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samedi 6 juin 2020

Coronavirus : au Maroc, la double peine de Zeyna, mère célibataire



De jeunes mères et des femmes enceintes célibataires au siège de l’unité de protection Basma à Casablanca, suite à une grossesse non désirée, en mai 2010.
De jeunes mères et des femmes enceintes célibataires au siège de l’unité de protection Basma à Casablanca, suite à une grossesse non désirée, en mai 2010. ABDELHAK SENNA / AFP
Le dilemme est terrible : « Mourir du coronavirus ou mourir de faim. » A choisir, Zeyna* prendrait forcément la première option. Pour cette jeune mère de 29 ans, qui élève seule son fils de 12 ans, le confinement n’est pas envisageable : « Je prends le risque de tomber malade, pour sauver mon enfant. Car si je ne subviens pas à ses besoins, il est mort. »
Le Maroc, qui n’a pas opté pour un dépistage systématique et compte à ce jour 1 021 cas, a décrété l’état d’urgence sanitaire le 20 mars pour une durée d’un mois. Sans autorisation dérogatoire signée par un employeur officiel, les Marocains ne peuvent plus se rendre au travail. Comme Zeyna, des millions de travailleurs non déclarés ou exerçant dans le circuit informel se sont ainsi retrouvés sans revenus du jour au lendemain.

La honte d’une grossesse hors mariage

« En temps de crise au Maroc, on peut toujours s’appuyer sur sa famille. Les voisins s’entraident et se prêtent de l’argent. Pour nous, c’est une double peine. Mon fils n’a ni père ni papiers, alors personne ne veut nous approcher », raconte la jeune femme, qui paraît plus que son âge.
Claquemurée dans une minuscule chambre avec son fils Driss*, Zeyna doit d’ordinaire affronter le regard pesant des voisins. Dans une société où le conservatisme religieux reste très fort, les relations hors mariage sont condamnées à la fois par la loi et la religion. « J’ai réussi à échapper à la prison mais pas à la stigmatisation de la société. Aujourd’hui, j’en paie le prix : l’épicier ne veut pas me faire de crédit, ma famille ne veut plus entendre parler de moi et mes voisins ne veulent pas garder mon fils. Ils le surnomment ould el hram » (« bâtard », en arabe.
Driss est né dans un petit appartement à Casablanca, loin de l’hôpital et sans état civil. Zeyna a failli l’abandonner, « plusieurs fois », reconnaît-elle les larmes aux yeux. Originaire d’un village berbère du Haut-Atlas, cette brune aux yeux clairs, la voix rauque et brisée, a fui sa famille pour s’épargner la honte d’une grossesse hors mariage. « Ce n’était pas ma faute », ressasse-t-elle, le regard baissé vers le sol.

 
Petite bonne à l’âge de 8 ans, elle a été violée par son employeur pendant des années : « Je suis tombée enceinte pour la première fois à 13 ans et j’ai perdu le bébé. J’ai fait une deuxième fausse couche l’année d’après. » Quand elle rencontre Mohamed à l’âge de 16 ans, elle se sent enfin vivre. « On était très amoureux. Il m’avait promis de demander ma main. », raconte-t-elle. Mais lorsqu’il apprend sa grossesse, Mohamed ne donne plus signe de vie. « J’ai vécu un cauchemar pendant des années, mais j’ai fini par m’en sortir », précise-t-elle aujourd’hui.

Sortir la peur au ventre

Grâce à l’aide d’associations, la jeune maman trouve un emploi « au noir » dans un salon de coiffure à Casablanca. « Au moment où je remontais enfin la pente, cette crise nous tombe dessus ! » Début mars, lorsque les premiers cas de Covid-19 sont détectés au Maroc, le salon de coiffure ferme ses portes. Désormais, des policiers rôdent régulièrement dans son quartier pour forcer les gens à rentrer chez eux. « Quand on travaille au jour le jour, on n’a aucune autonomie. On ne vit plus, on survit », tranche Zeyna.
Depuis, elle s’est résolue à faire des ménages chez des particuliers. La peur au ventre, elle brave chaque jour l’interdiction de sortie pour se rendre au centre de Casablanca. Sans autorisation, elle risque une peine d’un à trois mois de prison et une amende allant jusqu’à 1 300 dirhams (quelque 117 euros). « Je prends les transports en commun, je croise des gens sur mon chemin, j’ai peur qu’il m’arrive quelque chose, car mon fils n’a personne d’autre. En plus, je suis obligée de le laisser seul à la maison. Je crains qu’il sorte dans la rue, qu’il approche d’autres enfants », raconte-t-elle, désemparée.
Les associations, qui œuvrent d’arrache-pied pour aider les mères célibataires au Maroc, essaient tant bien que mal de poursuivre leurs actions malgré le confinement. « Beaucoup de ces femmes ont perdu leur emploi et, du fait de leur statut, ne bénéficient pas de la traditionnelle solidarité familiale marocaine, regrette Meriem Othmani, présidente de l’Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse (Insaf). Nous sommes obligés de leur trouver de quoi se nourrir et de les aider à payer leur loyer. Malheureusement, nous manquons de ressources. »
Zeyna cultive un dernier espoir. L’Etat a promis des aides de subsistance pour les travailleurs précaires et les familles en situation de pauvreté. « De toute façon, je n’ai pas le choix. Sinon, je vais finir par me faire prendre ». A Casablanca, où des unités de l’armée patrouillent, les forces de l’ordre ont multiplié les contrôles musclés des passants et les arrestations pour désobéissance .

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