmenter l’offre locale de viandes rouges. Cela inclurait un appui logistique et technique aux éleveurs de petite et moyenne taille, ainsi qu’un accompagnement financier pour la modernisation de leurs infrastructures.

  • Réduction des taxes sur les intrants agricoles : alléger les taxes sur les aliments pour bétail, les équipements d’élevage et les médicaments vétérinaires afin de diminuer les coûts d’exploitation pour les éleveurs, ce qui pourrait à terme réduire les prix des viandes au détail.

  • Promotion de la recherche et de l’innovation dans la filière : investir dans la recherche pour développer des pratiques d’élevage adaptées aux contraintes climatiques du Maroc. Cela pourrait inclure le développement de races locales plus résistantes à la sécheresse et des solutions alternatives de fourrage adaptées aux climats arides.

  • Ces mesures combinées viseraient à réduire les coûts de production, à développer un élevage adapté aux conditions climatiques du pays, à diversifier les sources d’approvisionnement et à assurer une meilleure stabilité du marché, avec un impact positif sur les prix des viandes rouges au Maroc.

    Notes

[1] Voir évolution des prix de gros des viandes rouges à Casablanca, Media 24, du 27 septembre 2024.

[2] https://fr.le360.ma/ du 7 août 2024.

[3] https://fr.le360.ma/. Op. Cit.

[4] https://maroc-diplomatique.net/ du 8 juillet 2024.

[5] https://www.barlamane.com/ du 21 octobre 2024.

[6] https://fr.hespress.com/ du 3 novembre 2024

[7] Hepress, du 3 novembre 2024. Op. Cit.

[8] Op. Cit. Référence 6.