Monsieur le ministre,
Des
hommes et des femmes s’automutilent ou tentent de se suicider dans les
centres de rétention administrative (CRA). Au cours de ces quinze
derniers mois, deux hommes se sont donné la mort dans ces lieux où
l’administration enferme des personnes pour les expulser du territoire
français. D’autres se révoltent ou expriment leur désespoir à travers
des lettres publiques, des grèves de la faim, des émeutes ou des
tentatives d’incendie. Ces actes qui se multiplient à une fréquence
inédite sont le résultat d’une politique inacceptable qui a conduit à
une situation extrêmement alarmante.
Le
gouvernement fait le choix d’utiliser l’enfermement en rétention comme
outil d’une politique d’expulsion, banalisant la privation de liberté
des personnes étrangères à travers des instructions aux préfet·e·s qui
viennent aggraver celles de vos prédécesseurs. La disproportion des moyens utilisés au service de cette politique de plus en plus carcérale est inédite.
Le
nombre de places en rétention a ainsi augmenté de 25 % depuis début
2018 (+ 480 places) et vous prévoyez la construction de nouveaux CRA. Un
tel développement de l’enfermement administratif ne s’était pas produit
depuis la politique sécuritaire mise en œuvre par Nicolas Sarkozy il y a
plus d’une décennie.
La
dernière loi Asile et Immigration de septembre 2018 a doublé la durée
maximale de rétention et permet désormais d’enfermer toutes les
personnes visées durant trois mois, ce qu’aucun gouvernement français
n’avait jamais jusqu’à lors proposé. Or, les statistiques sont formelles
: enfermer plus longtemps ne permet pas d’expulser plus. En revanche,
être privé·e de liberté derrière des barbelés pendant 90 jours, c’est
subir une machine à enfermer qui brise des vies, dans un environnement
carcéral oppressant. Des enfants sont traumatisés par cette expérience,
des personnes perdent leur emploi ou leur logement, des familles sont
séparées, des malades voient leur prise en charge sanitaire interrompue
ou amoindrie.
Cette
orientation conduit l’administration à maintenir fréquemment des
personnes enfermées alors qu’il n’existe aucune perspective d’exécuter
la mesure d’éloignement qui les frappe. Cela relève dès lors d’une
politique punitive.
Les
taux d’occupation des centres de rétention administrative ont explosé,
générant une promiscuité et des tensions insupportables, notamment pour
les personnes les plus vulnérables. Ces dernières sont de plus en plus
nombreuses derrière les grillages de ces lieux de privation de liberté :
des jeunes majeur·e·s, des personnes victimes de la traite des êtres
humains, ou plus largement marquées par un parcours migratoire de plus
en plus dangereux, en raison notamment des barrières érigées par la
France et l’Union européenne. Également des personnes fragilisées par
une grande précarité vécue en France parfois durant de longues années,
directement liée aux restrictions des politiques publiques apportées au
droit d’asile et au droit au séjour, ainsi qu’aux insuffisances du
dispositif d’accueil.
Dans
ces lieux de privation de liberté, le nombre de familles avec enfants a
fortement augmenté. En 2018, 1 221 enfants ont subi ce traumatisme à
Mayotte. En métropole, 208 enfants ont été enfermés, soit 8 fois plus
qu’en 2013 (24 % avaient moins de 2 ans, 36 % de 2 à 6 ans et 26 % de 7 à
12 ans). Ce nombre a déjà été dépassé sur les 4 premiers mois de 2019.
Quel
que soit leur âge, tous et toutes subissent la violence de
l’enfermement et de la rupture soudaine avec leur quotidien, leur école
et leurs proches, et sont durablement traumatisé·e·s Rien ne peut
justifier une telle pratique largement condamnée par le Défenseur des
droits, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies et la Cour
européenne des droits de l’homme, à travers six décisions sanctionnant,
ces dernières années, les pratiques des autorités françaises.
