Safouan, 18 ans, a été condamné à 18 mois de prison ferme, mais le juge lui a accordé la liberté provisoire, jusqu’au jugement en appel qui statuera sur son sort. Accusé d’avoir participé à une manifestation sans déclaration préalable, à un attroupement armé et à une rébellion, ce lycéen en 1ère année baccalauréat nous raconte son séjour carcéral.
C’était un jeudi comme un autre,
début juin. J’attendais au garage mécanique de mon père un ami qui
devait me rejoindre, pour aller réviser nos examens. A un moment donné,
des voitures de police se sont arrêtées devant nous, les policiers sont
venus vers moi et m’ont tiré par la main, ils m’ont dit de me taire,
puis ils m’ont embarqué dans leur voiture.
“Très affaibli psychiquement”
Si je vais bien aujourd’hui? Pas du
tout, je me sens très affaibli psychiquement après cette semaine passée
entre le poste de police et la prison, je n’arrive pas à dormir le soir.
Ma famille souffre avec moi, on a tous peur qu’ils viennent chez nous
pour m’emmener encore en prison. Et puis, je n’arrête pas de penser aux
frères que j’ai laissé derrière les barreaux. J’ai des amis parmi eux,
il y a même mon meilleur ami avec qui j’ai passé toute mon enfance. Vous
avez vu les peines qu’ils ont prises? Pourquoi un an et demi de prison?
Ils n’ont rien fait qui mérite ça.
Leurs familles souffrent, on souffre, tout le monde ici souffre à cause de ces arrestations.
Pourtant, ils n’ont aucune preuve
contre nous. Ils nous accusent de jets de pierre, d’attroupement armé,
de désobéissance… mais ils n’ont aucune preuve. Il y a même quelqu’un
qui a été arrêté alors qu’il était en moto en train de filmer les
manifestations. D’ailleurs la vidéo de son interpellation a été diffusée
sur internet.
“Signe ou je t’emmène à Casa avec Zefzafi”
J’ai passé quatre jours chez la
police, et trois autres à la prison locale d’Al Hoceima. Au poste de
police, ils nous ont pris nos téléphones et ils refusent toujours de me
rendre le mien. Là-bas, on m’a permis d’appeler ma famille. Et après, à
la prison d’Al Hoceima, ma famille est venue me rendre visite.
Contrairement à beaucoup de mes amis
moi je n’ai pas reçu de coups, j’ai été insulté, traité de tous les
noms. Les autres, beaucoup d’entre eux ont été giflés. Certains avaient
les visages gonflés. On nous a fait signer un procès verbal, le même
pour tous, sans qu’on ne puisse les lire.
Quand l’officier m’a dit de signer je lui ai demandé de me laisser lire d’abord, il a alors commencé à crier et m’a menacé: “Signe ou je t’emmène à Casa avec Zefzafi, signe ou tu vas t’asseoir sur une bouteille”.
Terrifié, j’ai donc dû signer un papier sans savoir ce qu’il contenait. J’avais
tellement peur d’être transféré à Casa... J’ai même fini par être
convaincu que je n’avais pas le droit de lire le procès verbal. Ce n’est
qu’après avoir raconté ce qu’il s’est passé à un avocat que j’ai su que
j’avais été privé de mes droits. Pour tout vous dire, je pense qu’il
n’y a rien de légal dans toute cette histoire...
“Je ne sors plus de chez moi”
Je n’ai pas encore eu les résultats
des examens mais c’est certain que je vais les rater. J’ai passé les
partiels terrifié, j’étais surveillé par les gardes de prison. Je
n’arrivais pas à réfléchir, j’écrivais des choses dont je ne me rappelle
même pas. Finalement, c’est comme si je ne l’avais pas passé cet
examen.
En prison on était très bien traités,
je l’admets. La plupart du personnel de la prison nous connaissent déjà
et ils étaient tous solidaires avec nous. Là-bas, les plus courageux
passaient leur temps à discuter entre eux ou à lire le coran ou des
livres. Mais il y en a qui ne parlaient jamais et qui étaient sous le
choc. Ces gens ne savent pas pourquoi ils sont en prison, c’est une
injustice! Vous savez, l’autre jour au tribunal quand le juge a prononcé
les jugements, beaucoup se sont évanouis et d’autres ont fondu en
larmes. Seuls quelques uns ont pu tenir le coup.
Aucun de nous n’a eu affaire ni à la police ni au tribunal avant, nous sommes des personnes pacifiques.
Aujourd’hui, je ne sors quasiment
plus de chez moi, j’ai peur de vivre encore une fois ce cauchemar. Hier,
il y a eu une manifestation ici à Al Hoceima, ma famille et moi-même
nous sommes tous enfermés dans la maison. On vit dans une panique
permanente. Qu’avons nous fait? Je ne sais pas.
“Partir en France”
On est sorti protester dans la rue
parce qu’on vit dans des conditions difficiles à Al Hoceima. Les gens de
Rabat et Casa et les autres villes doivent venir ici voir la crise dans
cette ville. Tout le monde est pauvre, c’est une ville de misère.
Les jeunes n’ont pas de travail ici. Tous mes amis sont au chômage, vous trouvez ça normal?
Je passe un bac professionnel et je
compte faire une carrière dans le secteur de l’hôtellerie, je n’ai pas
envie de me retrouver au chômage moi aussi. L’année prochaine on va
prendre deux personnes de mon lycée en France pour un stage d’un mois en
hôtellerie à l’Université Aix-Marseille. Comme je fais partie des
meilleurs je serai certainement sélectionné. Je ne dois absolument pas
rater cette opportunité à cause de mon jugement. L’année d’après, je
compte poursuivre mes études supérieures en France, je suis déterminé.
Le Hirak c’est juste l’occasion pour
moi et pour tous ces jeunes de dire que nous voulons un avenir meilleur,
c’est tout. Zefzafi le disait toujours, on veut une vie meilleure,
voilà. N’avait-il pas droit de le dire? Et moi et les jeunes comme moi
n’avons pas non plus le droit de le dire?
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