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jeudi 25 octobre 2018

L’investigation, un journalisme à haut risque au Maroc


Marie Verdier , La Croix ,e 24/10/201
 

Poursuivi pour atteinte à la sécurité de l’État, le journaliste marocain Hicham Mansouri, qui a déjà purgé une peine de dix mois de prison, a obtenu l’asile politique en France.

Son procès et celui de six autres journalistes et défenseurs des droits humains, douze fois reporté, qui devait s’ouvrir à Rabat ce mercredi 24 octobre a été reporté pour la treizième fois.





Hicham Mansouri . / Mathilde Errard 

« L’enquête c’est le travail de la police. » Combien de fois le journaliste marocain Hicham Mansouri a-t-il entendu cette sentence dans la bouche de policiers lorsqu’il dirigeait le programme de formation de l’association marocaine du journalisme d’investigation (AMJI) ? « Nous avons été accusés de former les jeunes à l’usage des smartphones et d’Internet, cela nous a attiré tellement d’ennuis », soupire le journaliste qui a trouvé refuge en France où il a obtenu, au bout de deux longues années de procédure, l’asile politique.  
De graves ennuis qui lui valent d’être poursuivi depuis 2015 pour « atteinte à la sécurité de l’État », à l’instar de cinq autres journalistes et défenseurs des droits humains marocains, dont l’historien et journaliste Maâti Monjib, connu pour ses prises de position critiques à l’encontre du régime. Deux autres sont poursuivis pour financement de l’étranger sans autorisation.

Le procès douze fois reporté
Les sept coaccusés en liberté provisoire – trois d’entre eux ont quitté le Maroc – étaient convoqués ce mercredi 24 octobre au tribunal de grande instance de Rabat. 

 https://www.alvinet.com/similaires/investigation-journalisme-haut...

Leur procès déjà douze fois reporté a été de nouveau reporté au 30 janvier 2019. « Le dossier n’est pas instruit, ces reports maintiennent une épée de Damoclès sur nos têtes », estime Hicham Mansouri.
Lorsqu’il était enfant, dans son village non loin de Ouarzazate, parce qu’il était petit et fluet, Hicham Mansouri avait au collège son stylo pour toute défense. Son petit journal satirique circulait dans la classe. « Tout le monde essayait de devenir ami avec moi pour échapper à la caricature ! », sourit-il.
Son blog « cafard »
« Le journalisme semblait une perspective impossible pour les gens du sud et des villages », poursuit-il. Sa passion pour l’écriture, il l’assouvit dans son blog « Srakzite » (« cafard ») au début des années 2000. Hicham a vingt ans et s’engouffre dans le vent d’ouverture qui souffle sur le règne du jeune roi Mohammed VI. « Je l’ai appelé cafard parce que nous sommes traités comme des cafards, parce que les cafards survivent envers et contre tout. Les propos que je tenais à l’époque seraient risqués aujourd’hui, depuis la fermeture de la parenthèse d’ouverture au Maroc dès 2008-2009. »


Des journaux remarquent alors le jeune blogueur et lui mettent le pied à l’étrier dans le journalisme. Puis, ce sera la rencontre avec l’universitaire Maâti Monjib et président de l’association Freedom Now pour la liberté d’expression au Maroc.
L’AMJI, créée en 2009 sera reconnue en 2011, deux jours après la création du mouvement du 20 février, né dans le sillage de la révolution tunisienne. L’appartement d’Hicham devient le QG informel de l’association. À mesure que le réseau de journalistes d’investigation s’étend dans le pays _ il couvre treize villes en 2013_ les intimidations se multiplient et finissent par tourner au cauchemar.
En prison la peur au ventre
L’association reçoit des visites des agents des services, le site Internet est piraté et remplacé par des contenus pornographiques. Hicham Mansouri est violemment agressé dans la rue le 24 septembre 2014, par un groupe d’hommes visiblement professionnels.
Le 17 mars 2015, profitant d’une relation qu’il entretient avec une femme séparée de son mari, des policiers, sans mandat d’arrêt, défoncent sa porte, obligent le couple à se déshabiller et se mettre au lit. Accusé de flagrant délit d’adultère, il est condamné à dix mois de prison ferme et incarcéré avec des détenus de droit commun.

 La vengeance commence en prison, avec des gens dangereux, des bagarres permanentes, la peur au ventre. Je ne sais pas comment j’ai survécu pendant dix mois. Je ne voyais plus que le noir autour de moi. C’est là que j’ai pris la décision de quitter le Maroc. Jamais je ne pourrai oublier ce que m’a fait mon pays ». Ses parents, eux, quittent leur village, pour échapper à la pression du voisinage.

Il écrit ses mémoires de prison
Lors de son incarcération, Hicham Mansouri est convoqué pour la deuxième affaire qui lui vaut depuis lors d’être poursuivi. « S’il y avait des preuves pour atteinte à la sécurité de l’État, je n’aurais d’abord pas pu quitter le Maroc, ensuite la France m’aurait expulsé vers le Maroc », plaide-t-il.
À 38 ans, il essaie de se reconstruire à Paris, écrit ses mémoires de prison, à partir du journal qu’il tenait dans sa cellule, poursuit des études de sciences politiques. Ensuite ? « J’ai appris en prison à ne pas regarder trop loin ». 

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