Le dilemme est terrible : « Mourir du coronavirus ou mourir de faim. »
A choisir, Zeyna* prendrait forcément la première option. Pour cette
jeune mère de 29 ans, qui élève seule son fils de 12 ans, le confinement
n’est pas envisageable : « Je prends le risque de tomber malade, pour sauver mon enfant. Car si je ne subviens pas à ses besoins, il est mort. »
Le
Maroc, qui n’a pas opté pour un dépistage systématique et compte à ce
jour 1 021 cas, a décrété l’état d’urgence sanitaire le 20 mars pour une
durée d’un mois. Sans autorisation dérogatoire signée par un employeur
officiel, les Marocains ne peuvent plus se rendre au travail. Comme
Zeyna, des millions de travailleurs non déclarés ou exerçant dans le
circuit informel se sont ainsi retrouvés sans revenus du jour au
lendemain.
La honte d’une grossesse hors mariage
« En
temps de crise au Maroc, on peut toujours s’appuyer sur sa famille. Les
voisins s’entraident et se prêtent de l’argent. Pour nous, c’est une
double peine. Mon fils n’a ni père ni papiers, alors personne ne veut
nous approcher », raconte la jeune femme, qui paraît plus que son âge.
Claquemurée
dans une minuscule chambre avec son fils Driss*, Zeyna doit d’ordinaire
affronter le regard pesant des voisins. Dans une société où le
conservatisme religieux reste très fort, les relations hors mariage sont
condamnées à la fois par la loi et la religion. « J’ai réussi à
échapper à la prison mais pas à la stigmatisation de la société.
Aujourd’hui, j’en paie le prix : l’épicier ne veut pas me faire de
crédit, ma famille ne veut plus entendre parler de moi et mes voisins ne
veulent pas garder mon fils. Ils le surnomment “ould el hram” » (« bâtard », en arabe.
Driss est né dans un petit appartement à Casablanca, loin de l’hôpital et sans état civil. Zeyna a failli l’abandonner, « plusieurs fois »,
reconnaît-elle les larmes aux yeux. Originaire d’un village berbère du
Haut-Atlas, cette brune aux yeux clairs, la voix rauque et brisée, a fui
sa famille pour s’épargner la honte d’une grossesse hors mariage. « Ce n’était pas ma faute », ressasse-t-elle, le regard baissé vers le sol.
Petite bonne à l’âge de 8 ans, elle a été violée par son employeur pendant des années : « Je
suis tombée enceinte pour la première fois à 13 ans et j’ai perdu le
bébé. J’ai fait une deuxième fausse couche l’année d’après. » Quand elle rencontre Mohamed à l’âge de 16 ans, elle se sent enfin vivre. « On était très amoureux. Il m’avait promis de demander ma main. », raconte-t-elle. Mais lorsqu’il apprend sa grossesse, Mohamed ne donne plus signe de vie. « J’ai vécu un cauchemar pendant des années, mais j’ai fini par m’en sortir », précise-t-elle aujourd’hui.
Sortir la peur au ventre
Grâce à l’aide d’associations, la jeune maman trouve un emploi « au noir » dans un salon de coiffure à Casablanca. « Au moment où je remontais enfin la pente, cette crise nous tombe dessus ! »
Début mars, lorsque les premiers cas de Covid-19 sont détectés au
Maroc, le salon de coiffure ferme ses portes. Désormais, des policiers
rôdent régulièrement dans son quartier pour forcer les gens à rentrer
chez eux. « Quand on travaille au jour le jour, on n’a aucune autonomie. On ne vit plus, on survit », tranche Zeyna.
Depuis,
elle s’est résolue à faire des ménages chez des particuliers. La peur
au ventre, elle brave chaque jour l’interdiction de sortie pour se
rendre au centre de Casablanca. Sans autorisation, elle risque une peine
d’un à trois mois de prison et une amende allant jusqu’à 1 300 dirhams
(quelque 117 euros). « Je prends les transports en commun, je croise
des gens sur mon chemin, j’ai peur qu’il m’arrive quelque chose, car
mon fils n’a personne d’autre. En plus, je suis obligée de le laisser
seul à la maison. Je crains qu’il sorte dans la rue, qu’il approche
d’autres enfants », raconte-t-elle, désemparée.
Les
associations, qui œuvrent d’arrache-pied pour aider les mères
célibataires au Maroc, essaient tant bien que mal de poursuivre leurs
actions malgré le confinement. « Beaucoup de ces femmes ont perdu
leur emploi et, du fait de leur statut, ne bénéficient pas de la
traditionnelle solidarité familiale marocaine, regrette Meriem Othmani, présidente de l’Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse (Insaf).
Nous sommes obligés de leur trouver de quoi se nourrir et de les aider à
payer leur loyer. Malheureusement, nous manquons de ressources. »
Zeyna
cultive un dernier espoir. L’Etat a promis des aides de subsistance
pour les travailleurs précaires et les familles en situation de
pauvreté. « De toute façon, je n’ai pas le choix. Sinon, je vais finir par me faire prendre ».
A Casablanca, où des unités de l’armée patrouillent, les forces de
l’ordre ont multiplié les contrôles musclés des passants et les
arrestations pour désobéissance .
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