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jeudi 25 octobre 2018

Droits de l’homme. Zefzafi, la voix du Rif bâillonnée par le roi du Maroc

Le porte-parole du mouvement Hirak figure parmi les trois finalistes pour l’attribution du prix Sakharov pour la liberté de pensée. Le lauréat sera connu aujourd’hui.
Le jeter dans un obscur cachot de la prison d’Oukacha ne suffisait pas. Peu après l’arbitraire arrestation du porte-parole du mouvement populaire du Rif – Hirak –, Nasser Zefzafi, le 29 mai 2017, les séides du roi Mohammed VI diffusaient d’humiliantes images du militant emprisonné : zooms sur une ecchymose, gros plans sur chaque parcelle de son corps dénudé, dans le cliquetis d’un appareil photo. Lui : droit, imperturbable, regard fier, fiché dans l’œil de la caméra. L’odieux procédé ne pouvait discréditer les allégations de torture et de traitement inhumain et dégradant, reprises jusque dans un rapport du très docile Conseil national des droits de l’homme. Pour le Palais, il fallait surtout décapiter le Hirak, empêcher tout effet de contagion de ce mouvement social à d’autres régions du pays, souiller pour cela l’image de cet intrépide opposant. Peine perdue : Nasser Zefzafi reste une icône, il est même devenu le symbole de l’arbitraire qui s’abat, au Maroc, sur une génération priée de subir en silence la « hogra », le mépris que la monarchie voue au peuple. La justice, ravalée au Maroc au rang d’instrument de répression, l’a condamné le 27 juin dernier à vingt ans de prison. Le régime n’a pas fait dans la dentelle : il l’a accusé de « complot, de propagande visant à porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État, à l’intégrité du royaume et sa souveraineté », de fomenter « une ­attaque ayant pour but la dévastation, le massacre et le pillage dans plusieurs régions ». Ses camarades détenus à Casablanca ont eux aussi écopé de lourdes peines, dans un verdict digne des années de plomb, destiné à réduire à néant l’élan de contestation pacifique qui avait pris corps à l’automne 2016, au lendemain de la mort de Mouhcine Fikri, un jeune vendeur de poisson broyé par une benne à ordures en tentant de récupérer sa marchandise saisie par la police.

Une région marginalisée

Le porte-voix du Hirak figure aujourd’hui parmi les trois finalistes encore en lice pour l’attribution par le Parlement européen du prix Sakharov pour la liberté de pensée, aux côtés du réalisateur ukrainien Oleg Sentsov et de 11 ONG engagées dans des opérations de recherche et de sauvetage des migrants en mer Méditerranée. L’eurodéputée (GUE/NGL) Marie-Christine Vergiat, dont le groupe défend sa candidature, y voit « un message fort en faveur de la justice sociale et contre la répression des mouvements pacifistes au Maroc et partout ailleurs ». Le lauréat sera connu aujourd’hui.


La mort de Mouhcine Fikri fut, pour Nasser Zefzafi, un point de bascule. Comme ceux qui deviendront ses compagnons de lutte, ce diplômé chômeur, issu d’un milieu modeste, est bouleversé par cette tragédie. « Ce qui est arrivé à Fikri nous affecte également : si nous restons silencieux aujourd’hui, cela continuera. C’est pourquoi nous devons sortir pour arrêter cela », exhorte-t-il alors. Les manifestations se succèdent, elles exigent d’abord justice et vérité pour le jeune défunt, puis, très vite, elles mettent en cause la marginalisation de la région, cible depuis l’indépendance de violentes vagues de répression et toujours placée sous tutelle militaire. Les contestataires exigent des hôpitaux, des écoles, une université, du travail. Ils élaborent, collectivement, une plateforme revendicative cohérente et détaillée. Zefzafi parle au peuple sa langue : en darija, l’arabe dialectal, ou en tarifit, le berbère du Rif, ses diatribes conquièrent les cœurs, entretiennent la flamme de la révolte. Il n’hésite pas à fustiger, dans des discours sans concessions, la corruption, les abus du makhzen, l’appareil royal. « Nous sommes des fils de pauvres, des gens simples sortis dans la rue pour dire non à l’injustice », répète-t-il. Son éloquence lui vaut un respectueux surnom : « Amghar », « le Sage ». Dans la modeste maison de ses parents, il donne ses entretiens à l’ombre du portrait d’Abdelkrim El Khattabi, le héros de la première guerre de décolonisation du XXe siècle, effacé de l’histoire officielle marocaine. Sur les rassemblements flotte le drapeau rouge de l’éphémère république du Rif qu’il fonda en 1921. Déchaînée, la presse aux ordres du Palais traîne les protestataires dans la boue. Zefzafi est dépeint tour à tour comme un extrémiste, un séparatiste, un traître à la solde de puissances étrangères. Pourtant ni ces mensonges ni les promesses royales ne désamorcent la colère du Rif.

Des mobilisations audacieuses

La région vit pendant sept mois au diapason du Hirak, qui invente des formes de mobilisation audacieuses, fédératrices, joyeuses. Jusqu’au 29 mai 2017, jour de l’arrestation de Zefzafi. Trois jours plus tôt, le militant faisait irruption dans une mosquée d’Al Hoceïma, exigeant de l’imam qu’il cesse ses prêches accusant les protestataires de semer la « fitna », la discorde entre musulmans. Pour le Palais, le prétexte est tout trouvé pour en finir avec ce trublion. Toutes les figures du Hirak subissent le même sort. Des centaines de manifestants, et même des enfants, sont arrêtés et incarcérés au terme de procès expéditifs. Les geôles de Mohammed VI sont aujourd’hui peuplées de centaines de détenus politiques, torturés pour certains, tous violentés, coupables seulement d’avoir rêvé tout haut de respect, de justice sociale, de liberté. Autant de jeunes vies qui se flétrissent derrière les barreaux. Nasser Zefzafi est le visage de tous ces prisonniers.

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