L’islamologue et spécialiste des mouvements islamistes,
Abdelouahab Rafiki, revient pour H24info sur les conséquences de la
crise du coronavirus sur le rapport des Marocains à l’islam. Interview.
96% des Marocains approuvent, selon un récent sondage, la
fermeture des mosquées pour lutter contre la propagation du coronavirus.
Comment expliquez-vous ce plébiscite ?
Abdelouahab Rafiki: Je pense que ce chiffre est
proche de la réalité. C’est en tout cas ce que j’observe sur le terrain.
Les gens respectent globalement les consignes édictées par les
autorités. Je le vois également à travers les réseaux sociaux. Et il y a
un rejet massif de tout ce qui va à l’encontre du respect de ces
consignes.
J’estime aussi que le résultat de ce sondage est positif. Il faut
rappeler que ce n’est pas du tout évident de prendre de telles mesures
et de les faire respecter par une population en grande majorité
musulmane et pratiquante. Encore plus pendant le mois de ramadan. C’est
une chose qui n’est jamais arrivée dans l’histoire du Maroc.
Personnellement, je m’attendais à ce qu’il y ait plus de réticences.
Pourquoi, selon vous, les Marocains ont fini par majoritairement accepter cela et d’une manière assez aisée?
Il y a plusieurs raisons qui peuvent expliquer cette discipline et l’approbation de ces mesures par la population.
Je pense en premier lieu que le degré de conscience collective s’est
considérablement développé parmi la population. Cela s’est vu à travers
plusieurs aspects, notamment au niveau du respect des consignes émises
par les autorités. J’ai également remarqué que les gens insistaient
beaucoup plus sur l’obtention d’une information à sa source. La peur
engendrée par le virus a été à mon avis un accélérateur de cette prise
de conscience.
Le fait aussi que les autorités religieuses officielles du pays aient
estimé que la préservation de la santé était prioritaire à toute
manifestation religieuse a également joué un rôle en ce sens.
N’oublions pas aussi la contribution des médias publics et privés,
mais aussi des producteurs de contenus et influenceurs qui ont
considérablement contribué à sensibiliser les gens sur les réseaux
sociaux.
Mis à part la sortie d’Abou Naim et de quelques manifestants
qui ont contesté au tout début la fermeture des mosquées, les groupes
islamistes sont depuis demeurés silencieux. Comment l’expliquez-vous ?
Que l’on soit clairs. Si les autorités ne s’étaient pas montrées
intraitables dès le départ avec ce genre de discours, je pense que
d’autres voix allaient prendre le relais d’Abou Naim. Mais j’ai constaté
qu’après l’arrestation d’Abou Naim, beaucoup de prédicateurs ont
subitement changé de discours. Au départ, ils parlaient de la colère de
Dieu, que la fermeture des mosquées était une catastrophe pour l’islam
et les musulmans, et soudain, ils ont radicalement changé de discours
pour appeler les gens à respecter le confinement et privilégier la
prière à la maison.
Vous estimez que ces prédicateurs sont de mauvaise foi ?
Naturellement. Je pense qu’ils agissent ainsi par peur. Je le répète,
si les autorités n’avaient pas agi rapidement, nous en serions encore
aujourd’hui à perdre notre temps dans des débats stériles avec ces
prédicateurs.
La pratique religieuse a-t-elle beaucoup changé depuis la
propagation de la pandémie? Quelles conséquences ces changements
peuvent-ils avoir sur la manière avec laquelle les Marocains pensent
leur religion?
Je pense que cette crise va créer un choc chez beaucoup de gens. Et
les Marocains vont sans aucun doute changer leur manière d’appréhender
la religion. Et ce sont des choses qui arrivent lors des grands
bouleversements que peut connaître le monde. La crise du coronavirus
aura un effet déstabilisateur dans la manière de penser de beaucoup de
gens. Tout le monde a pu constater à quel point l’humanité a besoin de
la science en ces temps de pandémie. Cette science qui, il y a peu,
n’était pas prise au sérieux et était remplacée chez beaucoup de
personnes par des explications métaphysiques ou la pensée magique. Avant
le coronavirus, beaucoup trouvaient un réconfort dans ce genre de
discours, mais aujourd’hui ils constatent l’importance primordiale de la
science.
Pour revenir au rapport au religieux, de nombreux Marocains ont
sans-doute compris qu’ils pouvaient continuer à pratiquer leur religion
d’une manière individuelle et que les manifestations religieuses de
masse n’étaient pas indispensables. Et je suis sûr qu’ils ont trouvé en
cette nouvelle manière de pratiquer la religion une certaine plénitude,
une nouvelle spiritualité. Je pense qu’après la crise du coronavirus,
nous assisterons à plusieurs changements relatifs à la pratique de
l’islam dans notre pays.
Peut-on donc s’attendre à un affaiblissement du discours extrémiste ?
Oui, je le pense vraiment. On peut déjà le constater d’ailleurs. Le
discours extrémiste a considérablement diminué depuis le début de cette
crise.
La nature a horreur du vide, par quoi ce discours extrémiste risque-t-il être remplacé ?
Oui tout à fait, je pense qu’en contrepartie, nous allons assister à
un développement de la pensée rationnelle. La manière de penser la
relation entre religion et science va évoluer. Le regard porté vers les
cheikhs, les raqi et autre prédicateurs religieux, qui sont d’ailleurs
restés silencieux et n’ont rien apporté à l’humanité durant cette crise,
va considérablement changer.
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