Le Maroc est au cœur de l’actualité
internationale à travers les actes terroristes de ses ressortissants qui
ont endeuillé l’Espagne. Dans son dernier discours à la nation, le roi
n’a pas évoqué ce sujet lié aux migrations, ni celui, interne, de la
crise sociale dans le Rif. Tous ces sujets concernent pourtant la nature
de son régime, de plus en plus questionnée.
La terreur des fous de Dieu en Europe, en majorité d’origine marocaine, le retour explosif des pateras vers le Vieux Continent via
l’Espagne, la situation toujours préoccupante dans le Rif et les
questionnements qui en découlent sur la suprématie de la monarchie sur
tous les pouvoirs politiques au Maroc ont constitué l’essentiel de
l’actualité marocaine ces derniers jours, à l’aune des événements
sanglants de Barcelone, Cambrils et Turku. Pourtant, aucun de ces sujets
qui mettent plus que jamais le Maroc sous les feux des projecteurs n’a
été abordé par le roi Mohammed VI, lors de son discours prononcé il y a
une semaine à l’occasion du 64e anniversaire de la « Révolution du roi et du peuple ». Celui-ci a préféré le consacrer, contre toute attente, à l’Afrique, où Rabat mène depuis des mois une intense offensive diplomatique.
En interne, le grand public a attendu, voire espéré, une suite « logique » au discours du Trône, prononcé quelques semaines auparavant. Dans le contexte des événements d’Al Hoceima
qui agitent la région du Rif depuis neuf mois, ce discours avait été
compris comme un prélude à une désescalade au profit des détenus du Hirak (le
mouvement contestataire rifain), mais aussi un premier pas dans le sens
de la normalisation des rapports entre autorités et populations
locales.
Il n’en fut rien. Une poignée de détenus avaient été graciés pour
l’occasion, mais pas le noyau dur du mouvement, toujours accusé « d’atteinte à la sûreté de l’État ».
Les forces de l'ordre encadrant la manifestation de Rabat du 11 juin 2017 © Louis Witter/Le Desk
Dans le Rif, les arrestations sont quotidiennes. Le roi, en
villégiature dans le nord du pays (avant de se rendre à Paris pour un
nouveau séjour privé, le troisième en quelques mois), a donné un
blanc-seing à son appareil sécuritaire pour en finir avec les dernières
poches de sédition, alors que les manifestations à Al Hoceima et dans
les localités avoisinantes ont perduré mais perdu leur intensité,
tant le mouvement social rifain a été laminé. Plus de 300 personnes ont
été arrêtées à ce jour. Les médias, endormis par la torpeur de l’été, le
buzz des faits divers grossis à l’envi
et l’actualité internationale, ont déserté la région. Seuls les
activistes continuent de couvrir au jour au jour l’actualité rifaine,
faite de manifestations sporadiques et de descentes de police.
« Le ministère de l’intérieur a refusé de commenter les
accusations de torture et de répression contre les manifestants
pacifiques, et le porte-parole du gouvernement n’a pas répondu aux
interrogations de la presse », a commenté récemment le New York Times, rappelant que lors de son précédent discours de juillet à l’occasion de la Fête du Trône, « le
roi Mohammed a blâmé les partis politiques pour les troubles du Rif,
mais n’a pas proposé de solutions spécifiques aux griefs des habitants
de la région ». Une vaste enquête a, certes, été diligentée, et des
ministres ont été privés de vacances d’été pour rattraper les retards
accumulés depuis des années dans les chantiers de développement de la
région.
Mais le dernier discours du roi ne s’est pas attardé sur un contexte
local que les sécuritaires du royaume jugent à l’évidence contenu. « Certaines
des demandes des manifestants de juillet ont été respectées. Une unité
d’oncologie a été ouverte à Al Hoceima et le gouvernement a accepté
d’embaucher plus de fonctionnaires. Mais beaucoup pensent que le niveau
élevé de répression ne fera qu’amplifier que les troubles », s’inquiète le New York Times.
Le roi n’a pas non plus évoqué les tragédies de l’Espagne voisine.
Mohammed VI a bien entendu exprimé sa compassion et sa solidarité avec
la monarchie espagnole, mais n’a pas commenté dans son allocution le
fait que son pays soit abondamment cité comme un creuset du djihadisme
mondialisé.
La thèse officielle véhiculée par Rabat voudrait que les Marocains
expatriés ne sont plus de son ressort, y compris ceux qui ont quitté le
pays très récemment, comme le groupe de terroristes originaires de Mrirt,
un village reculé de l’Atlas, et composant l’essentiel du commando de
Barcelone et de Cambrils, ou le demandeur d’asile auteur de l’attaque au
couteau de Turku, arrivé en Finlande en 2016. Ce déni est problématique
à plus d’un titre. Il évacue les tréfonds du mal, ses origines
sociologiques, ses liens avec la réalité socio-économique du pays et
surtout avec la nature du régime.
En réaction, le Maroc propose d’être associé au contrôle des mosquées en Espagne,
ce que Madrid n’est pas prêt à accepter, préférant cultiver bon an, mal
an, la coopération sécuritaire débutée avec son voisin du sud depuis
les attentats de la gare d’Atocha en 2004, où étaient déjà impliqués des
Marocains. Sur le front intérieur, une intense communication met en
valeur un programme de dé-radicalisation des détenus condamnés pour des
faits liés au terrorisme, d’autant que le roi vient tout juste d’en gracier une quinzaine, provoquant quelques commentaires consternés sur les réseaux sociaux.
« Le programme Mossalaha [« Réconciliation » en arabe – ndlr] destiné
aux détenus condamnés dans les affaires liées à l’intégrisme et au
terrorisme s’appuie sur trois axes, à savoir la réconciliation avec
soi-même, le texte religieux et la société, a souligné la Délégation
générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) », rapporte l’agence officielle MAP pour justifier implicitement la décision royale.
« L’attaque de Barcelone souligne le besoin à la fois de réformes au
Maroc et d’une action à l'échelle de l’UE sur la crise migratoire en
Espagne », commente à juste titre Tony Barber dans le Financial Times.
En plus d’être questionné sur le terrorisme en Europe, le Maroc est en
effet à la croisée de deux phénomènes connexes. Depuis que la Libye en
ruine n’est plus la route privilégiée des migrants, le corridor marocain vers l’Espagne, à travers ses deux enclaves nord-africaines, Ceuta et Melilla, est pris d’assaut.
Et du fait de la répression dans le Rif, s’ajoutent désormais davantage
de candidats à l’exil économique et politique, partageant avec les
Subsahariens les places à bord des frêles embarcations qui tentent la
traversée du détroit de Gibraltar.
Le triptyque crise sociale, immigration clandestine et terrorisme sur
le sol européen inquiète de plus en plus les partenaires européens du
Maroc, qui l’ont jugé jusqu’ici comme un modèle de stabilité dans une
région déjà rongée par autant de périls. Dans une tribune publiée en juillet,
consacrée à la révolte du Rif, le diplomate Jorge Dezcallar, ancien
chef des services de renseignement espagnols, assure que le problème du
Maroc réside dans le fait qu’il dépend d’une seule personne… Ses propos
résument une réalité dont l’actualité tragique n’est que l’écume d’un
problème plus structurel que vit le pays, celui du déficit de
démocratie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire