Hisham Aidi, professeur à Columbia University (School of
International and Public Affairs) revient sur l'histoire du Rif depuis
les années 20, et de sa famille, pour éclairer les enjeux des
affrontements actuels.
Des couvre-feux,
des barrages routiers, des points de contrôle sur les autoroutes menant
à Al Hoceima au nord-est du Maroc, des quartiers entourés de camions
militaires, la police qui s’en prend physiquement aux manifestants, des
arrestations massives, des militants enlevés dans les rues : depuis le
26 mai – le premier jour du Ramadan – la ville d'Al Hoceima a été le
théâtre d’un chaos continu, qui a atteint son paroxysme lors d’une
journée d'affrontements sanglants le 26 juin dernier, que l'on appelle
désormais l'Eid noir de 2017. Les tensions sont vives dans le Rif avec
d’intenses manifestations depuis octobre 2016 suite au décès aux mains
de la police d’un jeune vendeur de poissons, écrasé dans un compacteur
de déchets alors qu’il tentait de récupérer ses marchandises
confisquées.
Une sorte de trêve a depuis été négociée à la mi-mai
lorsqu’une délégation ministérielle s’est rendue dans la ville d'Al
Hoceima en promettant divers projets de développement.
Or le 26 mai, date à laquelle Abdelkrim Al Khattabi – fondateur de la
République du Rif – s'était rendu aux Français en 1926, est tombé cette
année un vendredi. En début de matinée, des milliers de jeunes se sont
rassemblés dans les villes du nord-est du Maroc, brandissant des
drapeaux de la république et des pancartes affichant le portrait
d'Abdelkrim. Anticipant les problèmes à la veille du Ramadan, le
gouvernement de Rabat avait transmis aux imams de la région du Rif le
même sermon préventif et quiétiste du vendredi. Lorsque Nasser Zafzafi,
impétueux et éloquent leader des manifestants, est entré dans la mosquée
principale d'Al Hoceima, l'imam était déjà à la moitié de son sermon
intitulé « La sécurité est une bénédiction », mettant en garde les
jeunes marocains contre l’appel à la protestation diffusé sur le net et
dénonçant les manifestants comme des fauteurs de troubles. Au moment où
l'imam marqua une pause, Zafzafi prit la parole, l’accusant de charlatan
parrainé par le régime. « Qu'est-ce que fitna peut bien signifier
quand nos jeunes ont peu à manger? » « À qui appartiennent les mosquées?
À Dieu ou au gouvernement? »
L'imam n'a jamais pu terminer son khutba.
Zafzafi a fait son propre sermon face à une foule rassemblée à
l'extérieur de la mosquée. Des affrontements de rue ont éclaté entre les
manifestants et les forces de sécurité, alors que ces dernières
tentaient d'arrêter Zafzafi et son entourage pour « entrave… à la liberté de culte ».
Les protestations et les sit-in se sont rapidement répandus dans le
nord et dans les principales villes du centre du Maroc. Des milliers de
personnes ont traversé le pays en chantant: « Reste en paix, Abdelkrim, nous continuerons ta lutte ! »
Le lundi matin suivant, le ministère de l'Intérieur a annoncé que
Zafzafi et des dizaines de militants, artistes et journalistes avaient
été arrêtés.
Il y a a peine une décennie, une pareille tournure d'événements - des
milliers de manifestants à l'échelle nationale brandissant des drapeaux
pan-berbères et clamant «Vive le Rif !» - aurait été difficile à
imaginer.
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