Le régime marocain a arrêté quatre membres de sa famille à la suite d’allégations lancées depuis l’exil. Hicham Jerando parle à El Independiente
Francisco Carrión, El Independiente,
12/3/2025
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane, Tlaxcala
Il accumule
des centaines de milliers de visionnages sur sa chaîne Youtube [149 000 abonnés].
Ses harangues anti-corruption désignent et couvrent de honte les chefs de l’establishment
marocain. Hicham Jerando, qui vit au Canada, est devenu l’ennemi public numéro
un de la monarchie de Mohammed VI. Jusqu’à quatre membres de sa famille, dont une
nièce de 14 ans, ont été arrêtés par les autorités du pays dans une affaire qui
illustre le niveau de répression de l’autre côté du détroit de
Gibraltar..
« Ils
paient le prix de mon activisme », se plaint Jerando dans un entretien
accordé à El Independiente. « J’ai des centaines de milliers de
followers sur YouTube et TikTok et cela fait trois ans que je dénonce la
corruption au Maroc », affirme-t-il. Le 1er mars, la brigade
nationale de la police judiciaire de Casablanca a arrêté sa sœur, son mari et
ses deux neveux. « L’un d’eux a 22 ans et Malak 14 ans. Ma sœur et ma
nièce ont été libérées cette semaine, mais elles n’auraient pas dû être
détenues un seul jour en vertu de la loi », dit Hicham. Elles sont
poursuivies pour complicité présumée d’outrage à un organe constitutionnel,
diffusion de faux faits portant atteinte à la vie privée d’autrui et
participation au délit de menace. Malak et sa mère sont toujours poursuivies et
doivent comparaître devant le tribunal lundi prochain.
Selon les
autorités judiciaires, Malak aurait acheté des puces électroniques pour aider
la famille à communiquer avec Hicham, que le tribunal considère comme un
fugitif. Originaire de Nador, dans le nord du Maroc, Hicham vit depuis des
années à Toronto, où il dirige une entreprise de confection. « Ils sont
particulièrement nerveux maintenant parce que j’ai touché un point sensible. J’ai
commencé à parler du système judiciaire et de la corruption qui règne dans les services secrets et parmi ceux
qui appliquent la loi », déclare-t-il dans une conversation avec ce
journal.
Son cas
montre les nouvelles limites de la persécution arbitraire des familles et des
enfants dans le but de harceler les opposants et de terroriser tout le monde.
Le dernier signe de la répression
Son cas est
devenu le dernier signe de la répression qui étouffe toute liberté publique au
Maroc. « De temps en temps, il donne des informations très intéressantes
sur certaines personnes corrompues au Maroc, mais elles sont généralement trop
vagues et trop personnelles pour être crédibles. Le fait qu’ils persécutent ses
proches au Maroc, arrêtant même sa nièce de 14 ans sur la base d’accusations
absurdes, indique clairement qu’il est perçu comme l’un des principaux ennemis
publics du makhzen aujourd’hui », explique l’économiste Fouad Abdelmoumni, une figure de l’opposition
marocaine qui est également jugée pour ses déclarations critiques. Le 3 mars,
il a été condamné à six mois de prison sans sursis pour « diffusion de
fausses allégations ». « Son cas montre les nouvelles limites de la
persécution arbitraire des familles et des enfants dans le but de harceler les
opposants et de terroriser tout le monde », a-t-il déclaré.
Jerando dit
que, suite à l’arrestation de ses proches, il a choisi de quitter le Canada.
Par peur, il refuse de révéler où il se trouve actuellement. « Je crains
pour ma vie. J’ai reçu de nombreuses menaces et ils ont essayé de m’acheter,
mais je ne peux pas abandonner le combat », déclare-t-il. « Vous vous
rappelez ce qui est arrivé à Jamal Khashoggi? Je
peux finir comme lui », prévient-il, en référence au journaliste saoudien
assassiné en 2018 au consulat saoudien d’Istanbul et dont le corps n’a jamais
été retrouvé. « Ils ont surveillé ma maison et ont posé des questions sur
mon fils quand ils l’ont vu dans la rue ».
Le dissident
pointe directement du doigt le makhzen, le cercle proche de Mohammed VI qui
dirige “de facto” le pays. Et un homme en particulier : Abdellatif Hammouchi,
le chef de la police et des services de renseignement marocains. « Ce sont
eux qui dirigent le pays. Le roi est absent et malade. Ils profitent de cette
période pour faire ce qu’ils veulent. Pour avoir publié un simple tweet,
certains ont été envoyés en prison pendant cinq ans, où ils ont été torturés »,
a dénoncé l’homme d’affaires, qui a également accusé les principales figures du
système judiciaire. « Ce sont eux qui ont intenté jusqu’à quatre procès
contre moi au Canada, les mêmes qui ont signé des choses horribles contre leur
propre peuple et ceux qui ont pris le pouvoir sous prétexte de l’état de santé
du roi ».
