vendredi 28 juillet 2017
Salek
Abdelmajid Mohamed est pharmacien à El Aaiun. Il a commencé à exercer son
métier en 1974, alors que le Sahara Occidental était sous occupation espagnole.
Sahraoui né en 1958, il possède donc de documents d’identité espagnols.
Depuis
1992, sa pharmacie, située rue rue Hassan 1 dans le quartier Hay Hadjari est
ouverte 7 jours sur 7 de 22h à 9h. C’est un grand service, et il a la
reconnaissance notamment de la population sahraouie.
Après
43 années d’activité professionnelle et consciencieuse, mais aussi
d’engagement, puisqu’il est responsable du dépôt de médicaments de El Aaiun,
d’incompréhensibles attaques administratives, policières et judiciaires
s’enchaînent contre lui depuis le début de cette année 2017.
Les
premiers, le syndicat national des pharmaciens de Casablanca et l’association
des pharmaciens à El Aaiun, déposent plainte contre Salek Abdelmajid Mohamed
auprès du procureur du roi du Maroc. Le motif de la plainte est la vente de
médicaments sans autorisation. Peu après, comme en réponse à ces accusations
sans fondement, le gouverneur de El Aaiun, Yahdih Boucha’ab, invite Salek
Abdelmajid Mohamed (ci-après nommé « Salek » par commodité) à venir
le rencontrer, pour lui proposer de fermer sa pharmacie en échange de 4 cartes
de promotion nationale et d’une parapharmacie.
Salek
refuse et s’explique. Le métier n’est pas le même ni son intérêt. Il n’y a
aucune raison pour qu’il change de travail.
Les
intimidations administratives et policières se poursuivent, Salek est forcé de
fermer sa pharmacie sans que lui
soit présenté de notification de « décision d’interdiction ». Le
Pacha répond à sa demande par une affirmation : il n’y a « que des
ordres ». Chaque tentative de réouverture est empêchée par la force sans
justification.
Le
24 février 2017 une autre plainte est déposée contre Salek par le syndicat
national des pharmaciens et l’association des pharmaciens à El Aaiun. Il ne
connaît les chefs d’accusation que lors de l’audience au tribunal le 4
avril : vente de médicaments sans autorisation. Salek réfute cette accusation,
portée sans preuve.
Il
est condamné à deux mois de prison avec sursis et à des amendes de 20 milles
dirhams pour le syndicat et l’association. Salek fait appel et maintient la
pharmacie ouverte pendant tout le mois du Ramadan, soit juin 2017.
Fin
juin, une nouvelle plainte cette fois d’individu l’accusant de vendre des
« drogues sans recette médicale » lui valent une nouvelle audition. Les
accusateurs sont Khattari El Aaloui et une dame Ahlam.
Il
présente le registre sur lequel sont consignés tous les noms des clients qui
ont acheté avec ordonnance des médicaments qualifiés médicalement de
« drogue » de 1995 jusqu'au 28 juin 2017. Ce registre répond à une
obligation légale qu’il a scrupuleusement respectée.
Il
est arrêté le 3 juillet 2017, interrogé par la police judiciaire pendant 2
jours en garde-à-vue. Il ne peut alors contacter ni sa famille ni son avocat,
ni l’ambassade espagnole – puisqu’il est de nationalité espagnole.
Le
procureur du roi marocain devant qui il comparait l’envoie à la prison noire.
Lors
d’une nouvelle comparution le 7 juillet, le procureur et l’accusateur El Alaoui
Khattari essaient de le convaincre d’accepter 4 cartes de promotion nationale,
la fonction de Chaikh – soit informateur des autorités marocaines,
fonctionnaire dépendant du ministère de l’intérieur – assortie d’un
salaire mensuel de 25 milles
dirhams. (environ 2 280 euros)
Salek
refuse, il est reconduit à la prison noire.
Le
13 juillet, la cour de première instance prononce un verdict de 6 mois de
prison avec sursis et l’obligation de fermeture provisoire de la pharmacie
jusqu'au règlement de la situation juridique.
La
situation juridique problématique en question n’est pas connue du pharmacien.
Son
parcours semble au contraire plutôt caution de sa probité.
En
mars 1974, avec le bac, il entre en stage dans la pharmacie de l’Espagnol
Rodriguez Umberto. En 1975 Umberto lui demande de faire les démarches pour
obtenir une carte d’identité espagnole, puis il l’affilie à l’assurance
sociale. Il lui propose aussi d’aller en l’Espagne pour travailler et continuer
ses études. Mais Salek est soutien de famille, et sa mère refuse de le laisser
partir.
En
juin 1975 le gouverneur espagnol au Sahara Occidental, le général Salazar lui
donne une autorisation pour la gestion d’une pharmacie.
En
1977, après le passage de l’occupation espagnole à l’occupation marocaine, le
gouverneur Ahmed Bensouda et son adjoint Said Ouasso, confirme oralement que l’Espagnol
Juan Umberto « fils de Rodriguez », les Sahraouis Sbaiti Mohamed et
Salek Abdelmajid Mohamed sont autorisés par le Maroc à travailler.
En
1986 l’Espagnol Juan décide de quitter El Aaiun pour aller vers les îles
Canaries, et vend sa pharmacie à Salek.
Salek
n’a pu obtenir la nationalité marocaine qu’en 1988 et un passeport en 1998. Le
Maroc lui donne le nom de Salek Hmaima. C’est donc en 1999 seulement qu’il peut
partir en Espagne pour continuer ses études. Il obtient en 2002 le diplôme
d'assistant de laboratoire de l’institut américain de Madrid.
À
partir de 2007, il gère seul la pharmacie avec une assistante.
Un
des griefs avancé par le juge contre Salek est sa méconnaissance de la langue
française, utilisée principalement pour les ordonnances et notices des
médicaments. Un argument réfuté par Salek par le bon sens. Les langues
française et espagnole sont proches, utilisent le même alphabet, et sa longue
pratique fait que si Salek ne sait pas parler Français, il sait le lire et le
comprendre.
D’après
de rapides investigations menées par l’Équipe, il apparaît que de nombreux
pharmaciens marocains de El Aaiun ont des diplômes obtenus en Ukraine, sans que
soit interrogée leur capacité à lire le Français.
Salek
est actuellement sans emploi après la fermeture arbitraire de sa pharmacie.
Interrogé,
un pharmacien marocain a expliqué sous couvert d’anonymat qu’il n’avait pas de
problème administratif, ni d’approvisionnement en médicaments dans les deux
laboratoires attitrés, Sremed et
Sorepha d’Agadir. Un autre a émis l’hypothèse que les attaques contre Salek
venaient de pharmaciens marocains, désireux de faire fermer la pharmacie pour
récupérer la clientèle sahraouie qui place toute sa confiance en Salek.
Équipe
Média restera vigilant pour rapporter tout complément d’information à cette
affaire, qui prive une partie de la population d’El Aaiun d’un service
sanitaire indispensable, notamment dans les situations d’urgences nocturnes. Ce
n’est pas la première fois que la colonisation marocaine, imposant dans la
partie occupée du Sahara Occidental son fonctionnement corrompu, agit de telle
façon. C’est néanmoins une nouveauté que la cible soit un service du domaine du
soin, sans lien aucun à la politique.
Équipe
Média, Sahara Occidental, El Aaiun occupée
* Carte de
promotion nationale : allocation de subsistance de 2100 dirhams par mois,
(env 185€) contre des travaux de ménage. La somme est attribuée par et
subordonnée à, la décision arbitraire du wali.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire