Maroc : "Mohammed VI, on n'a pas besoin de toi !"
Parce qu'un jeune vendeur de poisson est mort, broyé dans un camion poubelle en tentant de sauver sa marchandise confisquée par les forces de l'ordre, le Maroc est descendu dans la rue. Dans le Rif, les manifestants n'hésitent plus à remettre en question le pouvoir du roi. Reportage.
"Mouhcine
était le prince de la famille, le seul d’entre nous qui était parvenu à
s’en sortir, et c’est lui qu’ils ont tué." Une semaine après le drame,
Mounaim Fikri est hébété de tristesse. Sur le seuil de sa maison, dans
la petite commune d’Imzouren, il n’arrive toujours pas à s’expliquer la
mort de son frère cadet. Il revoit en boucle les images du corps de son
petit frère, broyé dans la benne d’un camion poubelle. Déchiqueté comme
un déchet pour avoir essayé d’empêcher la destruction de sa cargaison de
poissons dans la ville voisine d’Al Hoceima. Une mort terrible que
n’acceptent pas non plus les habitants du Rif, et du Maroc en général, où les manifestations de colère se sont succédé au lendemain de la tragédie.
Mouhcine Fikri, le marchand de poissons dont la mort indigne le MarocMouhcine Fikri, 30 ans, est devenu le symbole de la hogra, ce sentiment d’humiliation profonde que ressentent les Marocains les plus pauvres, en butte au mépris du pouvoir. Et si l’heure était arrivée de se soulever contre le hagar, l’oppresseur, l’Etat et ses sbires ? La mort de Mouhcine, dont les images ont fait le tour de la planète, n’évoque-t-elle pas celle d’un certain Mohamed Bouazizi, ce Tunisien dont l’immolation par le feu déclencha la révolution tunisienne de 2011 ?
Crime de lèse-majesté
Fils d’un instituteur à la retraite, Fikri arrête l’école très tôt. C’est pourtant lui qui nourrit toute sa fratrie et leur permet de faire des études. Son grand frère se souvient avec émotion :"Il était toujours en train de développer une nouvelle activité et continuellement soucieux de nous en faire profiter."
Enfant, Mouhcine travaille dans de petites échoppes. Puis il devient chauffeur et tente une courte formation dans le domaine maritime, le seul susceptible de donner un travail dans la région. Mais il échoue. Il arrive à économiser un peu, achète comme tant de Hoceimi une licence de taxi. Mais le jeune homme se lasse d’attendre le touriste toute la journée contre une maigre rétribution.Près du port professionnel où sont amarrés les sardiniers se trouve celui des pêcheurs artisanaux qui vivotent de leurs sorties en mer dans de frêles embarcations. Une économie informelle tolérée, comme dans tous les secteurs de l’économie marocaine, car elle fait vivre des millions de personnes. Mouhcine se rend régulièrement au port "informel" pour y acheter du poisson, charge à lui de le revendre rapidement. "Ça marchait bien, il se débrouillait", raconte son frère. Au point sans doute de faire des envieux… Le jour du drame, lorsque ses espadons, interdits à la pêche en cette période, sont interceptés à quelques centaines de mètres du port, c’est déjà la troisième fois qu’il a affaire à la police.
VIDEO. Manifestations au Maroc après la mort de Mouhcine Fikri
Dans un café du centre-ville d’Al Hoceima, Abdelhak, un proche ami de Mouhcine, accuse "la mafia du port. Ils n’ont pas accepté la concurrence et l’ont dénoncé". Pour lui, pas de doute, ces gens sont responsables de la mort de Mouhcine, avec la complicité des autorités et leurs méthodes impitoyables et arbitraires. Une intime conviction partagée par les dizaines de milliers de manifestants descendus dans la rue à l’appel des mouvements de gauche et des islamistes d’Al-Adl wal-Ihsane. Une semaine après la mort de leur martyr, ils ont une nouvelle fois défilé, bougie à la main, scandant le nom de Mouhcine Fikri, pour réclamer la fin de la hogra.
Mouhcine a rejoint au panthéon leur héros de l’indépendance du Rif, El Khattabi, dont le portrait était associé à celui du marchand de poisson sur les banderoles. Pour les habitants d’Imzouren, d’Al Hoceima, et de toute la région du Rif, Mouhcine est celui qui a tenu tête aux autorités corrompues, celui qui s’est opposé au makhzen ("régime").
Les marches contre la "hogra", le mépris, se multiplient, dans le Rif et même au-delà
(ici à Rabat le 4 novembre). (LOUIS WITTER/HANSLUCAS pour ''l'Obs'')
(ici à Rabat le 4 novembre). (LOUIS WITTER/HANSLUCAS pour ''l'Obs'')
"La mort de Mouhcine Fikri est celle de trop"
Mais, dans le Rif, la blessure est profonde. Tout le monde garde en mémoire l’image du jeune homme écrasé sous la lourde lame d’acier de la benne à ordures. Les larmes aux yeux, Abdelhak, un jeune homme, raconte :
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