Nadir Dendoune, Le Courrier de l'Atlas, 5/3/2025
C’est une histoire que la France aurait préféré garder sous clé. Un sujet explosif resté dans l’ombre pendant plus de soixante ans. Le documentaire “Algérie, sections armes spéciales”, réalisé par la journaliste Claire Billet, lève enfin le voile sur l’utilisation d’armes chimiques par l’armée française pendant la guerre d’Algérie.
Programmé pour une diffusion le 16 mars à 23 h sur France 5, ce film vient d'être déprogrammé par France Télévision. On peut le voir ici (ou ci-dessous). Didactique, il met en lumière une pratique aussi méconnue que redoutable : la « guerre des grottes », où des gaz toxiques ont été employés pour traquer et éliminer les combattants du FLN retranchés dans des cavités naturelles.
Un tabou d’État
Ce travail d’enquête s’appuie notamment sur les recherches de l’historien Christophe Lafaye, qui a bataillé pendant des années pour accéder aux archives. « Il n’a pas eu accès à toutes », regrette Claire Billet, soulignant le verrouillage de ces documents sensibles.
Les preuves, pourtant, s’accumulent. À travers des témoignages d’Algériens et de Français, des recherches minutieuses et des documents exhumés des archives nationales d’outre-mer, le film révèle l’ampleur du phénomène.
Oui, l’armée française a utilisé des armes chimiques. Oui, ces opérations étaient méthodiques et couvertes par un secret absolu. Et non, personne ne voulait en parler. « Ça me semblait invraisemblable qu’après soixante ans, cette histoire soit si méconnue », confie Claire Billet.
L’enquête met en évidence l’usage de substances interdites comme le chlore, le phosgène ou encore le gaz moutarde, déjà utilisées lors de la Première Guerre mondiale. Leur emploi était pourtant strictement prohibé dans les années 1950 par les conventions internationales. Mais dans les montagnes algériennes, ces gaz ont bien été testés, ordonnés et utilisés à grande échelle.
Des traces encore visibles
Claire Billet s’est rendue sur le terrain, en Kabylie et dans les Aurès, où les souvenirs de ces attaques chimiques restent vifs. Des survivants livrent des récits poignants, confirmés par des documents d’archives. Pourtant, l’accès aux archives militaires demeure un véritable parcours du combattant.
« Nos demandes de tournage au Service historique de la Défense ont été refusées », explique la réalisatrice. Grâce aux archives nationales d’outre-mer et au travail acharné de Christophe Lafaye, certaines pièces du puzzle ont pu être reconstituées.
Ce documentaire ne se contente pas de révéler l’existence de ces armes interdites ; il met aussi en lumière l’ampleur du mensonge d’État qui les a entourées.
Comment une telle vérité a-t-elle pu être occultée si longtemps ? Quels mécanismes ont permis de l’enterrer sous des tonnes de documents classifiés ? Algérie, sections armes spéciales pose ces questions frontalement et apporte une démonstration implacable.
Un crime toujours nié
Plus de soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, les effets des gaz se font encore sentir. « On ignore encore combien de temps ces gaz mettent à se dégrader », rappelle Claire Billet. Dans le film, un Algérien témoigne : « Encore aujourd’hui, on ne peut pas entrer dans certaines grottes, l’odeur du gaz est toujours là. »
Les séquelles persistent. En 2023, le ministère français de la Défense a reconnu qu’Yves Carlino, ancien militaire ayant servi en Algérie et témoin dans le film, avait été gazé pendant la guerre.
L’usage des armes chimiques ne se limite pas à la guerre d’Algérie, ni à la France. « Dans les guerres de décolonisation, la France n’a pas été le seul pays à utiliser des armes chimiques », confirme Claire Billet. Mais leur usage remonte bien plus loin. « Dès 1845, lors de la conquête de l’Algérie par la France, les enfumades avaient déjà été employées pour exterminer des populations entières dans des grottes. »
Hasard du calendrier, la diffusion du documentaire de Claire Billet avait été programmée alors que les tensions entre la France et l’Algérie restent vives. En mettant en lumière un pan méconnu et sensible de l’histoire coloniale, ce film ne manquera pas d’alimenter le débat et de raviver les blessures du passé.
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