Les autorités marocaines doivent faire en sorte que toutes les
charges contre le militant du mouvement Hirak El Mortada Iamrachen
soient abandonnées, a déclaré Amnesty International. El Mortada
Iamrachen a été condamné à cinq ans d’emprisonnement pour deux messages
mis en ligne sur Facebook. Cette demande intervient à la veille de
l’examen en appel du verdict et de la condamnation de ce dernier par la
cour d’appel de Salé (une ville proche Rabat, la capitale marocaine),
prévu le 2 mai.
« Les autorités marocaines doivent abandonner toutes les charges pesant contre El Mortada Iamrachen, qui a été sanctionné pour avoir pacifiquement exprimé son opinion. Il est scandaleux qu’une personne qui se prononce en faveur de manifestations non violentes soit emprisonnée pour des commentaires mis en ligne sur Facebook, sous prétexte d’application de la législation antiterroriste », a déclaré Heba Morayef, directrice régionale du Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.
Lors des manifestations du mouvement Hirak, qui ont eu lieu dans la
région d’Al Hoceïma d’octobre 2016 à juillet 2017, El Mortada Iamrachen,
également connu sous le nom d’Abdallah El Kassimi, s’est servi de sa
page Facebook pour appeler à manifester pacifiquement et a pris part à
certains rassemblements. Son avocat, Mohamed Sadkou, estime qu’il a en
fait été poursuivi pour son implication dans le mouvement Hirak et que
sa condamnation a été prononcée sur la foi d’éléments forgés de toutes
pièces.
El Mortada Iamrachen a été arrêté une première fois à son domicile le
10 juin 2017. Son père a eu une crise cardiaque le même jour. Il est
décédé quelques jours plus tard. Le jeune homme a été remis en liberté
provisoire sur décision de la cour d’appel de Rabat le 22 juin 2017. Il a
de nouveau été arrêté par la police en novembre suivant, après sa
condamnation à cinq ans d’emprisonnement par le tribunal de première
instance de Salé, qui l’avait notamment reconnu coupable d’avoir prôné
des actes « constitutifs d’infractions relevant du terrorisme », pour
deux commentaires mis en ligne sur Facebook en décembre 2016 et en
juin 2017. Amnesty International a examiné en détail le verdict et a pu
constater que les deux messages publiés sur Facebook présentés comme
éléments à charge contre El Mortada Iamrachen ne constituaient en rien
des appels à la violence.
Le premier de ces messages, en date du 19 décembre 2016, reprenait
des informations parues sur le site d’un organe de presse en ligne
concernant l’assassinat de l’ambassadeur de Russie en Turquie et citant
ce qu’avait dit le tueur au moment de son acte : « Nous mourons à Alep
et vous mourez ici. »
Le second message, publié le 9 juin 2017, résumait un entretien
téléphonique entre El Mortada Iamrachen et un individu se présentant
comme journaliste. Dans ce message, il racontait qu’il avait répondu sur
un mode sarcastique à une question de ce soi-disant journaliste, qui
lui demandait s’il avait tenté de faire entrer des armes au Maroc en
2011, sur ordre du chef d’Al Qaïda Ayman al Zawahiri. Il avait répondu,
disait-il, avoir effectivement reçu cet ordre d’al Zawahiri lors d’une
rencontre avec lui en Afghanistan, à Tora Bora.
« C’était bien entendu dit sur le ton du sarcasme, Iamrachen n’ayant jamais mis les pieds en Afghanistan », a déclaré maître Sadkou à Amnesty International. « Personne n’irait reconnaître avoir importé illégalement des armes dans une conversation téléphonique avec un étranger. Cet échange montre tout simplement à quel point il était exaspéré par les idées fausses qui circulaient sur son compte. Iamrachen est victime d’une énorme injustice. Les éléments soumis à charge au tribunal ne devraient pas être recevables, dans la mesure où ils violent son droit à la liberté d’expression, qui est garanti par le droit marocain et par le droit international. C’est d’autant plus grave qu’il a été contraint de reconnaître les charges pesant contre lui sous la menace, parce que les enquêteurs lui disaient qu’ils allaient diffuser des photos intimes de sa femme sur Internet. »
Lors de son procès, El Mortada Iamrachen a déclaré devant le tribunal
que la police l’avait menacé de diffuser des photos privées de sa
femme, pour le contraindre à signer le procès-verbal d’interrogatoire.
Or, le tribunal n’a pas cherché à savoir si cette accusation était
fondée.
Mohamed Sadkou a également expliqué à Amnesty International que son
client avait été placé à l’isolement à la prison de Salé dès
novembre 2017 et qu’il s’y trouvait toujours. Sa dernière visite auprès
de celui-ci remonte au 3 avril 2018.
« El Mortada a été condamné pour avoir exprimé pacifiquement son
opinion », a déclaré à Amnesty International Maâti Monjib, président de
Freedom Now, association qui s’est donnée pour mission la défense de la
liberté d’expression au Maroc.
« Il s’agit d’un procès non équitable fait à un libre penseur. Pour ajouter à son malheur, il est emprisonné dans des conditions déplorables. »
Né en février 1987 dans la région d’Al Hoceïma, El Mortada Iamrachen a
grandi dans un milieu religieux et conservateur. Il est devenu imam,
partisan de la non-violence très écouté dans sa région natale.
Le gouvernement marocain doit respecter les obligations qui sont les
siennes en matière de protection du droit à la liberté d’expression, au
titre de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques (PIDCP), dont le Maroc est signataire. Certes, le droit
international relatif aux droits humains permet aux États d’imposer des
restrictions à l’exercice du droit à la liberté d’expression dans la
poursuite de certains objectifs légitimes, comme la protection de
l’ordre public ou de la sécurité nationale, mais il incombe aux
autorités de prouver que ces restrictions sont nécessaires et
proportionnées à la réalisation de l’objectif poursuivi. En tout état de
cause, l’emprisonnement constitue une restriction disproportionnée à
l’exercice du droit à la liberté d’expression.
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