Le premier ministre, « l’homme le plus corrompu du Maroc »
Jerando
exonère Mohamed VI de toute responsabilité dans la chasse qu’il dit subir. « La
réalité, c’est qu’il n’est pas au pouvoir, même s’ils veulent le prétendre. Il
est aux Émirats arabes unis depuis longtemps. Il ne dirige rien », dit-il,
inquiet de la dérive de son pays d’origine. « Le Maroc est dans une très
mauvaise situation. La corruption a atteint des niveaux très dangereux. La
torture existe toujours, les gens ne peuvent pas s’exprimer. Il y a beaucoup de
gens en prison pour un tweet ou un simple “like” et en même temps il y a des
dirigeants qui ont volé des millions. En Espagne, ils le savent bien. Il suffit
de poser la question au ministère des finances et de voir combien de manoirs
ils possèdent en Espagne et combien ils détiennent dans les banques espagnoles ».
« Le
Premier ministre Aziz Akhannouch est l’une des personnes les plus corrompues du
pays. Il possède la plus grande compagnie de gaz du Maroc, des usines de
dessalement, des centres commerciaux et des franchises Zara. On ne peut pas
être au gouvernement et posséder autant de choses en même temps. C’est un
exemple clair de conflit d’intérêts ».
L’ennemi du
makhzen avoue que sa décision de parler vient de la conviction que « les
gens doivent faire quelque chose ». « Je sais qu’il n’y a pas de fin
à tout cela. Si vous regardez les médias gouvernementaux au Maroc, tout le
monde m’attaque. Les médias libres et les gens parlent de moi en bien. Si vous
consultez l’une de mes publications, vous verrez que 90 % des commentaires sont
en ma faveur parce que les gens savent ce qui se passe mais ne peuvent pas s’exprimer.
Tout le monde me dit : « Tu parles à notre place. Nous ne pouvons pas dire
ce que tu dis ».
Jerando, qui
a quitté le Maroc en 2010, compare le règne de la terreur au Maroc à l’Espagne
de Franco. « Les gens sont déprimés et déçus, mais ils ne peuvent rien
faire », dit-il. Il n’hésite pas lorsqu’on lui demande si le Maroc est une
dictature. « Comment appelez-vous un système qui censure, condamne les
gens à la pauvreté et où les prix ne cessent d’augmenter alors que tout le
monde doit se taire », grommelle ce Rifain qui se dit solidaire de leur
cause. « Ils ont organisé des manifestations pacifiques et ont été
condamnés à des peines allant jusqu’à 20 ans de prison ».
Cyber-activisme pour “délégitimer le régime”
La fixation
des autorités marocaines sur Jerando l’a transformé en symbole parmi les
dissidents punis à l’intérieur du pays. « Son cas est symbolique, vraiment
révélateur et expressif. Il montre à quel point le régime prend au sérieux le
discours de la cyber-opposition. Cela signifie que le cyberactivisme est
efficace pour délégitimer le régime et montrer aux gens les tristes réalités de
la corruption et de la répression dans le pays », explique à ce journal
Maati Monjib, historien marocain, un autre opposant qui fait face à des
persécutions judiciaires et à des représailles telles que l’expulsion de l’université
où il travaillait.
« ça signifie également que le régime se
sent politiquement faible. Si ce n’est pas le cas, pourquoi a-t-il si peur des
quelques courageux qui disent la vérité sur ses politiques impopulaires, y
compris son étroite collaboration en matière de sécurité avec le gouvernement
extrémiste de Netanyahou ? Je dois vous rappeler ici que le peuple marocain est
le plus propalestinien de la région. Le peuple marocain est réellement choqué
par le fait que Netanyahou soit traité diplomatiquement et dans les médias
locaux d’orientation mukhabbaratiste comme un leader international ami du
gouvernement marocain. Le peuple marocain éprouve une réelle sympathie pour la
tragédie palestinienne, contrairement au Maroc officiel, qui est le régime
arabe le plus proche d’Israël avec les Émirats et l’Égypte d’Al Sissi »,
ajoute Monjib.
Jerando se
dit prêt à tout sacrifier. « Je savais que je devrais le faire lorsque j’ai
commencé tout ça. Je dois sacrifier mon entreprise, ma famille et moi-même,
mais quelqu’un doit le faire », explique-t-il. « Je suis devenu
dangereux parce que je donne des noms et des détails sur ce que font les
personnes importantes du régime. Je ne parle pas de la corruption en général,
mais de personnes spécifiques. Personne n’est venu dire que ce que je dénonce n’est
pas vrai. Ils savent parfaitement que ces informations proviennent de l’intérieur
du système. Il s’agit d’une kleptocratie ».
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