vendredi 22 décembre 2017

« Ne faites pas la grève à Noël », une lettre ouverte des familles de détenus en Belgique

jeudi 21 décembre 2017

« Ne faites pas la grève à Noël », une lettre ouverte des familles de détenus.

« … l’émotion ne s’embarrasse pas des amalgames … seule la raison, la pédagogie et la patience nous permettront de retrouver le chemin de la pensée raisonnable … »

Monsieur le Ministre de la Justice, Mesdames et Messieurs les Juges, Mesdames et Messieurs les Avocats, Mesdames et Messieurs les Représentants Syndicaux, Mesdames et Messieurs les Directeurs d’établissements pénitentiaires, Mesdames et Messieurs les Agents pénitentiaires, Mesdames, Messieurs,

Nous nous permettons de vous adresser ce courrier à 4 jours de l’expiration du préavis de grève déposé par les agents pénitentiaires, et à 4 jours d’une menace lourde de conséquences, à savoir un mouvement de grève qui impacterait les visites à la veille des fêtes de Noël et de fin d’année.
Nous sommes épouses, filles, mères, sœurs de détenus, et quoique certains pourraient penser, nous sommes d’abord et avant tout terriblement affectées par les souffrances engendrées par les faits commis par nos époux, pères, fils, frères. Et, par ce courrier, nous ne chercherons nullement à obtenir une quelconque pitié, voire compassion, en regard de notre situation.
Cependant, vivant chaque jour la peine de nos détenus, nous sommes en contact permanent avec le monde de la prison, son mode de fonctionnement. Et c’est de ce mode de fonctionnement dont nous voudrions vous parler car, si l’on s’arrête uniquement au discours larmoyant et alarmiste des agents, on fait fausse route. Et ça, nous ne pouvons plus le passer sous silence, cela a assez duré. 

Pour rappel, en juin dernier, après de nombreuses semaines de grèves, un protocole d’accord a été signé entre le Ministre de la Justice et 4 des 6 organisations syndicales. 
A notre niveau, nous avons vu des changements : de nouveaux agents ont été engagés, les horaires de certains d’entre eux ont été modifié en impactant plus précisément l’organisation des visites au sein des prisons. Nous les avons vus arborer fièrement leurs nouveaux uniformes.
Mais, petit à petit, nous avons constaté que les visites étaient de nouveau mises entre parenthèse car « il manquait de personnel ». Manque de personnel : voilà le problème récurent au sein des établissements pénitentiaires et, comme à chaque fois, ce sont les détenus et leurs familles qui doivent payer le prix fort : visites annulées alors que des dizaines de personnes sont dans le sas d’entrée, visites raccourcies alors que d’autres viennent après avoir travaillé et trouvent portes closes à leur arrivée, visites annulées la veille mais sans pouvoir (vouloir) prévenir les familles, ...

Que l’on cesse de se méprendre sur les raisons du « manque de personnel » en prison. A force de les fréquenter, de les découvrir parfois les unes après les autres, nous finissons par voir la réalité de la situation, cette réalité cachée par les syndicats, cette réalité couverte par les directions, cette réalité ignorée par le Ministre de la Justice, les Juges, les Avocats et les Citoyens qui pour la plupart d’entre eux, sont bien contents de savoir toutes ces personnes enfermées (à juste titre d’ailleurs), mais qui hélas, se voilent la face quant au fait que chacun des détenus actuellement entre quatre murs, sortiront, tôt ou tard, et ce, que nous le voulions ou non !

Alors, que chacun d’entre vous, chacun d’entre nous sache la réalité : les agents, pour un certain nombre d’entre eux, n’en n’ont que faire du métier qu’ils exercent. Ceux qui se plaignent d’être traités comme des porte-clés le sont à juste titre. Et, le temps passant, la confiance s’installant, ils se laissent aller à la confidence, ils libèrent cette parole qu’ils retiennent « face caméra ».

