Pour ceux que la Cimade surnomme les Jedi (jeunes en danger isolés), être reconnus mineurs, donc pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance, ne va pas de soi. Violaine Husson est Responsable des mineurs isolés étrangers à la Cimade.
Peut-on estimer le nombre de mineurs étrangers isolés sur le territoire français ?
Violaine Husson Les chiffres du ministère de la Justice dénombraient 17 022 mineurs non accompagnés pris en charge par l’ASE en 2018 et 16 760 en 2019. Cette baisse s’explique par une remise en cause de plus en plus fréquente de la minorité des jeunes, facilitée depuis fin 2018 par la mise en place d’un fichier national biométrique centralisé des mineurs non accompagnés, qui empêche les jeunes évalués majeurs dans un département, de tenter de faire reconnaître leur minorité dans un autre département. Ces chiffres devraient encore diminuer : depuis un décret du 25 juin 2020, les départements qui refusaient d’alimenter ce fichier, jugé liberticide, sont passibles de sanctions financières. L’Association des départements de France, elle, estimait à 80 000, en 2019, le nombre de jeunes qui nécessiteraient une prise en charge. À la Cimade, on remarque que beaucoup de mineurs renoncent à demander cette prise en charge, car la porte d’entrée pour est désormais soit la préfecture soit le commissariat. Or, ceux qui ont été victimes de violences policières durant leur parcours migratoire ou considèrent la préfecture (parfois à raison) comme un endroit où ils sont susceptibles d’être arrêtés, ne veulent pas s’y rendre.
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https://www.humanite.fr/violaine-husson-les-jeunes-etrangers-sont-abandonnes-par-les-services-de-letat-691940#xtor=RSS-1
Comment la minorité de ces jeunes est-elle déterminée ?
Violaine Husson Normalement, la protection de l’enfance ne fait pas de distinction entre enfant français et étranger. Néanmoins, pour être pris en charge, les jeunes étrangers doivent justifier de leur minorité et de leur isolement. L’authenticité de leurs papiers d’identité est systématiquement contestée et l’enquête les concernant est souvent menée à charge. On n’hésitera pas à déclarer un adolescent majeur au vu de sa stature, de sa capacité à se débrouiller, à parler français, etc. Enfin, les tests osseux, dont la fiabilité pour déterminer l’âge est unanimement contestée par la communauté scientifique, restent utilisés. La marge d’erreur de cet examen, qui consiste en une radiographie des os de la main, est de 6 à 18 mois. D’où leur absurdité, quand on sait qu’une proportion importante des jeunes arrive sur notre territoire entre 15 et 18 ans.
Que se passe-t-il en attendant le résultat de cette évaluation ?
Violaine Husson La loi prévoit un accueil provisoire « dans une structure adéquate », en attendant leur prise en charge par l’ASE. Mais beaucoup de départements ne respectent pas cette évaluation. Certains la réalisent le jour même où le jeune se présente dans la structure à laquelle cette mission est déléguée. Là, c’est littéralement du « tri » : certains jeunes sont déclarés majeurs sans même qu’on les laisse rentrer, d’autres après quelques minutes d’entretien… Le pire, c’est que ces structures (associations ou ONG) ont aussi pour mission de les héberger. Elles ont donc tendance à évaluer les jeunes en fonction de leurs places disponibles et non des besoins de ces enfants. Elles fixent implicitement des quotas, ce qui est parfaitement illégal et scandaleux.
Quid des « recalés » ?
Violaine Husson Ils se retrouvent à la rue, dans des campements, des squats, à la merci de réseaux pédocriminels. Ils sont parfois hébergés par des particuliers qui les accueillent chez eux, ce qui n’est pas sans poser de problèmes. On a pu constater pas mal d’abus de la part d’hébergeurs qui considéraient ces enfants comme leurs domestiques. Même quand ils sont bienveillants, ces gens ne sont pas formés pour accueillir des adolescents qui nécessitent un suivi social, juridique et médical particulier. Beaucoup ont en effet subi de graves traumatismes lors de leur exil et peuvent « décompenser » lors de moments de répit.
Quel recours ont les jeunes qui sont déclarés majeurs ?
Violaine Husson À la Cimade, nous avons longtemps considéré que les mineurs étaient des enfants avant d’être des Étranger, et qu’il n’était donc pas de notre ressort de les accompagner. Mais vu le traitement qui leur est fait, nous avons constaté que ces JEDI (jeunes en danger isolés), comme nous les appelons, en référence aussi aux combattants qu’ils sont, avaient besoin de notre aide. Nous les assistons donc pour qu’ils déposent des recours auprès des juges des enfants, qui peuvent les entendre et les déclarer mineurs, obligeant ainsi l’ASE à les prendre en charge. Mais la procédure est longue et compliquée. Pour que l’audience se tienne, le juge exige parfois que le jeune ait un passeport, ce qui n’est pas toujours le cas… De ce fait, beaucoup abandonnent la procédure ou deviennent majeurs avant qu’elle n’aboutisse. Nous insistons pour qu’ils s’accrochent, même si c’est difficile, car, même s’ils sont majeurs, la loi française prévoit une protection pour tous jusqu’à 21 ans. On arrive parfois à faire du contentieux, notamment devant la Cour européenne des droits de l’homme pour que les départements soient contraints par les juges administratifs d’héberger et d’accompagner certains jeunes, très vulnérables, en attendant que le juge des enfants statue sur leur minorité.
Quelles sont les obligations de l’État concernant les jeunes qui sont reconnus mineurs ?
Violaine Husson Ces enfants doivent être logés, nourris correctement, scolarisés, avoir accès à des soins et à une vie sociale et culturelle. La réalité est tout autre, notamment pour ceux qui ont plus de 16 ans. Ils sont souvent seuls, dans des hôtels vétustes ou en appartements partagés, sans accompagnement, ni scolarisation, l’État considérant qu’il n’y a plus d’obligation scolaire après 16 ans. Une minorité est même laissée à la rue. Côté santé, les seuls contacts qu’ils ont avec des médecins se font via des associations comme Médecins du monde ou quand ils sont amenés aux urgences par les secours. Ces manquements sont notamment dus au fait que certains départements ont mis en concurrence des structures qui s’occupent de ces mineurs étrangers isolés à la place de l’ASE. Pour obtenir les marchés, ces dernières affichent des prix journaliers très bas, qui correspondent à un accompagnement quasi inexistant et des prestations minimales. Rien n’est fait pour que ces jeunes puissent apprendre un métier et devenir autonomes à 18 ans. Ils ne sont même pas accompagnés pour obtenir un titre de séjour qui leur permettra de travailler à leur majorité. C’est un pur gâchis, que rien ne justifie.
Entretien réalisé par Eugénie Barbezat
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