Les
préfectures assument désormais de prononcer massivement des décisions
d’enfermement et d’expulsion illégales. Au-delà de la situation des
enfants, la possibilité pour les personnes enfermées de saisir la
justice et de défendre leurs droits est limitée par l’urgence et par des
garanties amoindries, plus encore en outre-mer en raison d’un régime
dérogatoire. Malgré ce droit au rabais, les juridictions métropolitaines
annulent plus de 40 % des procédures judiciaires ou des décisions
administratives, ce qui traduit l’ampleur des violations des droits
perpétrées et le caractère abusif de nombre de ces enfermements.
A
tout ceci s’ajoutent des atteintes graves au droit à la santé dénoncées
par la Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté dans son
avis du 17 décembre 2018 et par le Défenseur des droits dans son rapport
du 13 mai 2019. Le financement et le pilotage des unités médicales dans
les CRA sont insuffisants pour garantir l’accès aux soins et leur
continuité. La protection légale contre l’expulsion des personnes les
plus gravement malades n’est pas garantie.
La prise en charge des troubles psychiques ne peut être assurée dans ces lieux qui, au contraire, les aggravent. Des
personnes malades ou qui ont tenté de se suicider sont ainsi enfermées
dans des « chambres de mise à l’écart » qui constituent un traitement
inhumain et dégradant.
Dans
ce contexte alarmant, l’ensemble des acteurs intervenant dans les CRA y
rencontre désormais des personnes bipolaires, schizophrènes,
paranoïaques, dépressives, mutiques, prises de crises de délire,
d’angoisse, de jour comme de nuit. Des personnes aux facultés très
altérées sont enfermées alors que leurs pathologies sont parfaitement
identifiées en amont par le secteur de la psychiatrie qui les avait
prises en charge.
La
politique menée à l’égard des personnes étrangères est ainsi marquée par
des discriminations de plus en plus violentes. Contrôles au faciès,
accès dégradé à la justice, privation de liberté disproportionnée voire
systématisée, accès aux soins défaillant, protection des plus
vulnérables reléguée au second plan. Cette politique marque le
renoncement au respect de droits fondamentaux et porte atteinte à la
dignité des personnes. Ces personnes enfermées que les associations
accompagnent dans les CRA se trouvent dans une situation de détresse et
face à une violence institutionnelle démesurée qui nie leur humanité.
Monsieur le ministre, nous vous demandons solennellement de :
- Faire cesser cette politique du tout enfermement qui conduit à la maltraitance de personnes étrangères ;
- Proscrire tout enfermement d’enfants en rétention ;
- Assurer la protection des personnes les plus vulnérables, parmi lesquelles les personnes malades ;
- Mettre un terme aux pratiques illégales de l’administration.
Nous vous prions de croire, Monsieur le ministre, en l’assurance de nos respectueuses salutations.
Christophe Deltombe, Président La Cimade, Philippe de Botton, Président, Médecins du Monde, Louis Gallois, Président, Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), Cécile Coudriou, Présidente, Amnesty International France, Vanina Rochiccioli, Présidente, GISTI, Sylvie Bukhari-de Pontual, Présidente, CCFD-Terre Solidaire, Hubert Trapet, Président, Emmaüs France, Laurence Roques, Présidente, Syndicat des avocats de France (SAF), Malik Salemkour, Président, Ligue des droits de l’Homme, Didier Fassin, Président, Comède, Rachid Lahlou, Président, Secours islamique, Flor Tercero, Présidente, ADDE, Jean-François Quantin, Co-président, MRAP, Bernadette Forhan, Présidente, ACAT, Katia Dubreuil, Présidente, Syndicat de la magistrature, Véronique Fayet, Présidente, Secours Catholique – Caritas France, Patrick Doutreligne, Président, Uniopss, Prudence RIFF, Co-présidente, Fasti, Géraldine Franck, Présidente, Le Collectif des morts de la rue, Bruno Morel, Directeur, Emmaüs Solidarité, Alexandre Moreau, Président, Anafé, Antoine Ermakoff, Président, Observatoire Citoyen du CRA de Palaiseau.
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