Le
porte-parole du mouvement Hirak figure parmi les trois finalistes pour
l’attribution du prix Sakharov pour la liberté de pensée. Le lauréat
sera connu aujourd’hui.
Le
jeter dans un obscur cachot de la prison d’Oukacha ne suffisait pas.
Peu après l’arbitraire arrestation du porte-parole du mouvement
populaire du Rif – Hirak –, Nasser Zefzafi, le 29 mai 2017, les séides
du roi Mohammed VI diffusaient d’humiliantes images du militant
emprisonné : zooms sur une ecchymose, gros plans sur chaque parcelle de
son corps dénudé, dans le cliquetis d’un appareil photo. Lui : droit,
imperturbable, regard fier, fiché dans l’œil de la caméra. L’odieux
procédé ne pouvait discréditer les allégations de torture et de
traitement inhumain et dégradant, reprises jusque dans un rapport du
très docile Conseil national des droits de l’homme. Pour le Palais, il
fallait surtout décapiter le Hirak, empêcher tout effet de contagion de
ce mouvement social à d’autres régions du pays, souiller pour cela
l’image de cet intrépide opposant. Peine perdue : Nasser Zefzafi reste
une icône, il est même devenu le symbole de l’arbitraire qui s’abat, au
Maroc, sur une génération priée de subir en silence la « hogra », le
mépris que la monarchie voue au peuple. La justice, ravalée au Maroc au
rang d’instrument de répression, l’a condamné le 27 juin dernier à vingt
ans de prison. Le régime n’a pas fait dans la dentelle : il l’a accusé
de « complot, de propagande visant à porter atteinte à la sécurité
intérieure de l’État, à l’intégrité du royaume et sa souveraineté », de
fomenter « une attaque ayant pour but la dévastation, le massacre et le
pillage dans plusieurs régions ». Ses camarades détenus à Casablanca
ont eux aussi écopé de lourdes peines, dans un verdict digne des années
de plomb, destiné à réduire à néant l’élan de contestation pacifique qui
avait pris corps à l’automne 2016, au lendemain de la mort de Mouhcine
Fikri, un jeune vendeur de poisson broyé par une benne à ordures en
tentant de récupérer sa marchandise saisie par la police.
Une région marginalisée
Le porte-voix du Hirak figure aujourd’hui parmi les trois
finalistes encore en lice pour l’attribution par le Parlement européen
du prix Sakharov pour la liberté de pensée, aux côtés du réalisateur
ukrainien Oleg Sentsov et de 11 ONG engagées dans des opérations de
recherche et de sauvetage des migrants en mer Méditerranée.
L’eurodéputée (GUE/NGL) Marie-Christine Vergiat, dont le groupe défend
sa candidature, y voit « un message fort en faveur de la justice sociale
et contre la répression des mouvements pacifistes au Maroc et partout
ailleurs ». Le lauréat sera connu aujourd’hui.
La mort de Mouhcine Fikri fut, pour Nasser Zefzafi, un
point de bascule. Comme ceux qui deviendront ses compagnons de lutte, ce
diplômé chômeur, issu d’un milieu modeste, est bouleversé par cette
tragédie. « Ce qui est arrivé à Fikri nous affecte également : si nous
restons silencieux aujourd’hui, cela continuera. C’est pourquoi nous
devons sortir pour arrêter cela », exhorte-t-il alors. Les
manifestations se succèdent, elles exigent d’abord justice et vérité
pour le jeune défunt, puis, très vite, elles mettent en cause la
marginalisation de la région, cible depuis l’indépendance de violentes
vagues de répression et toujours placée sous tutelle militaire. Les
contestataires exigent des hôpitaux, des écoles, une université, du
travail. Ils élaborent, collectivement, une plateforme revendicative
cohérente et détaillée. Zefzafi parle au peuple sa langue : en darija,
l’arabe dialectal, ou en tarifit, le berbère du Rif, ses diatribes
conquièrent les cœurs, entretiennent la flamme de la révolte. Il
n’hésite pas à fustiger, dans des discours sans concessions, la
corruption, les abus du makhzen, l’appareil royal. « Nous sommes des
fils de pauvres, des gens simples sortis dans la rue pour dire non à
l’injustice », répète-t-il. Son éloquence lui vaut un respectueux
surnom : « Amghar », « le Sage ». Dans la modeste maison de ses parents,
il donne ses entretiens à l’ombre du portrait d’Abdelkrim El Khattabi,
le héros de la première guerre de décolonisation du XXe siècle, effacé
de l’histoire officielle marocaine. Sur les rassemblements flotte le
drapeau rouge de l’éphémère république du Rif qu’il fonda en 1921.
Déchaînée, la presse aux ordres du Palais traîne les protestataires dans
la boue. Zefzafi est dépeint tour à tour comme un extrémiste, un
séparatiste, un traître à la solde de puissances étrangères. Pourtant ni
ces mensonges ni les promesses royales ne désamorcent la colère du Rif.
Des mobilisations audacieuses
La région vit pendant sept mois au diapason du Hirak, qui
invente des formes de mobilisation audacieuses, fédératrices, joyeuses.
Jusqu’au 29 mai 2017, jour de l’arrestation de Zefzafi. Trois jours plus
tôt, le militant faisait irruption dans une mosquée d’Al Hoceïma,
exigeant de l’imam qu’il cesse ses prêches accusant les protestataires
de semer la « fitna », la discorde entre musulmans. Pour le Palais, le
prétexte est tout trouvé pour en finir avec ce trublion. Toutes les
figures du Hirak subissent le même sort. Des centaines de manifestants,
et même des enfants, sont arrêtés et incarcérés au terme de procès
expéditifs. Les geôles de Mohammed VI sont aujourd’hui peuplées de
centaines de détenus politiques, torturés pour certains, tous violentés,
coupables seulement d’avoir rêvé tout haut de respect, de justice
sociale, de liberté. Autant de jeunes vies qui se flétrissent derrière
les barreaux. Nasser Zefzafi est le visage de tous ces prisonniers.
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