Tribune. Le ministre des affaires
étrangères du Maroc, Nasser Bourita, vient de démontrer, une nouvelle
fois, sa maîtrise consommée de l’art de l’enfumage diplomatique, fait
d’omissions volontaires, de demi-vérités et de faits tronqués, pour
revendiquer une illusoire victoire diplomatique à la suite de l’adoption
par le conseil de sécurité de la résolution 2468 sur le Sahara
Occidental.
1- Enfilant la blouse de l’épicier, le ministre compte de manière
enfantine, sur son boulier de circonstance, que le Conseil de Sécurité
mentionne 5 fois l’Algérie dans cette résolution. Il oublie, bien
entendu, de préciser que la Mauritanie est mentionnée autant de fois que
l’Algérie et que les termes « Etats voisins » (neighboring states) sont
mentionnés également 5 fois dans le texte de cette résolution (par
opposition, aux Parties c’est-à-dire le Royaume du Maroc et le Front
Polisario). Cette volonté persistante de distordre des faits bien têtus
illustre bien la fuite en avant du Maroc qui veut absolument changer, à
sa convenance et de manière tout à fait arbitraire et injustifiée, le
format reconnu et adopté par les Nations Unies (deux parties + deux
Etats voisins) en ce qui concerne les deux tables rondes qui se sont
tenues à Genève, en décembre 2018 et mars 2019.
2- Le ministre, excellent anglophone au demeurant, s’est permis un
petit écart, bien volontaire, faut-il le souligner, pour nous imposer
dans sa déclaration triomphaliste du 30 avril, le concept «solution
pragmatique» au lieu et place de «solution réalisable ou praticable» qui
figure pourtant dans la résolution («practicable solution»)
Bien entendu, cette interprétation libre du texte de la résolution
n’est pas fortuite. Elle renseigne sur la volonté du makhzen de vouloir
imposer, vaille que vaille, sa thèse de l’autonomie sous le couvert d’un
soi-disant pragmatisme qui n’existe en fait que dans le registre de la
duperie de circonstance.
3- Évoquant les paramètres retenus dans la résolution, M. Bourita
toujours en bon comptable friand des chiffres, poursuit son exercice
puéril et nous apprend que le terme « compromis » est mentionné 5 fois
dans la résolution. La notion de « réalisme » est reprise, quant à elle,
pas moins de 4 fois, et l’autodétermination » n’est citée qu’une 1
fois, selon notre facturier en chef. D’un point de vue factuel, on
invite notre incorrigible comptable à revoir sa copie puisque
l’autodétermination est citée à deux reprises dans la résolution. Plus
important que cet exercice futile, le sens du « compromis » mentionné
par le Ministre, vaut surtout pour le Maroc qui veut imposer son offre
d’autonomie à la communauté internationale en soutenant crânement qu’en
dehors de « cette option unique », il n’y a rien à négocier. Où est donc
ce sens du compromis dont se targue le frétillant ministre? Son roi ne
cesse-t-il pas de marteler que « L’initiative d’autonomie est le maximum
que le Maroc puisse offrir »? Cette posture dogmatique, inflexible et
obsolète qui est aux antipodes des prescriptions de la résolution du
Conseil de sécurité (qui insiste sur la bonne foi et récuse fermement
les préconditions), est-elle conforme au sens du « réalisme » brandi
fièrement comme un trophée par M. Bourita? Définitivement, non. Le
réalisme voudrait que les propositions des deux parties soient discutées
avec un esprit ouvert afin de trouver une solution politique acceptable
qui satisfait les droits légitimes et imprescriptibles d’un peuple dont
le territoire figure sur les tablettes onusiennes des territoires non
autonomes. Le réalisme suppose la recherche d’éléments de convergence et
la prise en considération de la position et des attentes de l’autre
partie. C’est le b.a.-ba du métier de diplomate (lorsqu’on est de bonne
foi, chose dont on peut douter dans le cas d’espèce)
4- Glosant sur « l’impératif » du recensement de la population du
camp de Tindouf (quand la résolution évoque la « demande d’examen » du
recensement, mais passons) le sémillant ministre oublie deux ou trois
vérités qu’on pourrait résumer succinctement comme suit :
– Sous l’égide du Haut-Commissariat aux réfugiés, une mission
d’experts multi-agences, s’est déplacée en mars 2018 dans les cinq camps
de réfugiés près de Tindouf et dans son rapport, elle a établi le
nombre de la population de ces 5 camps à 173600 réfugiés au 31 décembre
2017 ; ce qui représente un taux de progression de +40% par rapport aux
estimations de 2007. Bien entendu, le Maroc a tout fait pour empêcher la
publication de ce rapport (l’analyse la plus complète jamais réalisée
selon les auteurs du rapport) qui met à mal ses allégations mensongères
visant à induire en erreur l’opinion publique internationale, en
minorant à l’extrême le nombre réel des réfugies. Tous les moyens de
chantage ont été utilisés à Genève pour bloquer la publication de ce
rapport, y compris l’opposition frontale et publique du représentant
marocain qui a été instruit par sa capitale pour faire de l’obstruction
en bloquant les travaux du comité permanent du HCR.
