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lundi 19 juin 2017

“Les gens du dakhil doivent venir voir comment on vit ici"


Safouan, 18 ans, a été condamné à 18 mois de prison ferme, mais le juge lui a accordé la liberté provisoire, jusqu’au jugement en appel qui statuera sur son sort. Accusé d’avoir participé à une manifestation sans déclaration préalable, à un attroupement armé et à une rébellion, ce lycéen en 1ère année baccalauréat nous raconte son séjour carcéral.


C’était un jeudi comme un autre, début juin. J’attendais au garage mécanique de mon père un ami qui devait me rejoindre, pour aller réviser nos examens. A un moment donné, des voitures de police se sont arrêtées devant nous, les policiers sont venus vers moi et m’ont tiré par la main, ils m’ont dit de me taire, puis ils m’ont embarqué dans leur voiture.

“Très affaibli psychiquement”

Si je vais bien aujourd’hui? Pas du tout, je me sens très affaibli psychiquement après cette semaine passée entre le poste de police et la prison, je n’arrive pas à dormir le soir.  Ma famille souffre avec moi, on a tous peur qu’ils viennent chez nous pour m’emmener encore en prison. Et puis, je n’arrête pas de penser aux frères que j’ai laissé derrière les barreaux. J’ai des amis parmi eux, il y a même mon meilleur ami avec qui j’ai passé toute mon enfance. Vous avez vu les peines qu’ils ont prises? Pourquoi un an et demi de prison? Ils n’ont rien fait qui mérite ça.
Leurs familles souffrent, on souffre, tout le monde ici souffre à cause de ces arrestations.
Pourtant, ils n’ont aucune preuve contre nous. Ils nous accusent de jets de pierre, d’attroupement armé, de désobéissance… mais ils n’ont aucune preuve. Il y a même quelqu’un qui a été arrêté alors qu’il était en moto en train de filmer les manifestations. D’ailleurs la vidéo de son interpellation a été diffusée sur internet.


“Signe ou je t’emmène à Casa avec Zefzafi”

J’ai passé quatre jours chez la police, et trois autres à la prison locale d’Al Hoceima. Au poste de police, ils nous ont pris nos téléphones et ils refusent toujours de me rendre le mien. Là-bas, on m’a permis d’appeler ma famille. Et après, à la prison d’Al Hoceima, ma famille est venue me rendre visite.
Contrairement à beaucoup de mes amis moi je n’ai pas reçu de coups, j’ai été insulté, traité de tous les noms. Les autres, beaucoup d’entre eux ont été giflés. Certains avaient les visages gonflés. On nous a fait signer un procès verbal, le même pour tous, sans qu’on ne puisse les lire.
Quand l’officier m’a dit de signer je lui ai demandé de me laisser lire d’abord, il a alors commencé à crier et m’a menacé: “Signe ou je t’emmène à Casa avec Zefzafi, signe ou tu vas t’asseoir sur une bouteille”.
Terrifié, j’ai donc dû signer un papier sans savoir ce qu’il contenait. J’avais tellement peur d’être transféré à Casa... J’ai même fini par être convaincu que je n’avais pas le droit de lire le procès verbal. Ce n’est qu’après avoir raconté ce qu’il s’est passé à un avocat que j’ai su que j’avais été privé de mes droits. Pour tout vous dire, je pense qu’il n’y a rien de légal dans toute cette histoire...

“Je ne sors plus de chez moi”

Je n’ai pas encore eu les résultats des examens mais c’est certain que je vais les rater. J’ai passé les partiels terrifié, j’étais surveillé par les gardes de prison. Je n’arrivais pas à réfléchir, j’écrivais des choses dont je ne me rappelle même pas. Finalement, c’est comme si je ne l’avais pas passé cet examen.  
En prison on était très bien traités, je l’admets. La plupart du personnel de la prison nous connaissent déjà et ils étaient tous solidaires avec nous. Là-bas, les plus courageux passaient leur temps à discuter entre eux ou à lire le coran ou des livres. Mais il y en a qui ne parlaient jamais et qui étaient sous le choc. Ces gens ne savent pas pourquoi ils sont en prison, c’est une injustice! Vous savez, l’autre jour au tribunal quand le juge a prononcé les jugements, beaucoup se sont évanouis et d’autres ont fondu en larmes. Seuls quelques uns ont pu tenir le coup.
Aucun de nous n’a eu affaire ni à la police ni au tribunal avant, nous sommes des personnes pacifiques.
Aujourd’hui, je ne sors quasiment plus de chez moi, j’ai peur de vivre encore une fois ce cauchemar. Hier, il y a eu une manifestation ici à Al Hoceima, ma famille et moi-même nous sommes tous enfermés dans la maison. On vit dans une panique permanente. Qu’avons nous fait? Je ne sais pas.

 “Partir en France”
On est sorti protester dans la rue parce qu’on vit dans des conditions difficiles à Al Hoceima. Les gens de Rabat et Casa et les autres villes doivent venir ici voir la crise dans cette ville. Tout le monde est pauvre, c’est une ville de misère.
Les jeunes n’ont pas de travail ici. Tous mes amis sont au chômage, vous trouvez ça normal?
Je passe un bac professionnel et je compte faire une carrière dans le secteur de l’hôtellerie, je n’ai pas envie de me retrouver au chômage moi aussi. L’année prochaine on va prendre deux personnes de mon lycée en France pour un stage d’un mois en hôtellerie à l’Université Aix-Marseille. Comme je fais partie des meilleurs je serai certainement sélectionné. Je ne dois absolument pas rater cette opportunité à cause de mon jugement. L’année d’après, je compte poursuivre mes études supérieures en France, je suis déterminé.
Le Hirak c’est juste l’occasion pour moi et pour tous ces jeunes de dire que nous voulons un avenir meilleur, c’est tout. Zefzafi le disait toujours, on veut une vie meilleure, voilà. N’avait-il pas droit de le dire? Et moi et les jeunes comme moi n’avons pas non plus le droit de le dire?

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