Le président
français rompt avec ses deux prédécesseurs, qui s’étaient d’abord
rendus, dès leur élection, en Algérie, grand rival diplomatique du
royaume chérifien.
Le candidat Emmanuel Macron s’était rendu en Tunisie en novembre 2016, puis en Algérie en février, mais, faute de temps, n’avait pas pu aller au Maroc, se contentant d’une longue visite au stand marocain du Salon du livre de Paris. Il s’était engagé néanmoins à y aller « très rapidement après l’élection » si les Français lui accordaient leur confiance.
Le président Emmanuel Macron a tenu parole, et il consacrera au
royaume chérifien sa première visite dans un pays du Maghreb,
mercredi 14 et jeudi 15 juin, afin d’y rencontrer le roi Mohammed VI et partager en famille, au palais royal de Rabat, l’iftar, le repas de rupture du jeûne du ramadan.
Il s’agit d’« une visite personnelle à l’invitation du roi pour une première prise de contact »,
souligne-t-on à Paris, même si les deux chefs d’Etat s’étaient déjà
longuement parlé au téléphone quand Mohammed VI avait appelé le nouveau
président afin de le féliciter pour sa victoire. Jusqu’ici, le seul déplacement hors d’Europe d’Emmanuel Macron avait eu lieu au Mali, le 19 mai, pour rencontrer à Gao les troupes françaises de l’opération « Barkhane ». Le signal n’en est que plus fort.
Rencontre « en famille »
Les autorités françaises doivent toujours mener
un délicat jeu d’équilibre entre les deux grands frères ennemis du
Maghreb. Chaque initiative est commentée, interprétée et surinterprétée à
Alger comme à Rabat. Après leur élection, les présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande s’étaient d’abord rendus à Alger. En respectant sa promesse, Emmanuel Macron rompt donc avec cet usage.
Tout est fait, néanmoins, pour ménager l’extrême susceptibilité algérienne. En annonçant ce déplacement, l’Elysée faisait savoir
que le président s’était entretenu par téléphone avec son homologue
algérien, Abdelaziz Bouteflika, et qu’il se rendrait officiellement en
Algérie « dans les toutes prochaines semaines ». La date n’est
pas encore fixée. Elle dépend aussi de l’état de santé du président
algérien. En attendant, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, devait se déplacer mardi à Alger pour discuter notamment du dossier libyen.
La visite à Rabat vise avant tout à renforcer la relation entre les deux chefs d’Etat, « afin qu’ils fassent mieux connaissance ».
M. Macron n’est pas accompagné d’une délégation d’hommes d’affaires, ni
même de ministres. Juste de son épouse Brigitte Macron. Il s’agira
d’une rencontre « en famille ». Le chef de l’Etat n’assistera
pas jeudi à l’inauguration, à Kenitra, des travaux de la première
tranche de l’usine PSA, l’un des plus grands investissements français
dans le pays avec l’usine de Renault déjà en fonction à Tanger.
Coopération et « bons offices »
Il n’y aura pas de rencontre non plus avec des représentants de la
société civile, alors même que la contestation contre la corruption et
les abus de l’administration, partie de la région du Rif, a gagné la
capitale, où quelque 10 000 personnes ont manifesté dimanche.
Mise à rude épreuve dans les premières années de la présidence
Hollande, notamment après la plainte, en février 2014, de trois
Franco-Marocains contre le directeur du contre-espionnage marocain,
Abdellatif Hammouchi, la coopération sécuritaire et judiciaire avait repris il y a deux ans. Elle fonctionne efficacement, comme en témoigne l’aide apportée par le renseignement marocain dans les enquêtes sur les attentats du 13 novembre 2015. Il en est de même, sur le terrain, contre les djihadistes du Sahel.
Lors de leur tête-à-tête, les deux chefs d’Etat devraient aussi aborder la crise dans le golfe Persique. Mohammed VI propose ses « bons offices » pour un compromis entre l’Arabie saoudite et le Qatar – après que Riyad et des pays arabes ont rompu avec Doha, le 5 juin, pour son soutien supposé au « terrorisme » –, une position similaire à celle du président français, lui-même en contact avec toutes les parties.
Ménager ses deux partenaires
Dans son message à Emmanuel Macron, Mohammed VI avait évoqué le
souhait que, sous sa présidence, le partenariat franco-marocain gagne « en profondeur et en intensité ». Le moment est favorable. « Le pouvoir algérien est aux abonnés absents en raison de la maladie de son président et ce pays ne peut jouer
le rôle qu’il voudrait alors que le roi du Maroc, malgré ses
difficultés, se montre un acteur visible et engagé dans la région », relève Pierre Vermeren, professeur d’histoire du Maghreb à Paris-I.
L’activisme du Maroc, sa présence croissante aussi bien économique que politique et sécuritaire dans le Sahel et plus généralement en Afrique francophone, notamment depuis son retour au sein de l’Union africaine,
irrite de plus en plus l’Algérie, au-delà même de la question du Sahara
occidental, vieille pomme de discorde entre les deux pays.
Cela ne simplifie pas l’action de la diplomatie française, qui tient à ménager ses deux grands partenaires. « Maintenir l’équidistance entre l’Algérie et le Maroc est déjà très difficile en temps normal, souligne une fine connaisseuse du dossier. Mais quand leurs relations sont particulièrement mauvaises, comme actuellement, cela tient du véritable casse-tête. »
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