– La résolution insiste sur l’importance la situation des droits de
l’homme au Sahara Occidental et appelle à développer et à implémenter
des «mesures crédibles et indépendantes» pour assurer le respect de ces
droits. Bien entendu, le protecteur français a pesé de tout son poids
pour édulcorer substantiellement ce passage de la résolution (le rapport
du Secrétaire général, étant lui, très explicite puisque ce dernier
recommande « Une surveillance indépendante, impartiale, globale et
soutenue de la situation des droits de la personne est nécessaire pour
assurer la protection de tous les habitants du Sahara occidental »)
– La résolution appelle le Maroc à coopérer avec le haut-commissariat
aux réfugiés pour identifier et promouvoir des mesures de confiance,
tout comme elle l’invite à coopérer pleinement avec la MINURSO, y
compris dans « son interaction libre » avec tous les interlocuteurs.
Encore une fois, le rapport du Secrétaire Général interpelle directement
et fermement le Maroc en lui imputant la pleine responsabilité pour les
entraves multiples et les restrictions nombreuses que rencontre la
MINURSO dans le cadre de la mise en œuvre pleine et entière de son
mandat (pas d’accès aux interlocuteurs sahraouis, écoute des moyens de
communication, imposition de plaques d’immatriculation marocaines aux
véhicules de la MINURSO ce qui remet en cause l’impartialité de la
mission et viole les accords signés avec le Maroc, …) ;
Excédé par cet état de fait, qui perdure en raison du soutien
inconditionnel de la France, le Secrétaire Général a fini par « exhorter
le Maroc à lever ces contraintes et à donner à la Mission libre accès à
ses interlocuteurs locaux » afin de lui permettre de s’acquitter de la
plénitude de son mandat (monitoring politique assuré par la composante
civile de la mission)
5- Se référant au cessez-le-feu, M. Bourita met en exergue une
injonction faite au front Polisario mais en ce faisant, il feint
d’oublier que le Secrétaire général impute à son pays une violation «
majeure » de l’accord militaire Nr 1, en l’occurrence la construction
d’un nouveau mur de la honte à proximité de Mahbes, dans le territoire
occupé du Sahara occidental
6- Les autres points de cette « brillante » communication du ministre
Bourita, que ce dernier se plait à développer sur le mode de
l’incantation et de l’autosuggestion pour mieux cajoler l’opinion
marocaine, sont autrement plus dangereux.
Malgré la double abstention de la Russie et de l’Afrique du Sud qui
démontre, à l’envie, l’absence d’unité parmi les membres du conseil de
sécurité sur une résolution déséquilibrée et dont la teneur est loin
d’être totalement neutre, le responsable marocain décrète souverainement
et péremptoirement que les « paramètres de la solution définitive »
sont ceux qu’il énonce unilatéralement dans son interprétation libre et ô
combien partiale de la résolution 2468 !
Le ministre somme toutes les parties d’assumer pleinement leurs
responsabilités mais dans la stricte et nécessaire conformité aux
desiderata de la partie marocaine! Curieuse conception de la recherche
du compromis (dans le «cadre exclusif de l’initiative d’autonomie»)
quand on préempte de la sorte le statut final des négociations!
7- Le ministre marocain, annonce, subrepticement et avec une rare
fourberie, que son pays va s’arc-bouter sur cette position maximaliste,
présentée faussement comme étant une lecture neutre et objective de la
résolution 2468 du Conseil de Sécurité, pour à la fois :
– mettre la pression sur l’envoyé personnel du Secrétaire Général,
dont il craint les initiatives et les éventuelles propositions de
règlement de ce conflit qui n’iraient pas dans le sens de ses intérêts
de puissance occupante,
– et pour imputer et faire endosser, par anticipation, au front
Polisario et à l’Algérie, l’éventuel échec du processus politique.
Bien entendu, cette démarche irresponsable qui mise sur le fait
accompli, et sur le «ça passe ou ça casse» risque d’abîmer sérieusement
et durablement le processus politique initié par le conseil de sécurité.
Mais qu’importe, puisque le Royaume bénéficie du soutien ferme,
irrévocable et inconditionnel de son parrain français. Par charité
musulmane, en cette veille du mois de piété, on s’interdit de reproduire
la désormais célèbre formule de l’ancien ambassadeur de France, Gérard
Araud, qui résume assez bien la situation de vassalité. Pour ne pas dire
plus.
Important : Les tribunes publiées sur TSA ont pour but de
permettre aux lecteurs de participer au débat. Elles ne reflètent pas
la position de la rédaction de notre média.
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