Ils sont absents non pas nécessairement parce qu’ils sont malades ou surmenés, ils s’absentent pour aller dans un parc d’attraction en famille, pour participer à une festivité locale, pour profiter de leur vendredi (ou leur mardi, cela dépend…), pour « travailler » ailleurs, ... Et, les nouveaux agents engagés commencent par les remplacer mais, voyant que les absences « illicites » passent « comme une lettre à la poste », ils se mettent rapidement au pas et eux aussi s’absentent, chaque jour un peu plus. Et lorsque nous nous présentons à la porte, les visites sont annulées.

Et lorsque celles-ci sont maintenues, nous subissons les foudres des quelques agents qui travaillent encore. Ceux-ci, vraisemblablement exténués par la surcharge réelle de travail et a juste titre, nous en font voir de toutes les couleurs lorsque l'humeur s'y prête. D'autres encore ont tout simplement les mains liées par des collègues menaçants. Le règlement en vigueur pour les visites peut alors changer de jour en jour, selon la « pause » qui travaille : un jour vous pouvez apporter du linge, le lendemain non ; un jour vous sonnez sous le portique alors que vous portez les mêmes vêtements que précédemment et que jamais, vous ne sonniez ; un jour vous devez enlever votre gilet et le lendemain, vous pouvez le garder ; mardi votre enfant peut prendre son doudou avec lui, mercredi, il ne peut plus,… Et nous restons dignes, polies, respectueuses, nous baissons la tête tel un enfant pris en flagrant délit d’une énorme bêtise… même faces aux injures et aux comportements désobligeants.
Selon les Règles pénitentiaires européennes, « les modalités des visites doivent permettre aux détenus de maintenir et de développer des relations familiales aussi normales que possible » (règle 24.4 RPE). Le 2e paragraphe de l’article 60 de la Loi de Principe stipule, quant à lui que : « Le chef d'établissement veille à ce que la visite puisse se dérouler dans des conditions qui préservent ou renforcent les liens avec le milieu affectif, en particulier lorsqu'il s'agit d'une visite de mineurs à leur parent. »

Ces textes sont des textes de lois et, dès  lors que nos hommes, pères, fils et frères ont enfreint la loi, ils ont été jugés, condamnés et enfermés. Et ils sont pris en charge par des personnes qui ne respectent pas la loi et ce en toute impunité. Cependant, le message qu’ils font passer est tout autre et ils savent pertinemment qu’un détenu et sa famille n’auront aucun poids, aucun impact sur les informations qui pourront être véhiculées. Pensez vous qu'un détenu puisse retenir quoi que ce soit d'une privation de liberté qui s'accompagne d'une privation de dignité ?
Sans doute vous demanderez-vous pourquoi cette lettre ne sera pas « signée » de façon précise ? Tout simplement parce que nous subissons des menaces dès lors où nous nous permettons de dénoncer les dysfonctionnements du système et de dénoncer ceux qui génèrent et couvrent ces dysfonctionnements.

Cependant, qui que vous soyez, n’oubliez pas que certains de ces « porte-clés » « s’occupent » des détenus, « préparent » avec eux leur réinsertion, sont sensés les remettre sur le bon chemin… Pour se faire, ne faudrait il pas d'autres exemples plus adéquats, dans un réel accompagnement ?
Un avocat général, lors d’un procès, disait au condamné : « Ne considérez pas la prison comme une fin en soi ; elle est pour vous un nouveau départ, elle va vous aider à grandir, à mûrir, à réintégrer la société ».
L'utilisation des grèves a outrance durant les périodes les plus sensibles pour les familles, doit cesser ! 
Comment voulez vous expliquer a un enfant qu’il ne verra pas son parent pour Noël, parce que la Tec fait grève… et que les agents choisissent de se tourner les pouces ce jour là ? Il n’est plus question de pouvoir mais de vouloir.

Comment voulez-vous changer lorsque vous êtes « pris en charge » par des personnes qui mentent et sont dans l’illégalité de par leurs absences illicites et protégées ? N'y aurait il pas une solution pour que nos réalités carcérales puissent se rencontrer dans le respect des lois et des Hommes ?
Des femmes, des mères, des filles, des sœurs de détenus. 
                                               20/12/2017

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