A l’aube du 8 novembre
2010, les forces de sécurité marocaine font irruption dans le camp de
protestation de Gdeim Izik au Sahara occidental pour l’évacuer. Des
affrontements entre des manifestants et la police font des morts des
deux côtés, dont onze gendarmes marocains. Près de sept ans après les
faits, le 19 juillet dernier, la justice marocaine condamne vingt-trois
Sahraouis à de lourdes peines pour l’assassinat des pandores. Huit
prévenus écopent de la prison à perpétuité, onze à des peines de 20 à 30
ans d’enfermement, et deux à des périodes de détention de six ans et
demi et quatre ans et demi. Ce sont sensiblement les mêmes sanctions qui
avaient été décidées par un tribunal militaire en 2013, dont le
jugement avait été invalidé par la Cour de cassation marocaine.
Aujourd’hui des ONG telles qu’Amnesty International mettent en
évidence les irrégularités du procès et les défenseurs des Sahraouis
dénoncent un «simulacre» de justice. Le point avec Christiane Perregaux,
membre du Comité suisse de soutien au peuple sahraoui, qui défend
depuis plus de quarante ans le droit à l’autodétermination face aux
prétentions marocaines de souveraineté sur cette région.
Le procès de Gdeim Izik a été selon vous entaché de graves irrégularités. Quelles sont-elles?
Christiane Perregaux: Les condamnations reposent
exclusivement sur des aveux arrachés sous la torture. Tous les accusés
ont fait état de ces mauvais traitements et le Comité des Nations Unies
contre la torture a condamné le Maroc le 12 décembre dernier, estimant
qu’un des accusés, Enaama Asfari, militant connu de la cause sahraouie,
avait été torturé. Or, le Maroc a refusé d’appliquer les recommandations
de l’ONU. Il s’est contenté de mandater trois médecins pour examiner
les prisonniers. Six ans après les faits! Les docteurs ont estimé que
les cicatrices ne correspondaient pas aux méthodes de torture alléguées.
On peut douter de leur indépendance.
Selon Amnesty International, le fait que les autorités n’aient pas
enquêté sur les allégations de torture durant plus de six ans entache le
verdict. Quant aux soi-disant témoins qui ont été présentés – là encore
six ans après – alors qu’aucun d’entre eux n’était apparu dans le
procès précédent, tout démontre qu’ils n’ont pas de crédibilité. Ils
étaient dans l’incapacité de décrire les accusés.
L’enquête judiciaire a-t-elle établi les faits de ce qui s’est passé le jour où les policiers marocains ont été tués?
Il n’y a pas eu d’investigation. Le dossier est vide. On ne connaît
même pas l’identité des membres des forces de l’ordre tués. Aucune
autopsie n’a été fournie. Pas d’information sur les circonstances
exactes de leur mort. Qui Enaama Asfari, par exemple, aurait-il tué, où,
quand et comment ? Rien dans le dossier ne le précise. Comment peut-on
alors le condamner pour meurtre? Il s’agit en réalité d’un simulacre de
procès, comme il y en a beaucoup dans ce pays. Le Maroc a toutefois
voulu sauver les apparences. La défense a pu s’exprimer lors du procès
civil et démonter l’acte d’accusation, malgré les interruptions du
président du tribunal, du procureur et de la partie civile. Mais les
juges n’ont pris en compte aucun des éléments apportés par la défense.
Enfin, comment expliquer que le verdict et les condamnations soient
presque identiques à celles prononcées par le tribunal militaire, alors
que la cour de cassation avait cassé le premier jugement? Cela laisse
penser à un procès politique. Je m’indigne qu’il n’y ait pas davantage
de réactions de la communauté internationale.
Quel était l’objectif de ce camp de protestation?
Son but était de réclamer pacifiquement la fin de la discrimination
sociale et économique dont sont victimes les Sahraouis au Sahara
occidental occupé et le droit à l’autodétermination. Le camp a compté
jusqu’à près de 20 000 personnes. Cela a constitué un mode de résistance
inédit qui a préfiguré et devancé les révoltes du Printemps arabe.
C’est aussi le point culminant de la résistance pacifique qui se déploie
depuis le cessez-le-feu de 1991 entre le Maroc et le Front Polisario.
Le 8 novembre 2010, alors que personne ne s’y attendait, le
gouvernement marocain a choisi la répression et attaqué le camp par la
force et le feu avec le résultat désastreux que l’on connaît,
déclenchant des émeutes dans la ville voisine d’El Ayoun. Des centaines
de militants ont été arrêtés et torturés.
Quelle est la situation des droits humains au Sahara occidental?
La population sahraouie est peu à peu devenue une minorité au Sahara
occidental occupé puisque la politique du Maroc a été de peupler cette
région avec des habitants venus du nord. Les Sahraouis souffrent de
discriminations, notamment en matière d’emploi et d’accès au logement.
Les libertés d’association et de la presse n’existent pas. Les
manifestations sont fortement réprimées. Quant aux militants emprisonnés
(on dénombre 59 prisonniers politiques), ils sont envoyés parfois à
plus de 1000 kilomètres de chez eux.
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